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Interview 2015 : Olivier Paquet pour Structura Maxima
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Interview 2015 : Olivier Paquet pour Structura Maxima

 ActuSF : Structura Maxima est réédité en juin aux éditions l'Atalante. Quel  regard portez-vous aujourd'hui sur ce roman, publié pour la première fois il y a douze ans ? Avez-vous fait des changements sur le texte pour cette réédition ? 
 
Olivier Paquet : Je suis content de cette réédition, parce qu’elle me ramène au souvenir de Jacques Chambon, le directeur de la collection Imagine, chez Flammarion. Redonner vie à ce projet, c’est aussi lui rendre hommage. En plus, ce qui est toujours intéressant dans un premier roman, c’est le côté inconscient de la démarche : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » disait Marc Twain. Beaucoup de premiers romans ont ce côté foutraque indispensable.
 
Retravailler un texte demande de conserver une part d’indulgence. Je ne suis plus la même personne, mes centres d’intérêt se sont déplacés, et sans doute que j’insisterais désormais sur d’autres aspects. Cependant, ce roman a été apprécié, et j’ai toujours le livre d’or des lecteurs du prix Imaginales des lycéens obtenu en 2004. Changer tout, ce serait désobligeant pour ces lecteurs, comme une manière de nier leur plaisir de lecture.
 
Alors, si je n’ai pas modifié l’essentiel de l’histoire, j’ai procédé à deux changements importants. En 2002, je n’étais jamais allé en Italie, j’ai donc passé quelques jours à Rome pour m’imprégner de l’atmosphère, pour donner un parfum italien plus marqué même si je ne pouvais pas trop développer. Ensuite, j’ai « mis à jour » le style. J’écris en écoutant mes phrases, et ça provoquait parfois un rythme de respiration. Vu la nature dialectique du monde de Structura Maxima, ce n’était pas un handicap, mais j’ai profité de la réédition pour chasser tous ces tics, pour épurer encore.
 
 
ActuSF : Structura Maxima est décrit l'affrontement entre deux factions, les Poutrelles et les Vapeurs ? Qui sont-elles ? Qu'est-ce qui les oppose ? 
 
Olivier Paquet : La Vapeur, c’est le monde de la machine, des ingénieurs, la faction technologique qui maîtrise le magma pour créer de l’énergie électrique dans des chaudières. Les Poutrelles, c’est une communauté mystique vivant dans le dôme de ce monde clos par une paroi métallique. Officiellement, ils entretiennent les poutrelles qui soutiennent les niveaux accrochés à cette fameuse paroi, mais ils se posent comme les gardiens de ce monde, invoquant des interdits religieux pour empêcher que l’on cherche à explorer ce qui se passe de l’autre côté. « Scienza contro oscurantismo » pour reprendre le titre d’un peintre futuriste, Giacomo Balla, que l’on peut voir au musée d’art moderne de Rome.
 
L’opposition est forte, mais le sujet du roman, c’est que les mots qu’ils utilisent, les textes qui les motivent sont plus proches qu’ils le pensent. J’aime bien l’idée que les adversaires les plus violents parlent parfois le même langage.
 
ActuSF : Au milieu de ce conflit, évoluent vos deux héros, Victor Mégare et son fils Jehan. Pouvez-vous nous les présenter ? Sont-ils impliqués dans le conflit entre les Poutrelles et les Vapeurs ?  
 
Olivier Paquet : Victor Mégare, c’est un peu le héros déchu. Jadis, il avait l’opportunité de changer le monde, de briser tous les conservatismes, mais un excès de prudence et un accident l’ont privé de cette possibilité. Pire, avec son bras mort et son visage brûlé, il porte son échec en permanence. Il tente de conserver un peu de pouvoir, mais tout lui échappe. Son fils, Jehan, choisit d’éviter ce destin. Il veut trouver une place dans ce monde sans subir le même sort que son père. Par envie et par défi, lui, le fils de la Vapeur, veut vivre parmi les Poutrelles, l’ennemi héréditaire.
 
Cependant, ce qui définit le mieux ces personnages, c’est leurs couples. Victor n’existe que parce que sa femme, Lugine, est à ses côtés, à la fois tendre et amère. Jehan ne mûrit qu’au contact de deux femmes : sa marraine, Marquisa, une guerrière exceptionnelle, lumineuse et dangereuse, et Julie, une jeune inconnue, exploratrice et mystérieuse. Le conflit entre les Poutrelles et la Vapeur s’incarne dans ces couples. Pour que Victor surmonte ses ténèbres, il lui faudra aussi mettre à jour les difficultés de son couple, pour que Jehan trouve sa place dans la Structure, il devra choisir entre la voie de Marquisa et celle de Julie.
 
ActuSF : Dans la présentation du roman est cité le Château dans le Ciel. Structura Maxima puise-t-il  une partie de son inspiration dans ce film d'animation de Hayao Miyazaki ? 
 
Olivier Paquet : Ce premier roman était l’occasion de témoigner de toute cette culture du manga et de l’animation japonaise que je côtoie depuis plus de 20 ans. J’ai tout un tas de références aussi limpides que le train Structura Express 999, le château de Laputa ou le personnage de Noshikaa, la prêtresse (qui est une transcription déformée de la prononciation japonaise de Nausicaä). A part les références, il y a aussi un esprit manga dans la manière de concevoir les personnages, un certain rythme dans les scènes d’action et de contemplation. Marquisa a des attitudes qui ressemblent plus aux samouraïs de manga qu’aux mousquetaires de Dumas.
 
J’assume totalement cette grammaire narrative du manga, qui ne s’arrête pas aux détails graphiques, cette façon d’adapter l’écriture aux nécessités de la narration plutôt que d’avoir une approche uniforme. Les amateurs de BD franco-belge sont souvent désarçonnés par ce dessin qui efface les décors pour attirer l’attention sur l’expression d’un visage ou un détail. J’essaie de faire la même chose dans l’écriture, ça permet de dynamiser l’ensemble, de créer naturellement des changements de rythme sans perdre de vue l’histoire. Pour moi, raconter une histoire est le contrat minimum que je passe avec le lecteur, les techniques du manga me permettent d’apporter d’autres choses sans rompre ce contrat.
 
 
ActuSF : Structura Maxima n'est pas sans rappeler le Métropolis de Fritz Lang. Ce roman s'inscrit-il dans la tradition des récits dystopiques, comme 1984 de George Orwell ou le Meilleur des mondes de Aldous Huxley ? 
 
Olivier Paquet : Le côté Metropolis, il est plutôt dans la description d’une cité-monde technologique, c’est une parenté graphique. Politiquement, la Structure est un projet dont l’objet est de lutter contre le temps. C’est un monde fermé, et fermé depuis un temps indéterminé. Comment éviter la sclérose, comment éviter de sombrer dans la célébration mémorielle ? Les créateurs de la Structure ont mis au point une technologie pour éviter cet écueil, et jusqu’au début du roman, cette technologie a parfaitement rempli son rôle. J’ai mis en exergue la chanson de Nino Ferrer, le Sud, pour évoquer un monde heureux, pas totalement idéal, mais heureux, qui va basculer dans la guerre au regret de tous.
 
L’autre aspect qui est central, c’est la référence au futurisme italien. Avec Philippe Curval, on s’était aperçu que la science-fiction littéraire n’avait jamais utilisé le futurisme comme source d’inspiration, pourtant, ce mouvement artistique qui débute en 1905 a eu un impact très important sur toute l’Europe, en célébrant l’union de l’art et de la technologie. Son fondateur, Marinetti, fut une personnalité si importante que durant l’entre-deux-guerres, on disait que trois hommes pouvaient changer le destin de l’Italie : le poète d’Annunzio, Mussolini et Marinetti. Le futurisme fait partie des rares mouvements d’avant-garde à s’allier avec un totalitarisme. Quand on lit les textes du futurisme, on comprend pourquoi ce discours était proche du fascisme, et j’ai voulu montrer comment une idéologie conditionne, pas juste avec des slogans, mais en créant un état d’esprit, une vision du monde. 
 
ActuSF : Monde sur le déclin, ou du moins à son point de rupture, Structura Maxima veut-il faire écho à notre propre société avec ses mégapoles toujours plus grandes ?
 
Olivier Paquet : Quand j’ai discuté avec Jacques Chambon de la publication de ce roman, c’était en 2001, après le 11 septembre. Il y avait dans Structura Maxima, les mêmes effets de sidération et de violence après un acte terroriste. Et quand j’ai retravaillé le roman pour la réédition, on était après le 7 janvier. Ce qui m’intéresse, ce sont les effets sociaux après un événement traumatisant, comment nous réagissons devant l’imprévu, ce qui nous sort de notre confort ?
 
Je terminais ma thèse sur la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres pendant l’écriture de ce roman. Sans rentrer dans les détails, je m’étais posé la question « comment une démocratie peut se détruire ainsi ? ». Certes, il y avait la pression d’Hitler, mais ce n’est pas une explication suffisante. Dans la Structure, les principaux dirigeants des communautés sont des personnes raisonnables, sensées, intelligentes, mais qui vont devoir se radicaliser, faire monter la tension pour ne pas être dépassés par les fractions les plus extrémistes de leurs camps. On peut passer de la paix à la guerre en quelques jours, par une forme d’enchaînement de tensions (voir le déclenchement de la guerre de 1914).
 
J’adore écrire sur les villes, sur les mégapoles, sur cette organisation de nos vies qui nous accorde une grande liberté et une grande solitude. Nous avons du mal à appréhender les changements dans une ville, parce que c’est plus souvent une agrégation de comportements individuels que de grands mouvements identifiables. Ce que montre ce roman, c’est que la véritable révolution, elle n’a pas forcément besoin d’un héros, ni de slogans, qu’elle peut se développer sous nos yeux, sans en avoir conscience. 
 
 
ActuSF : Y aura-t-il une suite ou d'autres romans qui s'inscriront dans l'univers de Structura Maxima ?
 
Olivier Paquet : En rééditant Structura Maxima, je clos une sorte de cycle. Dans le premier tome du Melkine, sur le vaisseau-université, un cours d’histoire mentionne les dômes, comme celui de la Structure, mais aussi le temps des cités que l’on voit dans les Loups de Prague. Tous ces romans, jusqu'au Melkine, traitent de thématiques proches. A chaque fois, c’est l’évolution des sociétés et des cultures qui est en jeu. Parfois la politique y est très présente, comme dans Structura Maxima, parfois elle y est absente, comme dans les Loups de Prague, ou bien elle est protéiforme ou latente comme dans le Melkine. J’ai un peu terminé pour l’instant avec ces questions.
 
Mon prochain roman part dans une toute autre direction, même si on retrouve des parentés, je m’attache cette fois au vivant, à la complexité du vivant à travers les intelligences artificielles et les bio-technologies ou le transhumanisme, mais on y trouvera toujours le même goût pour le récit et la grande aventure, dans une Europe qui cherche à renouer avec le futur. 
 
ActuSF : Où vos lecteurs pourront vous trouver prochainement en dédicaces ? 
 
Olivier Paquet : A partir de la rentrée, deux rendez-vous importants sont prévus. Le premier, c’est les Intergalactiques à Lyon en octobre, dont le thème est le temps, et cela me permettra de parler de Structura Maxima à cette occasion. Le deuxième, ce sont les Utopiales en novembre, à Nantes.
 
ActuSF : Le mot de la fin : avez-vous un coup de cœur, en tant que lecteur, à nous faire partager ?  

Olivier Paquet : Ce ne sera pas de la science-fiction, mais c’est surtout une auteure qui m’a vraiment impressionnée ces derniers temps : Estelle Faye et sa Voie des oracles, chez Scrinéo. Je n’ai pas encore eu le temps de lire le tome 2, mais ce qui est fascinant, c’est de voir quelqu’un qui développe son écriture dans autant de directions différentes. Certes, entre « La dernière lame » et « Un éclat de givre » on sentait le progrès du jeune écrivain, mais désormais, on y voit de l’exploration, une écriture qui évolue, qui tente des choses, etc. J’espère qu’elle se mettra un jour au space-opéra, le peu que j’ai lu d’elle dans ce domaine est enthousiasmant. De l’aventure, de l’énergie, du talent, que demander de plus ?
 
 
 
 

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