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Dimension Uchronie n°3 - L'interview de Jean-Guillaume Lanuque
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Dimension Uchronie n°3 - L'interview de Jean-Guillaume Lanuque

A l'occasion de la parution de l’anthologie Dimension Uchronie 3, dirigée par Bertrand Campeis et Hermine Hémon, aux éditions Rivière Blanche, Jean-Guillaume Lanuque revient sur l'écriture de sa nouvelle, …Ces myriades d’étoiles rouges dans le ciel !

Actusf : Bonjour, Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours en tant qu'écrivain ?

Jean-Guillaume Lanuque : Je suis un enseignant du secondaire en histoire-géographie, également passionné depuis l’enfance par la science-fiction. J’en lis, j’en chronique (dans Galaxies, en particulier), j’en analyse à travers des articles. Mais pour ce qui est d’en écrire, je m’y étais essayé d’abord à l’adolescence : un roman de space opéra en 6e, Aux confins de l’univers, dans lequel je mettais en scène mes camarades de classe ; le début d’une série (soyons fou !) en 3e racontant les aventures d’un groupe de copains engagés dans une patrouille du temps (Au-delà du temps) ; la transposition des aventures du jeu de rôle Pendragon, notre grande passion d’adolescence, sous forme d’un roman (Les Chevaliers méconnus)…
Ensuite, un grand hiatus jusqu’en 2010. Et subitement, en me promenant avec mon épouse le long de la plage à Biarritz, une image s’est imposée à moi, celle d’une malle contenant des centaines de cassettes audio, sur lesquelles étaient fixées des heures et des heures du son du flux et du reflux de l’océan. Ce fut le point de départ d’une nouvelle, « As-tu jamais essayé d’emprisonner la mer ? », restée inédite à ce jour, mais qui a eu le mérite de me redonner le goût d’écrire de la fiction. Pendant longtemps, mes nombreuses lectures me laissaient penser que je n’avais rien à apporter de neuf ou d’original au genre. Finalement, l’avancée en âge aidant, peut-être, je me suis mis à l’ouvrage, sous mon propre nom ou sous pseudonyme, ayant pour l’heure une dizaine de nouvelles à mon actif (et un projet de roman).

Actusf : Comment avez-vous découvert l'uchronie ? Y a t-il une œuvre qui vous a marqué profondément ?

Jean-Guillaume Lanuque : Il est difficile pour moi de me remémorer ma toute première découverte avec l’uchronie, mais il est fort possible que cela soit De peur que les ténèbres, de Lyon Sprague de Camp. C’est un roman qui figurait dans la bibliothèque de ma mère, fan déjà de science-fiction. J’avais été frappé par cette histoire d’un homme du XXe siècle se retrouvant en plein déclin de l’empire romain, et qui réorientait le cours de l’histoire ; je me souviens d’ailleurs avoir été en partie frustré par l’absence de prolongement, de suite !
Il m’est par contre impossible de citer une seule œuvre uchronique m’ayant marqué : en vrac, il y a la trilogie d’Oswald Bastable, fascinante ; La Lune seule le sait, qui retissait de l’espoir à partir de la Commune de Paris ; les Chroniques sarrasines, très belle œuvre de Jacques Boireau, imprégnée d’esprit 68 ; Les Oranges de Yalta que j’ai pu enfin lire il y a quelques mois en version numérique, un roman méconnu mais passionnant ; Roma Aeterna de Robert Silverberg et Semper Lupa de Meddy Ligner, que j’ai eu la chance de pouvoir relire ; Les Derniers jours du paradis, de Robert Charles Wilson, et Mes Vrais enfants, de Jo Walton, deux romans profondément humains, touchants… sans oublier certains Fleuve noir, les uchronies de Pierre Barbet ou L’Histoire détournée de Jean Mazarin, en particulier.

Actusf : Pourriez-vous nous expliquer comment vous êtes entré dans l'aventure Dimension Uchronie ?

Jean-Guillaume Lanuque : Très simplement. J’avais chroniqué pour Galaxies le tome 1 de Dimension Uchronie, et en réaction à cette critique positive, Bertrand Campeis avait adressé un courriel à Pierre Gévart pour l’en remercier, courriel que ce dernier m’a transmis. J’ai donc contacté Bertrand Campeis pour lui proposer d’écrire une nouvelle pour un prochain Dimension Uchronie, ce qu’il m’a encouragé à faire, en m’expliquant qu’elle serait bien sûr lue et évaluée par Hermine Hémon et lui-même. Avec une échéance qui m’a stimulé, début juillet. J’ai donc rédigé la nouvelle tout au long du mois de juin 2019. Leur satisfaction m’a fait chaud au cœur !

Actusf : Comment s'est passé l'écriture de votre nouvelle ?

Jean-Guillaume Lanuque : Au départ, deux lectures m’ont particulièrement marqué, et sont à l’origine de cette uchronie. Capital rouge, de Francis Spufford, dont je cite un extrait en excursus, et qui retraçait les espoirs des années Khrouchtchev en URSS ; Le Projet Cybersyn d’Eden Medina, aux très belles éditions B2, évocation du projet d’une informatisation avancée de l’économie planifiée et socialiste du Chili d’Allende. J’avais donc très envie de réfléchir à ce qu’aurait pu être le monde si ces espoirs et ce projet avorté par le coup d’Etat de Pinochet avaient pu se réaliser pleinement. C’est d’ailleurs pour cela que mes deux personnages principaux sont soviétique et chilien, avec un hommage, à cet égard, à un des films les plus magnifiques que j’ai pu voir dans ma vie : Nostalgie de la lumière, de Patricio Guzman. J’ai d’abord élaboré toute une chronologie alternative de mon continuum imaginaire, dont je ne mets à profit que quelques éléments dans ma nouvelle, avant de me lancer dans l’écriture proprement dite.

Actusf : Pourriez-vous expliciter votre uchronie en nous parlant de son Point de Divergence ?

Jean-Guillaume Lanuque : En réalité, le point de divergence n’est qu’un point de départ engendrant une multitude de divergences. Je souhaitais éviter la concentration de l’intrigue sur une différence exclusive. Je préfère souvent des changements plus globaux, plus systémiques, en somme, à l’image de ce que Robert Silverberg a fait pour La Porte des mondes. Mon point de divergence, c’est la mort de Mao en 1960, d’une rupture d’anévrisme. Sa disparition permet d’éviter la fracture entre la Chine et l’URSS, et ainsi de conserver un camp socialiste plus uni. La Chine peut ainsi aider les Black Panthers aux États-Unis, et se passe également de la révolution culturelle, sa jeunesse étant envoyée dissiper son énergie révolutionnaire dans les autres pays d’Asie du sud-est. Parallèlement, le Vietnam, aidé par les deux géants communistes, oblige les États-Unis à investir davantage de moyens dans la guerre qu’ils y mènent… Ce ne sont là que quelques-uns des changements provoqués en cascade, d’autant que l’intrigue de la nouvelle se déroule une quarantaine d’années plus tard. Mais comme dans toute uchronie, je me suis amusé à faire de nombreux clins d’œil à notre histoire, avec des décalages que j’espère réussis !

Actusf : Y-a-t-il un message que vous souhaitiez faire passer en l'écrivant ?

Jean-Guillaume Lanuque : Oui, explicitement. Souvent, les uchronies touchant aux bolcheviks et à la Russie révolutionnaire devenue URSS insistent sur les côtés sombres, mortifères, criminels, faisant de l’Union soviétique cet « empire du mal » dénoncé par Reagan. Mais les choses sont autrement plus complexes, et l’URSS a constamment connu des évolutions, des remises en cause partielles, inachevées, jusqu’à la présidence de Gorbatchev où tout était déjà sclérosé en profondeur. Un peu comme l’école des historiens étatsuniens dits révisionnistes à l’époque de la guerre froide (rien à voir avec le négationnisme, bien sûr !), j’ai voulu montrer que l’URSS aurait pu évoluer autrement, entre le scénario chinois que l’on a connu (dictature politique et ouverture maximale au capitalisme) et l’URSS réellement existante (dictature politique et économie centralisée bloquée). Sans parler du Chili et d’autres pays, évitant de la sorte l’hégémonie du néo-libéralisme. Pour autant, l’URSS dans ma nouvelle n’est pas le paradis sur terre que présentait la propagande de jadis, simplement une puissance ayant su tirer parti d’une ouverture démocratique partielle et d’innovations technologiques, actrice majeure d’un monde peut-être meilleur que celui que l’on connaît. Pas de prosélytisme dans mon esprit, simplement une volonté de stimuler la réflexion, d’alimenter le débat, afin de dégager le brouillard dans lequel notre avenir est actuellement noyé.

Actusf : Travaillez-vous sur d'autres projets uchroniques ou souhaitez-vous en faire à nouveau par la suite ?

Jean-Guillaume Lanuque : Je suis un passionné d’uchronie, j’en ai lu énormément, bonnes ou moins bonnes, tout en potassant la bible d’Eric Henriet et le guide de Karine Gobled et Bertrand Campeis. L’uchronie est un terrain de jeu infini, et qui réserve bien des plaisirs. J’aimerais beaucoup en écrire d’autres, mais tout dépend des occasions et des mystères de l’inspiration. Mon projet de roman comporte une dimension uchronique à un moment donné. Je travaille également à une suite de nouvelles, ayant pour personnages des super-héros du XVIIIe siècle, dits supra-humains. A priori, leurs actions prennent place dans les coulisses de l’histoire réelle, mais l’uchronie peut s’y nicher, comme dans la nouvelle que je suis en train d’écrire, autour d’un déplacement temporel, ou comme dans « La régénération des Quatre Merveilleux », publiée dans Dimension Epoque contemporaine, qui semble ouvrir sur un possible uchronique…

Actusf : Les mots de la fin vous appartiennent, c'est à vous !

Jean-Guillaume Lanuque : L’uchronie a le vent en poupe actuellement, aussi bien chez les historiens (Pour une histoire des possibles de Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou) que parmi les auteurs de littérature « générale » (Laurent Binet et son Civilizations), en attendant peut-être d’autres séries que The Man in the High Castle… Mais n’oublions pas que l’uchronie est également devant nous, et que les choix, les actes, les engagements que nous prendrons quant à l’avenir de l’humanité seront la matière de fictions futures !

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