Paris, 1891. Au rythme des fiacres et des remous anarchistes, sous la direction du magnificent M, un cercle d'écrivains enquête sur d'inquiétants phénomènes qui agitent la capitale. Silhouettes chimériques ou peintures macabres, spectres ou épidémies sordides, l'empreinte du Mal trouble cette fin de siècle déjà ombrageuse. Qu'ils se nomment Berthe Weill ou Octave Mirbeau, qu'ils poétisent comme Pierre Louÿs ou invoquent Arthur Rimbaud, ces membres du Club de la rue de Rome traquent la vérité et la malévolence. Et dans leur sillage, c'est tout un labyrinthe surprenant et horrifique qui s'ouvre dans l'ombre de la Ville lumière. Adorée Floupette aurait été l'une des plus grandes plumes de la fin du XXe siècle si la postérité ne l'avait si injustement oubliée. D'une modernité sans égale pour son époque, son oeuvre renaît aujourd'hui grâce à ces Affaires uniques en leur genre, aux confins du surnaturel.
Une singulière entreprise
Les affaires du Club de la rue de Rome rassemblerait des histoires écrites par une certaine Adorée Floupette, décédée en 1949 et racontant des enquêtes policières menées par des… écrivains. Derrière cette entreprise littéraire publiée par La Volte, on retrouve la patte d’auteurs bien de notre époque comme Léo Henry (La panse), Raphaël Eymery (Pornarina), Luvan (Susto) et Johnny Tchekhova. Il s’agit ici de recréer une ambiance, celle des années 1890, années de crises (songeons au scandale de Panama ou à l’affaire Dreyfus), marquées aussi par le symbolisme ou la poésie décadente. Et on va voir qu’il est bien question de poètes dans ce volume.
Mallarmé, le chef du club des horreurs
Chaque histoire met donc en scène des écrivains envoyés enquêter sur des meurtres sortant systématiquement de l’ordinaire. Ce club a un chef : Stéphane Mallarmé. Dans L’étrange chorée du Pierrot blême concocté par Léo Henry, Mallarmé envoie son équipe entre le chat noir et le moulin rouge faire face à une menace fongique. Plaisant. Dans L’effroyable affaire des souffreuses, il s’agit de retrouver un fou qui enlève des jeunes filles pré-pubères et leur réserve un sort assez effroyable. Face au forfait d’Oscar Wilde, Mallarmé demande à un jeune poète anglais amateur de jeunes filles de se charger du sale boulot. Assez effrayant on doit le dire. Pour coquillages et crustacés, luvan nous emmène dans une histoire de démons slaves assez hermétique. On retrouve dans Les plaies du ciel Octave Mirbeau embarqué dans une sombre affaire où des cadavres putréfiés vont donner naissance à un monstre invoqué par la propre fille de Mallarmé, en pleine détresse amoureuse. En filigrane, il s’agit du texte peignant la société de l’époque avec le plus de férocité.
Un résultat distrayant
On peut qualifier Les affaires du Club de la rue de Rome de pastiche littéraire réussi, recréant une ambiance et maniant un vocabulaire évoquant assez bien la littérature du dix-neuvième siècle. Les écrivains défilent dans ce volume : défilent Mallarmé et Mirbeau (immortel auteur du journal d’une femme de chambre) bien sûr, Wilde, Pierre Louys mais aussi Gide. Les récits mêlent enquête policière et ambiance fantastique, voire « steampunk », avec brio. On saluera particulièrement le récit de Johnny Tchekhova (les autres auteurs ne déméritent pas mais sont un peu plus connus) qui ne manque pas de souffle. Embarquez donc pour ce voyage dans cette France si lointaine et pourtant si proche…
Sylvain Bonnet