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Alien, pourquoi le revoir ? Les bonnes raisons de Nicolas Martin
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Alien, pourquoi le revoir ? Les bonnes raisons de Nicolas Martin

"Alien ne se contente pas de renouveler la science-fiction intergalactique : il crée un genre, le space horror"

Le 25 mai prochain, nous fêterons les quarante ans de la sortie du premier opus d'Alien au cinéma.

Depuis cette date, il est devenu un film et un univers cultes. L'image de cet extraterrestre tueur et de Sigourney Weaver tenant de lui échapper font parties de notre champ culturel commun, de nos références geeks. Mais plus qu'une blague, le film et ses suites ont marqué l'histoire du cinéma.

Nous avons demandé à deux spécialistes de nous en parler. D'un côté Nicolas Martin, journaliste et présentateur
de l'émission La Méthode Scientifique sur France Culture, de l'autre Simon Riaux, rédacteur en chef d'Ecran Large, webzine incontournable sur le cinéma. Tous les deux participent à l'émission Le Cercle sur Canal +.

Dans ce premier entretien découvrez l'avis de Nicolas Martin.

Actusf : Alien, le huitième passager a quarante ans, quel regard portez-vous sur ce film ?

"Avec Alien, l'horreur contamine l'espace et solde les comptes des extra-terrestres en costume latex des décennies précédentes."

Nicolas Martin : Alien, c'est une bascule. La bascule de la science-fiction au cinéma qui s'était illustrée, quelques années avant, par le succès mondial de Star Wars, dans le space opera, vers un univers hostile, sombre, crasseux et terrifiant. Il y a un avant et un après Alien, peut être même plus qu'il y a un avant et un après Star Wars.

Avec Alien, l'horreur contamine l'espace et solde les comptes des extra-terrestres en costume latex des décennies précédentes.

C'est un coup de maître, une œuvre totale, portée par l'imaginaire conjugué de trois artistes complets : Giger pour le design de la créature et de son univers (le vaisseau, le face hugger, le space jockey, etc.), Scott pour la maestria de la mise en scène et le choix du hors champ (on ne voit quasiment jamais la créature en entier, jusqu'à la fin), et sans oublier la musique de Jerry Goldsmith, qui, sur un thème minimaliste, nous fait ressentir l'immensité du vide
spatial.

Actusf : Avec le recul, quelle est sa place dans le cinéma de science fiction ? En quoi est-il culte ?

Nicolas Martin : C'est plus que culte, c'est une clé de voûte. Sans le premier Alien, l'espace reste un terrain de jeu qui se dispute à coups de rayons lasers pour conquérir des planètes exotiques.

Alien ne se contente pas de renouveler la science-fiction intergalactique : il crée un genre, le space horror, il crée une mythologie, centrée sur une héroïne, une femme, interprétée par Sigourney Weaver, dont il ne va cesser de questionner la féminité, la masculinité, le rapport à la procréation. C'est une œuvre totale, qui a bouleversé la culture cinématographique et populaire de la fin du XXème siècle.

Actusf : Qu'est-ce qu'il apportait à l'époque, est-ce qu'il était vraiment original ?

"Alien, c'est la revanche de la femme prolétaire sur le pouvoir masculin tyrannique et capitaliste."

Nicolas Martin : Le fait de choisir une femme comme héroïne d'action - choix confirmé par Cameron dans Aliens - et de ne pas en faire un personnage passif, terrifié, paralysé par la terreur, c'est déjà révolutionnaire.

Le choix de laisser la peur, l'horreur se dérouler dans 80% du film en hors champ : à part la scène choc de "l'accouchement" et de la larve d'alien qui sort du ventre de John Hurt, il n'y a quasiment aucune violence directe montrée à l'image : le monstre se confond avec le vaisseau, il est toujours en arrière plan, flou, ou au contraire,
soudainement trop près, et la scène est coupée au moment de la sortie de la seconde mâchoire, à peine a-t-on le temps de distinguer les détails de la mise à mort.

Enfin, last but not least, Alien est un grand film politique : ce sont les prolétaires de l'espace, des ouvriers, des mécaniciens, qui sont propriété d'une corporation pour qui leur vie ne vaut rien, qui sont sacrifiable à merci pour servir d'incubateurs à cette arme biologique parfaite qu'est l'alien.

Alien, c'est la revanche de la femme prolétaire sur le pouvoir masculin tyrannique et capitaliste.

Actusf : Comment pourriez-vous décrire la créature ? On en fait parfois l'incarnation de la nature face aux humains, ou celle du minotaure dans son labyrinthe... On la voit aussi très peu...

Nicolas Martin : C'est le génie conjugué de Giger et de Scott.

Je me souviens, lorsque j'ai découvert pour la première fois les travaux préparatoires de Giger, j'avais été abasourdi par la nature hyper sexuelle, obscène, de ces créatures... que je n'avais fait que discerner dans le film. Si cette essence sexuelle des monstres avait été soulignée, montrée de façon frontale, elle en aurait perdu sa puissance, elle aurait peut être même frôlé le ridicule. Or là, on ne sait pas, on pressent que tous ces monstres sont des sexes monstrueux, des vagina dentata, des phallus baveux et mortels. Mais cela reste au niveau de l'intuition, du suggéré... et donc redoutablement plus efficace dans la distillation du malaise.

Actusf : La technologie semble face à la menace totalement dérisoire non ?

"Dans Alien, ce n’est pas la chair qui est triste, c’est la technologie, qui réplique la chair, qui réplique la famille, mais en la pervertissant, en prenant le parti de la créature biomécanique, c’est une technologie dépassée, contaminée par la perfection de la créature au service de laquelle elle s’est mise."

Nicolas Martin : Alien n'est pas un film sur la technologie.

La technologie, elle aussi est contaminée par l'imaginaire sexuel malade de la créature. L'ordinateur de bord, qui envoie les membres de l'équipage à une mort certaine, s'appelle "Mother". C'est une mère infanticide, froide, sans visage, une série de diodes clignotantes dans une petite salle capitonnée, quasi-utérine.

L’autre chef d’œuvre de technologie, c’est Ash, un androïde félon, traitre, fasciné par le monstre, et qui n’a rien d’un robot mécanique mais qui n’est au contraire qu’éruptions blanches, laiteuses, épaisses… difficile là aussi de ne pas prendre de plein fouet la dimension si évidemment sexuelle de ce personnage.

Dans Alien, ce n’est pas la chair qui est triste, c’est la technologie, qui réplique la chair, qui réplique la famille, mais en la pervertissant, en prenant le parti de la créature biomécanique, c’est une technologie dépassée, contaminée par la perfection de la créature au service de laquelle elle s’est mise.

Actusf : Il y a eu depuis d'autres Aliens (au-delà de la trilogie initiale). Quel est le meilleur film ? (Ou est-ce les suites sont en trop...)

"Alien est devenu un élément de la culture populaire, tout le monde connait cette créature, c’est un mythe contemporain."

Nicolas Martin : Le meilleur film est pour moi indiscutablement le premier. Pour toutes les raisons mentionnées précédemment, pour la façon dont il plante les graines d’une mythologie qui va finir par dépasser les limites
cinématographiques de la première tétralogie. Qu’on ait vu ou non Alien, qu’on aime ou non les films, indépendamment même de la qualité cinématographique ou du genre qu’il déploie : Alien est devenu un élément de la culture populaire, tout le monde connait cette créature, c’est un mythe contemporain.

Ensuite, je trouve des qualités à chacun des films de la première tétralogie, des défauts aussi bien entendu, mais cette tétralogie vit par le regard singulier que chacun des réalisateurs va apporter à cette mythologie, la compléter à travers son interprétation du mythe - s’il fallait ne retenir qu’une scène, en dehors du premier film, ce
serait bien évidemment le combat de Ripley contre la Reine Alien à la fin d’Aliens - “get away from her, you bitch !” - qui propulse le personnage de Ripley comme égale de la quintessence de la créature, la Reine, et l’inscrit comme surfemme, comme déesse au panthéon de la monstruosité biomécanique. Le Fincher, qui est souvent mal aimé, me
semble au contraire particulièrement aimable en ce qu’il fait la synthèse de la bête et de la femme, des questions de masculinité morbide, d’enfantement et de maternité infanticide.

La nouvelle trilogie, nettement moins réussie, a tout de même fait se pari intéressant de substituer à Ripley et à sa maternité impossible une thématique inverse, démiurgique, un paternité pervertie dans le personnage prométhéen de David, qui cherche à surpasser son créateur, à enfanter lui aussi, d’un monstre, forcément.

Actusf : Depuis donc, il y a eu aussi d'autres films dans cette lignée. En quoi faut-il encore regarder ce film aujourd'hui ? Fait-il toujours aussi peur ? Est-ce que c'est un monument historique ou est-il toujours d'actualité ?

Nicolas Martin : Le premier Alien doit être vu, revu, et rerevu tellement il est une leçon de cinéma, plan par plan, et peut être paradoxalement celui de la première tétralogie qui a le moins mal vieilli.

Et par ailleurs, je vous mets au défi de ne pas avoir la trouille quand Harry Dean Stanton part dans les couloirs du Nostromo à la recherche de Jonesy le chat, ou quand Dallas se faufile dans les conduits d’aération avec son lance-flamme et pour seule indication le bip-bip du détecteur de mouvement…

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