Les littératures de l'imaginaire, et plus encore la science-fiction, ont longtemps été considérées comme un simple vecteur de divertissement ou d'évasion. Aujourd'hui encore, c'est surtout par les essais que se transmettent les idées. La SF, cette "littérature du pas de côté", a pourtant un potentiel politique immense, soutient Vincent Gerber. De Philip K. Dick à Kim Stanley Robinson, en passant par Ursula K. Le Guin, Alain Damasio et bien d'autres, il nous entraîne dans un voyage vers des mondes lointains qui pourtant éclairent le nôtre. Si elle n'est pas divinatoire, la science-fiction permet de décadrer le regard. Elle peut avertir, prévenir, révéler les brèches du système. C'est la littérature de l'expérimentation des possibles - scientifiques, mais aussi humains et sociétaux. Alors que l'horizon est incertain et que nos vies prennent des accents dystopiques, ce livre est une invitation à abreuver nos imaginaires à d'autres sources que celles que le réel nous tend. Pour bâtir des futurs plus désirables, renouons avec l'utopie !
On ne connait pas ici Vincent Gerber, historien et militant proche dans l’esprit des libertaires et des écologistes. Notons qu’il préside l’association des « Amis de la Maison d’Ailleurs » en Suisse. Son essai L’imaginaire au pouvoir remet en lumière la façon dont la Science-fiction s’intéresse à la politique et à l’utopie : rien que cela !
SF et politique
Diantre, dirait mon vieux père, la SF fait de la politique ? De fait, elle a longtemps été vu comme du divertissement, sans compter les cuistres qui en faisaient de la sous-littérature. Mais le genre s’intéresse à l’avenir. Si beaucoup d’auteurs se contentent de décalquer la société présente en la modernisant (une tendance chez Poul Anderson, contrebalancé par son individualisme libertarien), ils ne peuvent pas complètement faire abstraction de la politique. Ainsi, à la télévision, un Gene Roddenberry a accompli un geste politique en donnant majeur à une jeune actrice noire pleine de talent, Nichelle Nichols, dans le feuilleton Star Trek, fresque dépassant la querelle raciale qui empoisonne les Etats-Unis. La New wave et la SF politique en France ont proposé au genre des histoires souvent politiques, mettant en question la société actuelle (songeons à Jack Barron et l’éternité de Spinrad). De quoi donc décoder les failles de notre système et ses possibles dérives. Mais quid de l’utopie ?
L’utopie de science-fiction
La dystopie est présente depuis longtemps dans nos imaginaires : songeons à l’impact du 1984 de George Orwell. Cependant, des auteurs comme Dick, Ursula Le Guin ont aussi bâti des intrigues proposant des modèles alternatifs de sociétés, des sortes d’utopies. Dick avec Loterie solaire remet au goût du jour le tirage au sort des dirigeants et Le Guin avec Les dépossédés peint elle une société anarchiste. Iain Banks avec son cycle de la Culture propose avec son roman une société galactique gérée par des IA plutôt bienveillantes (mais avec des travers, lisez le cycle). Kim Stanley Robinson joue avec le thème de l’utopie avec passion, tant avec sa trilogie sur la terraformation de Mars qu’avec son dernier roman Le ministère du futur. Au final, voici un excellent essai de Vincent Gerber qui souligne bien que nous avons besoin d’utopies pour bâtir le monde de demain (mais en restant toujours critique), surtout dans ce moment si incertain et anxiogène.
Sylvain Bonnet