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Serpentine

Michel Pagel (Préface), Mélanie Fazi ( Auteur), Bastien L. (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 28/02/2010  -  livre
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Serpentine

Mélanie Fazi est avant tout traductrice, même si elle a d'abord, dès ses dix-sept ans, commencé à écrire des petites histoires fantastiques. C'est en tout cas en traduisant des romans de Lois McMaster Bujold (Le Fléau de Chalion, Paladin des Âmes...), Graham Joyce (Lignes de vie, Les Limites de l'enchantement) ou Simon Clarke (Vampyrrhic par exemple) qu'elle gagne sa croûte. L'écriture est surtout une passion donc, récompensée par un nombre plus qu'honnête de publications. À ce jour, Mélanie Fazi a ainsi vu paraître deux romans, Arlis des forains et Trois pépins du fruit des morts, et deux recueils de nouvelles, Notre-Dame-aux-Écailles et Serpentine, aujourd'hui réédité dans la collection Folio SF de Monsieur Gallimard.

Dix nouvelles pour explorer l'univers fantastique de Mélanie Fazi

Serpentine est le premier recueil de nouvelles de Mélanie Fazi, dont la première édition date de 2004. Il rassemble dix nouvelles qui transportent le lecteur de l'atelier d'un tatoueur qui transcende son art à une ville américaine abandonnée et peuplée de fantômes, en passant par une aire d'autoroute aux habitués étranges ou le métro parisien dans lequel on peut croiser des individus étonnants...

Mélanie Fazi met en scène des personnages étranges...

Quand on pense littérature fantastique, on pense fantômes, démons, esprits, voire même magie. Il y a de cela dans Serpentine.
Mélanie Fazi dévoile par exemple dans Le Faiseur de pluie, aux travers des yeux juvéniles de ses personnages principaux la rencontre hallucinante et inquiétante avec un esprit qui condamne, par des averses torrentielles, leur famille à rester cloîtrer pendant les vacances d'été.
Les personnages de Ghost Town Blues sont pour leur part totalement différents, puisque ce sont des démons qui piègent les voyageurs égarés atteignant Copeland Falls. Et c'est non sans un certain plaisir que le lecteur découvre petit à petit le traquenard tendu par les trois redoutables créatures dont l'auteur nous délivre les secrets avec une patience délectable.
Il y a aussi dans Serpentine des dieux ou demi-dieux, comme ceux de Mémoires des herbes aromatiques. En l'occurrence, c'est Ulysse et Circé que Mélanie Fazi met en scène, avec humour : la sorcière est aujourd'hui la patronne d'une restaurant grec, dont l'ancien roi d'Ithaque a beaucoup entendu parlé.

Le fantastique offre d'autres possibilités, comme par exemple à l'auteur de pouvoir se mettre à la place de personnages qu'il n'est pas. En effet, à deux reprises, Mélanie Fazi utilise des personnages qui, on peut le dire, sont victimes de folie et elle leur donne la parole, rend logique leurs comportements apparemment irréfléchis et irresponsables.
Ainsi, dans Rêves de cendre une adolescente voit-elle dans les flammes d'une cheminée un phénix. Obnubilée par cette figure tutélaire, elle n'aura de cesse de rechercher un moyen de la faire réapparaître, au péril de sa vie.
Quant au personnage du Passeur, c'est tout simplement un tueur psychopathe, obsédé par sa première victime. Comme dans le texte précédemment cité, Mélanie Fazi décrit ce qui peut passer par la tête de l'aliéné, donne des explications qui peuvent, à défaut évidemment de justifier ses actes ou des les rendre acceptables, les faire compréhensibles. Et c'est grand.

...en musique...

Si on trouve dans Serpentine des éléments familiers des textes fantastiques, il n'est pas pour autant un recueil de nouvelles sans originalité. Mélanie Fazi a sa propre façon de mettre en scène les figures traditionnelles de son genre littéraire de prédilection. Une façon personnelle car il apparaît qu'elle trouve son inspiration dans ses passions, et en premier lieu la musique.
Ainsi, dans Nous reprendre à la route découvre-t-on une aire d'autoroute, refuge de ceux victimes de la route, en attente d'un passage vers ailleurs. Pour les guider jusqu'à ce havre, Léonine utilise la musique, tel le joueur de flûte de Hamelin, bien que là le style soit différent, puisque c'est le rythme entraînant de Jig of life de Kate Bush qui permet d'attirer les cadavres ambulants vers la zone de transit avant autre chose.
La place de la musique est encore plus importante dans Matilda, texte dans lequel Mélanie Fazi nous invite à un concert. Cette dernière fait parfaitement ressentir les émotions du fans face à son idole, puisque le personnage principal de la nouvelle vient voir se produire son groupe favori. L'émotion que vit le lecteur est renforcée puisqu'il s'aperçoit peu à peu que Matilda Cross et ses musiciens se produisent là de façon bien plus qu'exceptionnelle... Ce texte n'est d'ailleurs pas, sous certains aspects, sans rappeler le roman Gig de James Lovegrove. La traductrice de ce dernier, qui n'est autre que Mélanie Fazi elle-même, n'a sans doute pas été choisie par hasard puisque la nouvelle, antérieure au roman, a la même façon de glorifier magnifiquement la musique et les concerts.
Dans ces deux nouvelles, l'auteur réussit parfaitement à transmettre les émotions de ses personnages, en utilisant le support de la musique. Elle démontre également une autre facette de son talent d'écrivain de fantastique : la maîtrise de la divulgation au compte-goutte des éléments étranges qui plongent petit à petit le lecteur dans un univers où la réalité est subtilement décalée, jusqu'à une stupéfiante révélation finale, celle qui la fait basculer dans une autre dimension.

...dans des lieux familiers mais mystérieux...

On trouve aussi dans Serpentine d'autres sources d'inspiration de l'auteur : les lieux qu'elle fréquente.
Le métro parisien par exemple, puisque l'action de Petit théâtre de rame se déroule dans ce dernier. On y rencontre trois usagers du métropolitain, qui croisent tous un homme accompagné d'un chien, au comportement étrange et qui est évidemment, puisque nous sommes dans une nouvelle fantastique, un être particulier. Cette nouvelle est très parlante pour qui connaît bien le métro parisien. Les personnages de Mélanie Fazi, on peut les croiser chaque jour dans les rames, et pourquoi pas l'homme au chien lui-même...?
Il y a aussi, comme autre lieu emblématique, la boutique de tatouage de Serpentine, nouvelle qui ouvre le recueil. On y suit un client qui vient se faire tatouer. Mais il ne s'adresse pas à n'importe qui : l'artiste qui va peindre sa peau dispose d'une encre particulière qui transcende le tatouage, en faisant plus qu'un simple dessin. Encore une nouvelle magnifique dans sa réalisation, mais aussi dans l'utilisation de son thème. Le tatouage est une armure ou un moyen de se donner un genre. Mais si c'était plus que cela ? C'est en tout cas cela le fantastique : rendre extraordinaire ce qui est ordinaire, et Mélanie Fazi l'a bien compris et l'exploite magnifiquement.

...et tout cela avec talent

Avec ce premier recueil de nouvelles, Mélanie Fazi a démontré un talent exceptionnel. Le format du texte court semble parfaitement convenir à cet auteur à l'écriture plaisante, dont les mots coulent avec souplesse sur la page. Elle maîtrise de plus parfaitement l'art de transporter le lecteur dans un univers très proche du nôtre, où la réalité n'est que subtilement et habilement différente.
Tellement subtilement que les enfants sont souvent seuls à voir les dissemblances, eux qui n'ont pas encore une vision désabusée du monde, eux qui ont l'âge des rites de passage. Un thème récurrent dans les nouvelles du recueil où les personnages – fantômes, esprits, tueurs, simples mortels – sont au seuil d'une transcendance, d'un passage vers un autre stade de la vie ou de la mort, d'un changement tout simplement.

Aussitôt Serpentine refermé, on en redemande. Tant mieux, Notre-Dame-Aux-Écailles, l'autre recueil de Mélanie Fazi, est également prévu au catalogue Folio SF.

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