- le  
Batman a 80 ans - Pourquoi le Chevalier Noir est-il toujours si populaire ?
Commenter

Batman a 80 ans - Pourquoi le Chevalier Noir est-il toujours si populaire ?

En mars dernier, Batman fêtait ses 80 ans.

Créé par le dessinateur Bob Kane et le scénariste Bill Finger, il apparaît pour la première fois dans le comic book Detective Comics no 27 de mai 1939, sous le nom de The Bat-Man.

Mais comment se fait-il que 80 ans plus tard ce héros justicier vêtu de noir ait encore tant de succès ?

Pour le comprendre, nous avons posé quelques questions à Bertrand Campeis.

Actusf : Pourquoi, selon vous Batman a-t-il autant marqué le monde du comics, du cinéma et en de la SF en général ?

"Batman, c’est un peu (beaucoup) l’image du combattant, du vigilante que l’on colle à l’Amérique : le justicier qui fait ce qui est juste, envers et contre tout, quitte à en payer systématiquement le prix, en refusant d’accéder à quelque chose qui s’apparente au bonheur."

Bertrand Campeis : Parce qu’il joue avec de nombreux codes en les détournant. Auparavant, dans les westerns, on mettait les héros en couleur blanche ou lumineuse et les méchants en couleur noire, afin que le public puisse les différencier immédiatement. Quand on voit Batman la première fois on se rend compte qu’il défonce littéralement cette image, un sombre chevalier, qui bondit la nuit sur des criminels dangereux et violents et qui restent persuadés qu’ils affrontent un croquemitaine terrifiant, un esprit vengeur, un justicier implacable et un détective hors pair. Ajoutez à cela une panoplie de gadgets bien plus cools que ceux de James Bond, une identité secrète, de multiples tragédies, secouez le tout et savourez sans plus attendre votre cocktail Gotham (K)night, qui a su parfaitement traverser les époques…

L’autre truc c’est que ce personnage est un être humain normal (enfin pas vraiment, quand on songe aux blessures de guerre qu’il doit se traîner derrière à force d’affrontements variés : dos brisé par Bane, multiples contusions et fractures, traumatismes crâniens en tout genre et ne parlons même pas des troubles psychologiques ! Entre le syndrome du survivant, une paranoïa plus que prononcée et un sens du sacrifice poussé à l’extrême, on peut difficilement dire que Batman est un personnage respirant la joie de vivre) qui a traversé bien des épreuves, fait face à des choix cornéliens, vécu des évènements traumatisants et qui a toujours su se relever. Batman, c’est un peu (beaucoup) l’image du combattant, du vigilante que l’on colle à l’Amérique : le justicier qui fait ce qui est juste, envers et contre tout, quitte à en payer systématiquement le prix, en refusant d’accéder à quelque chose qui s’apparente au bonheur.

Actusf : Batman explore de nombreuses thématiques, notamment la gestion de la criminalité, les jeux de pouvoirs, les replis plus ou moins noirs de l’âme humaine...
Est-ce qu’on peut dire que les problématiques soulevées dans les œuvres (films, comics, dessins animés) sont toujours d’actualité ? Ou ont-elle évoluées ?

"Batman fait toujours face, de nos jours, à des super-criminels avec leurs plans monstrueux et alambiqués, ou à des menaces d’ordre cosmique, mais en ayant intégré des peurs qui nous sont propres : ainsi la trilogie de Christopher Nolan s’interroge, en filigrane, sur le combat solitaire du super-héros dans un monde post 11 septembre : celui-ci fait-il la différence ? A-t-il seulement encore sa place dans ce monde ?"

Bertrand Campeis : Tout est toujours d’actualité, Batman reste l’un des personnages qui a su s’adapter et évoluer avec son temps. Criminalité, folie, jalousie, envie, meurtres crapuleux sont toujours là (et le seront toujours si on pense à la série Batman Beyond, qui se situait dans un futur quasi-cyberpunk et nous montrait la relève avec un nouveau Batman, formé et encadré par… Un Bruce Wayne vieillissant qui continue encore et toujours sa lutte contre le crime !) Batman fait toujours face, de nos jours, à des super-criminels avec leurs plans monstrueux et alambiqués, ou à des menaces d’ordre cosmique, mais en ayant intégré des peurs qui nous sont propres : ainsi la trilogie de Christopher Nolan s’interroge, en filigrane, sur le combat solitaire du super-héros dans un monde post 11 septembre : celui-ci fait-il la différence ? A-t-il seulement encore sa place dans ce monde ? En jouant avec ses codes, Nolan s’interroge sur la figure d’un super-héros que l’image de l’Amérique qu’il incarne : celle d’une justice brutale et sans pitié sous couvert de lutter face à des ennemis multiples et invisibles… Ou comment la figure du héros se lézarde pour laisser place à celle de l’être humain persuadé de combattre pour quelque chose de juste au point d’y perdre son âme. Ces derniers temps on s’interroge sur la santé mentale du héros, sur son rapport à la violence (l’excellent Batman White Knight de Sean Murphy), sur sa capacité à être heureux en épousant la femme de ses rêves (l’arc sur le mariage entre Batman et Catwoman) ou tout « simplement » en en faisant un élément essentiel du DC Universe (ce qu’il est déjà : vous accolez à peu près n’importe quoi à côté du mot Batman et hop ! Les dollars tombent du ciel, c’est magique !) à travers une quête cosmique impliquant des versions perverties de Batman (Batman Métal, qui entre des moments convenus de bastons comporte des moments WTF qui en font tout son sel), enfin, Scott Snyder et Greg Cappulo, après avoir fait un bon bout de chemin avec le personnage le projettent à la fin des temps et s’interrogent sur sa nature profonde (Batman Last knight on earth, bientôt chez nous !)… Comme on le voit, entre image traditionnelle du Héros au grand cœur mais qui le cache (faut pas déconner c’est quand même Batman), personnage tourmenté, relectures variées d’une icône, on est presque surpris de se dire qu’on continue de redécouvrir un personnage iconique au bout de 80 ans (et pourvu que ça dure doivent se dire les comptables de DC !)

Actusf : Batman, c’est aussi Gotham City, sans oublier l’asile d’Arkhman. Arkham qui est d’ailleurs une ville imaginaire du Massachusetts, États-Unis, créée par l'écrivain H.P. Lovecraft.
Peut-on voir ces lieux comment aussi important que le héros ? Voir plus ? Que représentent-ils ?

Bertrand Campeis : Pour ceux qui sont intéressés par Gotham City, je les renvoie au très bon article de Xavier Mauméjean (Bienvenue à Gotham. Guide touristique à l’usage du visiteur de la ville-ténèbres paru dans Les Cahiers de la BD Hors-Série 1 Batman pourquoi il revient toujours ?, 2018) sur la ville et ses évolutions à travers le temps, avec ses bâtiments emblématiques, sa carte revue et corrigée par bon nombre d’auteurs, et son look gothico-moderne.

"Lieu incontournable, souvent détruit, reconstruit ou relocalisé ailleurs, il incarne la souffrance, les tourments voire… Une porte ouverte sur l’enfer [...] qui donne une tonalité fantastique fort bienvenue."

L’histoire de l’Hôpital Arkham, qui devint par la suite l’Asile Elizabeth Arkham pour les fous criminels, plus communément appelé Asile d’Arkham est… Particulière comme on peut s’en douter.

L’institution apparaît en 1974 et est souvent renommé (Hôpital, Asile) il faudra attendre la première incursion de Grant Morrison dans le bat-universe, avec son histoire Arkham Asylum (que vous pouvez trouver traduit chez nous sous le titre Batman Arkham Asylum chez Urban comics en 2014), pour découvrir sa longue, tumultueuse et horrifiante histoire. Créé par un médecin qui devint fou et finit patient dans son propre établissement, on se demande souvent si le lieu ne rend pas fou à défaut de soigner les tourments de ses patients… Il suffit de voir la longue liste de celles et ceux qui y travaillèrent et devinrent fous (comme le Docteur Jonathan Crane, plus connu sous son avatar terrifiant d’Épouvantail, ou la Doctoresse Harleen Quinzel, qui s’amourachât du criminel psychotique qu’était le Joker et finit par le rejoindre dans sa folie destructrice sous le pseudonyme d’Harley Quinn). Lieu incontournable, souvent détruit, reconstruit ou relocalisé ailleurs, il incarne la souffrance, les tourments voire… Une porte ouverte sur l’enfer (C’est montré avec talent dans l’histoire Les patients d’Arkham (traduction biaisée de Arkham : living hell) qui donne une tonalité fantastique fort bienvenue. Y a-t-il un lien avec la ville imaginaire qu’a imaginé Lovecraft ? Pas forcément, mais le diable se dissimulant dans les détails, on peut en douter. A noter pour celles et ceux qui se demandent s’il est possible de fusionner les deux univers, il existe un très bon Elseworld (les uchronies dans l’univers DC), qui s’intitule La Malédiction qui s'abattit sur Gotham, où Batman se confronte à rien moins que le Mythe de Cthulhu, et où l’on constate que les deux univers cohabitent fort bien…

Actusf : Créé par le scénariste Bob Kane et le dessinateur Bill Finger, Batman a vécu et vit encore de très nombreuses aventures. Qu'est-ce qu'il apportait à l'époque, connaissez-vous les principales inspirations de Batman et de son univers ? Etait-il vraiment original ?

"Il se retrouva avec un héros en costume rouge qu’il baptisa tout d’abord Bird Man, mais le résultat ne lui plaisant pas, il changea les ailes en ailes de chauve-souris et le renomma Batman."

Bertrand Campeis : L’origine de Batman n’est pas vraiment un beau conte de fées (c’est le moins que l’on puisse dire), pour celles et ceux que ça intéresse, je recommande la lecture du roman graphique Joe Schuster Un Rêve américain (Urban Comics, 2018), qui raconte l’histoire de Superman à travers son premier dessinateur, ainsi que la lecture de l’article La genèse de Batman de Jean-Paul Jennequin (Les Cahiers de la BD Hors-Série 1 Batman pourquoi il revient toujours ?, 2018) qui explique ça bien mieux que moi.

Bob Kane est venue voir l’éditeur de Superman avec cette simple question : « est-ce que les créateurs de Superman gagnaient beaucoup d’argent ? » ce à quoi il lui fût répondu « Tout à fait. Pourquoi ne rentres-tu pas chez toi pour voir si tu peux créer quelque chose toi aussi ? »

Il rentra chez lui et commença à griffonner un personnage, avec un costume inspiré par… Léonard de Vinci et l’idée de la double identité en repensant au film The Mark of Zorro. Il se retrouva avec un héros en costume rouge qu’il baptisa tout d’abord Bird Man, mais le résultat ne lui plaisant pas, il changea les ailes en ailes de chauve-souris et le renomma Batman. Bob Kane contacta alors son scénariste attitré, Bill Finger qui modifia considérablement le personnage, il lui donna le look que nous lui connaissons et rajouta bon nombre d’éléments emblématiques. Le tour de magie commença là : Bob Kane s’arrogea la création pleine et entière de Batman et laissa Bill Finger complètement dans l’ombre (ce ne fût pas le seul à être mis de côté d’ailleurs). Son rôle essentiel dans la création de Batman sera reconnu après sa mort et la petite phrase que vous voyez au début de chaque film (Batman créé par Bob Kane Et Bill Finger) lui rend un hommage mérité.
Pour l’époque le personnage est un héros normal : nanti d’une panoplie de gadgets, de revolvers, d’une double identité, il emprunte à The Shadow (Héros sombre et menaçant, ancien criminel qui combat le mal en prenant une apparence menaçante et en usant de deux colts 45. Il fût un héros de pulps et connût les honneurs d’un feuilleton radiophonique. Pour la petite histoire il a même eu droit à un film, réalisé par Russell Mulcahy en 1994, avec Alec Baldwin dans le rôle-titre. Le film ne rencontra pas le succès escompté mais reste une curiosité à regarder) et n’hésite pas à tuer les criminels qu’il pourchasse (il changera par la suite et abandonnera les armes à feu, qu’il a en horreur, mais cela vous avez dû le remarquer). Une autre source d’inspiration est également Zorro pour ce qui est de la double identité et de la lutte pour la justice. Bref, comme on le voit le personnage en soit n’est pas forcément original au départ, mais la création d’alter-egos maléfiques, comme le célébrissime Joker (Alan Moore en a fait une description grandiose et controversée dans le sublime Killing Joke, que j’ai découvert ado sous le titre Souriez ! Et qui m’a indéniablement marqué. Nul doute que cette histoire a inspiré le film Joker, qui soit sortir à la fin de l’année avec Joaquin Phoenix dans le rôle-titre et que j’attends avec impatience pour voir… Quelle vision peut-on avoir du Joker de nos jours ? Après Jack Nicholson et Heath Ledger, je préfère oublier le pauvre Jared Leto, je dois avouer attendre énormément de celui-ci), Catwoman, le Pingouin, L’homme-mystère, Pile ou Face (dont les origines nous sont narrées dans le monumental Un long Halloween) et tant d’autres vont permettre de développer un univers qui ne connaîtra jamais de limites. Ses origines tragiques, sa capacité à surmonter les obstacles, le fait qu’il s’agit du plus grand détective du monde (là aussi inutile de deviner à qui l’on pensait en disant cela) en font un personnage qui peut aussi bien combattre que mener l’enquête, braver la mort à maintes reprises et toujours revenir pour mieux nous étonner.

Actusf : Batman, ce n’est pas que des comics et notre héros masqué s’est vu adapté de nombreuses fois au cinéma, avec plus moins de succès. Quel est selon vous le meilleur film ? Celui qui transcrit le mieux l’âme du comics ? Pourquoi ?

"Pour moi cela reste envers et contre tout Batman le retour : par son atmosphère, l’ambiance qui s’en dégage, et la façon dont les personnages sont mis en scène, c’est un véritable opéra gothique et tragique."

Bertrand Campeis : Pour moi cela reste envers et contre tout Batman le retour : par son atmosphère, l’ambiance qui s’en dégage, et la façon dont les personnages sont mis en scène, c’est un véritable opéra gothique et tragique. A titre personnel je recommande fortement la série animée, qui a su (re)définir tant de personnages, que ce soit Mr Freeze, Man-Bat, ou encore Gueule d’argile… Je recommande toujours chaudement Batman contre le fantôme masqué qui saisit tout ce qui fait l’essence tragique du personnage et les dessins animés : que ce soit Batman Year One et Dark Knight Returns qui ont su saisir l’essence de ses deux œuvres de Frank Miller, Batman Gotham by Gaslight, une uchronie steampunk grandiose et dont le dessin animé est une merveille, s’éloignant de l’œuvre originale (premier Elseworld au monde) pour mieux la transcender (quelle brillante idée d’intégrer Catwoman et d’en faire un des rouages essentiels du scénario). Et pour le côté délirant, WTF totalement assumé de bout en bout Batman Ninja devrait plaire à énormément de personnes (je n’ai pas encore vu Batman et les Tortues Ninja et j’espère que ça sera dans la même veine) !

Actusf : Ce personnage incontournable véhicule beaucoup d’anecdotes, est-ce qu’il y en a une qui vous a particulièrement marqué ?

Bertrand Campeis : Il y en a tellement : entre celle de Paul Dini, scénariste de la série animée, qui parle de l’agression qu’il a subie à travers l’histoire Dark Knight : une histoire vraie, celle de Frank Miller qui voulait tuer Batman dans Dark Knight Returns mais n’y est pas arrivé, l’interview où Mark Hamill révéla qu’il avait décidé de sortir le grand jeu lors de l’audition pour faire la voix du Joker dans la série animée, en se disant que le jury regretterait de ne pas l’avoir pris, c’est là qu’il testa le fameux rire du Joker qui est devenu sa seconde signature… L’une de mes préférées, reste un regret (quasi uchronique quand on y songe) : Tim Burton souhaitait réaliser un troisième et dernier film, dont l’action aurait pu prendre place pendant Halloween, et où Batman aurait eu à affronter deux nouveaux ennemis : l’homme-mystère (Robin Williams était intéressé) et l’épouvantail (là il y avait du monde pour le rôle : Jeremy Irons, Robert Englund et Brad Dourif qui aurait eu ma préférence), Warner Bros préféra tourner la page Tim Burton à la fois pour des raisons financières et… Morales : Batman le retour rencontra un succès certain mais le studio pensa qu’il aurait pu avoir plus de succès s’il avait été moins sombre, avec des personnages moins torturés… Un non-sens absolu, surtout quand on songe à ce que nous avons eu par la suite, Batman Forever et Batman et Robin de Joel Schumacher.

Actusf : Un album anniversaire doit sortir en septembre et s'intitulera simplement Batman : 80 ans. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

"Pour ma part j’attends avec impatience de voir le Bat-signal illuminer la nuit parisienne à cette occasion [...], ça sera certainement quelque chose de grandiose !"

Bertrand Campeis : Il s’agit de la fusion du Detective Comics N°1000 et de l’anthologie 80 years of Batman qui revient, à travers une série d’histoires cultes ou rares sur l’histoire de Batman, le livre sort la veille de la journée mondiale de Batman, le 21 septembre, ce qui sera un bel hommage. Pour ma part j’attends avec impatience de voir le Bat-signal illuminer la nuit parisienne à cette occasion (actuellement il y en a un à Marseille), ça sera certainement quelque chose de grandiose !

Actusf : Quel est votre image préférée du Chevalier Noir ?

Bertrand Campeis : J’avoue un faible plus que prononcé pour l’ultime image de Batman le retour : voir le Bat-Signal illuminer la nuit et Catwoman réapparaître reste une des images qui a longtemps marqué l’ado que j’étais. La fin de The Dark Knight est très belle et très forte également.
Mais indéniablement mon image préférée reste le générique de la série animée ! L’image finale avec Batman et l’éclair illuminant la nuit me marque toujours.

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?