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Game Of Thrones - La série passée au travers du filtre des statistiques !
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Game Of Thrones - La série passée au travers du filtre des statistiques !

La saison 8 de Game of Thrones, la série de HBO adaptée de l'univers de George R.R. Martin, est actuellement diffusée depuis le 14 avril dernier aux USA, le 15 en France.
Aujourd'hui est d'ailleurs le jour de la diffusion du 3ème épisode et celui-ci promet d'ores et déjà beaucoup d'action si l'on en croit les images teaser à la fin de l'épisode 2.

Mais Game of Thrones, ce ne sont pas que combats, trahisons et amitiés. C'est aussi des statistiques avec Romane Beaufort et Lucas Melissent !

Actusf : Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire cette étude ?

Romane Beaufort et Lucas Melissent : Nous avons réalisé cette étude dans le cadre de notre Master de démographie. Nous devions alors étudier les facteurs de mortalité à partir d'une base de données. La facilité aurait voulu que l'on travaille à partir d'une base existante. Mais nous avons préféré la difficulté ! Tout concourait à faire de Game of Thrones un super sujet d'étude :

- Il s'agit d'un phénomène mondial. Du fait de son ampleur, c'est aussi un phénomène sociologique. Cette série dit quelque chose de la société par laquelle et pour laquelle elle est produite. Étudier les ressorts de cette série c'est en quelque sorte accéder par un biais original à certaines représentations que l'on peut avoir.

- A l'opposé, la démographie est une science humaine et sociale qui demeure peu connue. Mener une étude ludique mais pas pour autant dénuée de sens permet donc de la faire connaître.

- Pour réaliser une étude statistique et démographique, il est nécessaire de disposer d'une grosse quantité de données. C'est le cas dans Game of Thrones ! Il y a un grand nombre de personnages et nous disposons d'un grand nombre de renseignements sur eux (sexe, âge, lieu de naissance, rang social, pratiques sexuelles, culture, religion ...).

Mais qu'on se le dise, nous n'aurions sûrement pas réalisé cette étude si Romane n'avait pas eu envie de la visionner pour la première fois. En 2018, alors que tout le monde parle de cette série, elle ne l'a toujours pas vu ! L'envie la prend. Nous n'aurions sûrement pas réalisé cette étude si Lucas n'avait pas été un grand fan de ladite série. Je connaissais l'univers et je le savais propice à cette étude. Rappelons que nous avons réalisé cette étude sur 14 mois et que nous y avons travaillé à plein temps sur notre année de Master 2 et sur une grande partie de notre temps libre depuis que nous sommes tous deux travailleurs (je suis aujourd'hui socio-démographe à la Gendarmerie Nationale et Romane Beaufort est statisticienne à la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse). En ce sens, nous n'aurions sûrement pas réalisé cette étude si nous n'étions pas deux jeunes fous qui se sont faits happés par l'univers de Game of Thrones.

Actusf : Comment avez-vous travaillé ?

Romane Beaufort et Lucas Melissent : Le point de départ de notre étude a consisté à recueillir une quantité énorme de données.

Comment savoir si le handicap joue un rôle dans la mortalité à Westeros ? En indiquant pour chaque personnage s'il est handicapé ou non. Mais qu'est-ce que le handicap à Westeros ? Il peut être physique ou mental bien évidement. Il peut être aussi social. Ainsi, la bâtardise est un handicap dont les personnages portent le stigmate jusque dans leur nom ! Vous l'aurez compris, il faut faire une hypothèse, définir la caractéristique puis finalement recueillir la donnée en visionnant la série ou en compilant de la donnée à partir de fanbases existantes. Nous avons pris soin de séparer le travail (ici par exemple j’ai renseigné les variables qui étaient présentes dans les fanbases tandis que Romane a dénombré et chronométré ce qui était visible à l'écran).

Au total, nous avons construit une base de donnée composée de 398 personnages décrits par 50 caractéristiques chacun. Ça fait plus de 20.000 cases à remplir !

Ensuite il nous a fallu réaliser des analyses statistiques (grâce à des statistiques descriptives, des régressions logistiques et des modèles de durée) et démographiques, rédiger les articles, créer le site internet... Mais le plus éprouvant ça a vraiment été de construire une base de données immense sans savoir si on allait réussir à en tirer quoi que ce soit.

Actusf : Est-ce que cela a été facile par rapport à une étude plus "classique" ?

Romane Beaufort et Lucas Melissent : Non pas du tout ! On a déjà évoqué la difficulté de la création de la base (de nombreuses études sur Game of Thrones s'épargnent cette étape pour ré-analyser la base de Kaggle qui regroupe les centaines de personnages présents dans les livres en les décrivant par 5 variables). Pour ce qui est du reste, c'est en tout point similaire à une étude "classique". Nous formulons les hypothèses de la même manière, nous travaillons avec la même rigueur et nous utilisons des outils statistiques ayant déjà faits leurs preuves (Romane utilise les régressions logistiques dans son travail pour prédire les comportements de départ en retraite, les chercheurs et démographes recourent fréquemment aussi bien aux régressions logistiques qu'aux modèles de durée). Ce n'est pas parce que l'objet d'étude est ludique que la démarche ne peut pas être scientifique. Le ton plutôt léger de notre site internet peut faire oublier qu'il s'agit de notre mémoire de recherche. Celui-ci a été très bien accueilli par le corps enseignant de notre fac qui nous a d'ailleurs invité à donner plusieurs cours sur le sujet !

Actusf : Vous répondez à un certains nombres de questions comme par exemple celle de la place des femmes. Est-ce que que Game Of thrones est une série misogyne ?

Romane Beaufort et Lucas Melissent : C'est une question très complexe et on ne peut y répondre sans s'attirer une foule d'ennemis.

Ce qui est certain, c'est que certains personnages féminins (les principaux), connaissent une ascension sociale fulgurante. Nous pensons notamment à Daenerys : la cadette des Targaryen bizutée par son frère, est à la tête d'une puissante armée et semble en position de monter sur le trône de fer.

Pour autant, nous pensons que ce n'est pas suffisant pour conclure que Game of Thrones est une série féministe. De la même façon que l'on ne peut pas dire que la France est un pays féministe parce que quelques femmes sont au pouvoir, un démographes ne peut pas dire que la série l'est du fait de quelques personnages féminins forts. Pour avancer cela, il faut présumer de l'intention des scénaristes et réalisateurs. Le démographe quant à lui étudie l'intégralité des personnages féminins et ne fait pas de suppositions sur les intentions des différents acteurs. Nous avons donc étudié la façon dont les femmes sont montrées à l'écran.

Il en ressort qu'elles combattent moins, qu'elles se prostituent plus, qu'elles apparaissent 2 fois plus souvent nues à l'écran que leurs homologues masculins. Elles sont aussi plus jeunes que les personnages masculins (24 ans en moyenne contre 37 ans pour leurs homologues masculins). Elles accèdent aussi moins à des rôles politiques et lorsque c'est le cas elles demeurent des "femmes de". Les femmes sont aussi les victimes quasi exclusives des violences sexuelles. Quant à l'argument qui voudrait que tous ces faits soient dictés par la nécessité de vraisemblance avec l'époque médiévale... Rappelons qu'il y a des marcheurs blancs, des dragons, des enfants de la forêt... Partant de là, on pourrait bien faire des personnages féminins égaux !

Actusf : Votre étude sur le corps est passionnante. Oui le corps masculin impose une domination quand le féminin la subit. Mais la série montre aussi des corps différents non ?

Romane Beaufort et Lucas Melissent : Bien sur ! Nous montrons que 10% des personnages nommés ont un handicap. Nous avons par exemple dénombré trois nains nommés. Il y a aussi un grand nombre de personnages corpulents (17%). Et encore, il ne s'agit là que des caractéristiques que nous avons étudiées. Mais Brienne, sans être ni handicapée ni corpulente, a un corps anormal (comprendre différent de la norme). C'est ce qui a fait dire à certains analystes que Game of Thrones mettait en avant des minorités en quête d'émancipation. Il est vrai que dès la saison 1, Tyrion dit à Jon de faire de sa bâtardise une force "were it like an armor" (Erving Goffman parlerait de retournement du stigmate).

Toutefois, les démographes que nous sommes ne se hasarderont pas à faire une telle lecture. Nous tâchons de rester plus "objectifs" en analysant simplement l'impact de ces caractéristiques sur la mortalité. Nous avons montré que les personnages handicapés avaient quatre fois moins de risque de mourir que les personnages qui ne l'étaient pas (toutes choses égales par ailleurs). Cela pourrait accréditer la thèse de l'émancipation. Mais patatras, les personnages corpulents décèdent deux fois plus que ceux qui ne le sont pas. Certains ont même parlé de fat shaming.

Ce qui est passionnant dans Game of Thrones, c'est la profondeur de l'univers. Modes de vie, religions, corpulences, tailles, couleurs de peau... Tout est complexe, multiple et peut potentiellement avoir un effet sur la mortalité des personnages.

Actusf : Vous avez un article assez amusant. Finalement les personnages principaux n'ont que peu de chances de mourir...

Romane Beaufort et Lucas Melissent : Oui, ça peut paraître contre intuitif mais c'est effectivement l'une des conclusions majeures de notre étude. Vous venez à peine de lire cela que déjà vous éructez : "Comment peuvent-ils dire cela alors que Ned Stark est mort de même que Catelyn et Robb !". Vous avez raison. Mais que pèsent ces personnages face à Jon Snow, Daenerys, Sansa, Cersei ou Jaime ? Pas grand chose en terme d'épisodes d'apparition par exemple. Or, nous montrons que lorsqu'un personnage apparaît dans plus de 30 épisodes, il a 250 fois moins de risque de décéder. En fait, les risques sont très importants lorsque le personnage apparaît dans une dizaine d'épisodes. Ces personnages sont alors dans une phase ascendante. Ils prennent de l'importance sans pour autant être totalement moteur de l'intrigue. Au contraire, c'est la mort de ces personnages qui fait avancer l'histoire (celle de Ned ou d'Oberyn en sont de bons exemple).

Actusf : Parmi tout ce que vous avez étudié, quelles ont été vos plus grandes surprises ?

Romane Beaufort et Lucas Melissent : Dans le monde réel, il existe une multitude de facteurs de mortalité ! Un cadre peut espérer vivre plus longtemps qu'un ouvrier, un non-fumeur plus longtemps qu'un fumeur... Mais nous avons été très surpris de trouver de semblables logiques dans une fiction ! Nous ne pensions pas du tout obtenir de tels résultats (au début de l'étude nous doutions d'ailleurs de seulement pouvoir retrouver des déterminants à la mortalité dans Game of Thrones). D'autant plus que beaucoup de journalistes disaient qu'aucun personnage n'était à l'abri de la mort. Mais finalement, est-ce si surprenant ? Ça paraît en effet logique qu'un combattant soit plus exposé à la mort. Ça paraît logique qu'un seigneur détenteur du pouvoir s'expose aux complots et donc à la mort. Même dans une fiction. Mais réussir à le prouver statistiquement a été une surprise. Nous espérons aujourd'hui avoir évincé l'idée selon laquelle la mort frapperait au hasard dans Game of Thrones et ne plus voir des fans nous rétorquer que les scénaristes tireraient une pièce pour déterminer le destin de leurs personnages.

Nous avons aussi été très surpris par la mortalité extrême de la série ! Le taux de mortalité par homicide en saison 1 est de 26%. C'est 400 fois plus qu'en Colombie. En France, cela représenterait près de 15 millions d'homicides contre 825 en réalité.

Actusf : Y'a-t-il des stats qui changent à partir du moment où la série diverge des romans ?

Romane Beaufort et Lucas Melissent : Oui, bien que qu'aucun de nous deux n'ait lu les livres, nous avons noté des différences. Petyr Baelish est le seul personnage qui décède alors qu'il dépasse les 30 épisodes d'apparition. Notre modèle peine à comprendre sa mort car il devrait être protégé par son importance. Il s'agit donc d'une mort originale, d'une exception statistique. Or, le personnage de Petyr est bien plus complexe dans les livres que dans la série. Il ne livre pas Sansa à Ramsay par exemple dans les livres. En le faisant dans la série, il se condamne en quelque sorte car il devient détestable aux yeux des spectateurs. Il est aussi détesté par les Stark, garants de la justice et protagonistes de premier ordre. On peut imaginer que George R R Martin ne l'aurait pas tué aussi brutalement. De nombreux lecteurs se sont insurgés lors de sa mort. Ne sachant plus quoi faire du personnage, les scénaristes l'auraient mis à mort. Et notre modèle n'y comprend plus rien.

Actusf : On imagine que vous allez regarder la saison 8. Est-ce que vous allez modifier votre étude en fonction de cette saison ?

Romane Beaufort et Lucas Melissent : Nous allons bien évidemment vérifier si nos prévisions étaient bonnes. Pour l'instant pour le premier épisode, aucune surprise. On y croit ! Toutefois, Game of Thrones doit aussi son succès par les surprises que nous réservent les scénaristes. Si le modèle se trompe, c'est qu'ils auront changé les logiques de la mortalité. C'est d'ailleurs le gros défi de la huitième saison : surprendre une dernière fois les spectateurs de Game of Thrones. Si nos modèles se trompent, nous aurons alors la compensation de voir une fin qui n'était pas prévisible.

Actusf : Allez, vous pouvez nous le dire, qui va monter sur le trône de fer à la fin ?

Romane Beaufort et Lucas Melissent : Nous ne croyons pas du tout en la victoire des Marcheurs Blancs. D'ailleurs, le roi de la nuit ainsi que son dragon ont de fortes probabilités de décéder d'après notre modèle. Pour autant, nous ne croyons pas non plus à une happy end avec Jon et Daenerys sur le trône. Cette dernière est d'ailleurs le personnage principal à la plus forte probabilité de décéder (16%). Elle paie le fait de combattre, d'être noble, d'apparaître longtemps à l'écran... Nous pensons donc à une fin douce amère. Le roi de la nuit est vaincu au prix de la mort de l'héroïne. Jon, l'héritier légitime du trône ne veut régner et délègue à Tyrion ou Sansa (et pourquoi pas les deux tiens !) le soin de gouverner.

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