Pardon d'avance, je vais commencer façon 3615 mylife, parceque je chronique un texte qui s'apprécie certainement de manière très variable selon les individus.
L'épopée de Gilgamesh et moi, c'est une grande histoire d'amûr. J'ai découvert ma première version du mythe dans les Science et Vie Junior de l'âge d'or (oui, l'âge d'or existe même pour cette revue) à 10 ans, en même temps que les mythes egyptiens et la quasi découvertes des mythes grecs. J'ai depuis collectionné quelques adaptations jeunesse, en fragments dans les Mythes et légendes de chez Hachette, en intégrale chez les Fernand Nathan de ma bibli (oui, je fais dans l'antédiluvien) et chez Gründ (ma version préférée).
Enfin à vingt ans, je réalisais mon rêve en achetant le plutôt ardu texte original traduit par Jean Bottéro chez A l'Aube des peuples, et à la même époque (attention, enfin un repére fandomique) découvrait le roman de Silverberg, qui est peut-être la seule rationalisation de mythe à avoir trouvé crédibilité à mes yeux (faut dire que le Maître parvient à rationaliser le mythe en en gardant toute la poésie...qu'est ce que vous dîtes de ça, les réal de Troy et King Arthur, là ?).
Et voici donc maintenant l'adaptation par Abed Azrié, poète syrien qui a aussi mis le texte en musique et l'a interprété. Une version élaborée au plus près du textre d'origine, à partir des différentes tablettes, au point de se revendiquer comme traduction dans la bilbio de fin d'ouvrage. Autant dire que je ne lit rien de neuf depuis Jean Bottéro, mais par contre je lis plus facilement, la version étant en quelques sorte restaurée, les lacunes de mots comblées, les passages les plus fragmentaires et les plus frustrants purement écartés ou importés des versions fragmentaires (pour mémoire, la vulgate des adaptateurs et la version ninivite, en 12 tablettes au grand complet, même si plus ou moins abîmées).
Ce travail de restauration, ni plus ni moins l'aboutissement d'un siècle d'archéologie, permet de rendre dans toute sa fluidité la poésie du texte, qu'elle soit formelle ou plus profonde. A côté des inconvénients inévitables des répétitions et de la sécheresse du style, les images ont acquis une beauté étrange (ou une belle étrangeté ?), et surtout il y a l'humain derrière chaque ligne : les personnages ne sont pas des archétypes creux, du moins s'ils restent archétypaux ils incarnent des valeurs profondes à chercher davantage dans l'introspection du sage que dans l'héroïsme collectif (l'héroïsme est d'ailleurs très relatif ici). Un texte exigent et qui laissera beaucoup de monde sur le carreau, mais beau.
Par contre, l'adaptation a un défaut, est il est de taille à mes yeux : le poète a fait le choix d'à peu près tous les adaptateurs, qui devient franchement discutable par rapport à ses ambitions : écarter purement et simplement la tablette XII de la version ninivite, un texte qui n'a rien d'apocryphe donc, mais qui a toujours gêné inexplicablement par le fait qu'il ne s'inscrivrait pas dans la ligne de l'intrigue, donnait une version alternative et métaphorique de la mort d'Enkidu (la baguette et le cerceau tombé aux Enfers, un tambour chez Silverberg je crois) suivi d'une descente aux Enfers (enfin, un dialogue à travers le "soupirail des Enfers"). Un clou poétique de l'épopée est ainsi purement ignoré pour un motif de cohérence, or quand on sait que Silverberg, le susnommé, avait réussi à faire la synthése des deux versions de la mort d'Enkidu (l'une des trouvaille poétique qui me font douter du terme "rationalisation"), la présente auto-censure n'a rien de glorieuse.
Du coup, l'excellent travail d'Azrié me servira d'avantage d'outil, d'aide pour saisir la poésie du texte dont la vraie version française reste pour moi la traduction brute de Bottéro, véritable bénédiction de l'édition française.
Et je vais commander le Silverberg, trois ans que je l'ai rendu à la bibli et il commence seulement à me manquer....
Soslan