Arkadi et Boris Strougatski étaient des écrivains russes de SF. On peut aisément dire qu’ils sont les plus connus des écrivains russes de SF tant leurs œuvres ont rayonné sur les 5 continents, et ce, même malgré la censure omniprésente qu’ils ont connue de leur vivant. Leurs univers sont d’une grande qualité, et sont propices à des adaptations multiples (jeux vidéo, films, expositions…) grâce à la finesse et à la complexité de ceux-ci. Stalker. Pique-nique au bord du chemin, Il est difficile d’être un dieu, L’île habitée, ou encore L’auberge de l’alpiniste mort sont autant de livres qui permettent de découvrir leurs univers propres, pleins de sensibilité et d’intelligence.
Une situation bien délicate.
La planète Arkanar est dans une situation peu enviable : les intellectuels et les savants sont persécutés, leur mort est demandée par le ministre de la Sûreté, le tyrannique Don Reba, et les morts s’entassent alors. Les savants, les lettrés, les artistes, les écrivains, peuvent influencer le peuple, et cette influence peut remettre en cause la légitimité du pouvoir ! Un royaume d’illettrés et d’analphabètes va pouvoir voir le jour sans difficulté, et ce n’est pas sans rappeler, de notre côté de l’univers, des régimes de terreur comme l’Allemagne nazie, la Russie de Staline et l’Espagne de l’Inquisition.
Mais cette situation intéresse grandement des historiens de l’Institut d’histoire expérimentale de la Terre, notamment Don Roumata, qui vont voyager jusqu’à cette planète pour s’intégrer aux vivants et observer ce monde. Cependant, cette connaissance pointue de l’univers, et leur technologie avancée, font d’eux des dieux. Les dieux incognito ne devraient pas intervenir sur cette planète, mais est-ce si facile ? Est-il possible de repousser les dilemmes moraux face à cette société destructrice ?
Un livre politique et humaniste à la fois.
Notons qu’avec peu de pages les frères Strougatski développent une intrigue et une pensée très profonde et complexe. Il est difficile d’être un dieu offre une vision politique et philosophique pointue, qui nécessiterait presque une deuxième lecture pour appréhender l’ensemble de l’œuvre. Les deux frères ont une vision terriblement lucide de leur monde, et remarquablement actuelle malgré la date d’écriture du livre, ce qui fait de ce roman une magnifique œuvre d’anticipation.
L’ensemble est empli d’une certaine tristesse et d’une lourdeur, conséquence de ce tyrannique Don Reba. Le développement est très poignant et happe le lecteur sur cet univers qu’il n’est pas simple d’appréhender dans les premières pages. La vision d’un être observateur, providentiel, est très intéressante, et le tiraillement ressenti pour le protagoniste entre sa volonté d’intervenir face à ces injustices, mais son devoir de rester simple observateur comme le veut son rôle d’historien, est parfaitement ressenti par le lecteur.
Les auteurs font souvent intervenir les pensées de Don Roumata, le protagoniste principal malgré la flopée d’autres personnages. Ces pensées donnent au roman une véritable profondeur psychologique à l’œuvre, et permet de donner à Don Roumata une belle profondeur.
Le mélange de SF et de fantasy est particulièrement agréable, et c’est cela qui permet à notre protagoniste Roumata d’être vu comme un dieu. Sa supériorité scientifique et technologique lui permet des prodiges qui semblent inhumains sur Arkanar. Cette vision permet aux frères Strougatski de rentrer dans une vision divine, avec tout ce que cela implique : un dieu doit être intervenir, et être palpable par les croyants ? ou doit-il rester une entité toute puissante qui n’intervient pas directement ?
Ce roman est une attaque contre les régimes totalitaires, et on imagine facilement qu’il se dirigeait entre autres contre le régime stalinien de l’époque. Comme nombre d’œuvres de ces deux frères, les régimes tyranniques et totalitaires sont sources d’inspiration et de combat par les mots.
On retrouve, comme dans de nombreux romans de ces deux frères, une humanité et une vision très lucide du monde qui sont à remarquer, et qui méritent de s’y attarder à chaque roman pour appréhender le génie de ces deux auteurs de référence.