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Interview 2015 : Jean-Marc Ligny pour Semences
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Interview 2015 : Jean-Marc Ligny pour Semences

 ActuSF : Votre roman, Semences, sort ce mois-ci chez l'Atalante. C'est le troisième tome de votre  trilogie climatique, démarrée avec Aqua™ et poursuivie avec Exodes. Aviez-vous envisagé ce triptyque dés le départ ?
 
Jean-Marc Ligny : Non, pas du tout. Au départ, Aqua devait constituer mon unique contribution à la problématique du réchauffement climatique. Mais à mesure que je progressais dans l’ouvrage (dont la gestation a pris quelques années), le problème du réchauffement climatique est devenu de plus en plus prégnant et ses conséquences à moyen terme de plus en plus dramatiques (donc passionnantes pour l’écrivain de SF que je suis). Or Aqua traitait du problème à court terme, à l’horizon 2035 environ. Une fois ce roman terminé, Denis Guiot m’a commandé un roman pour grands ados/jeunes adultes pour la collection qu’il dirigeait alors chez Intervista. Je suis donc resté dans le sujet pour écrire Green War, qui se passe à la même époque qu’Aqua™. C’est alors que m’est venue l’idée de pousser le bouchon plus loin, à l’échelle d’un siècle, au cas (de plus en plus probable) où l’humanité n’arriverait pas à endiguer ce réchauffement climatique et où il atteindrait un point d’emballement, rendant la Terre invivable et détruisant du même coup la civilisation. Ça a donné Exodes, dont il a été dit à plusieurs reprises que c’était un roman très pessimiste et désespéré sur la condition humaine. Je n’ai pas voulu rester sur une vision aussi sombre de l’avenir et j’ai encore poussé le bouchon de deux siècles supplémentaires. En me disant qu’à cette époque, les survivants de l’humanité se seraient plus ou moins adaptés à survivre en un monde nouveau, ou du moins dont les conditions climatiques seraient largement inédites à l’échelle humaine. De là est venue l’idée de Semences : un roman un peu plus « positif » qu’Exodes, montrant comment l’humanité arrive à s’adapter et s’en sortir, d’une façon ou d’une autre.
 
 
ActuSF : L'histoire de Semences  nous projette dans un avenir lointain. A quoi ressemble la Terre ? Quels changements a-t-elle subi ?  
 
Jean-Marc Ligny : Globalement, d’un tropique à l’autre, le soleil tue. Les températures diurnes peuvent dépasser les 100°C et rien ne survit sur ces terres calcinées. Les zones tropicales se sont largement déplacées vers le nord et le sud (nos « zones tempérées » actuelles) avec leurs cortèges de cyclones gigantesques et de pluies diluviennes. Le pôle nord est devenu tempéré, envahi par la moisine, le kudzu et les moustiques, et l’inlandsis fond d’année en année. Les océans on gonflé, sont devenus acides et abritent une faune étrange. Sur les continents, la diversité biologique a chuté de 95% environ – flore et faune sont donc plutôt monotones, d’une région à l’autre. Pour une raison mystérieuse (que des scientifiques, s’il y en avait, décrypteraient sans doute…), il n’y a plus aucun oiseau. Les survivants, rassemblés en tribus éparses et ayant peu de contact, vivent avec parcimonie. La mémoire du passé est uniquement légendaire, vu qu’il n’y a plus aucun support pour lire la mémoire (essentiellement électronique) des siècles passés et que la plupart des livres ont disparu au cours des Âges Sombres. Les survivants de l’humanité vouent un culte plus ou moins fanatique à Mère-Nature. Tout objet technologique est généralement tabou (mais pas partout). L’humanité survit, de diverses manières. Mais elle n’est plus l’espèce dominante sur la planète. Ça semble être les fourmites (croisement entre foumis et termites, à l’origine inconnue) avec qui certains humains vivent en symbiose.
 
ActuSF : Quel(s) personnage(s) allons-nous suivre pour découvrir cette Terre bien changée ? 
 
Jean-Marc Ligny : Pour Semences – et à l’inverse d’Aqua™ et d’Exodes –, je suis resté centré sur deux personnages, un couple issu d’une tribu « primitive » vivant au bord de la mer (et du désert), qui découvrent un jour un homme mourant non loin de la caverne où elle vit. Cet homme est bardé d’objets tabous des Âges Sombres, et avant de mourir, donne au couple un fouloir en soie sur lequel est peint ce qui semble être un paradis. Croyant que c’est là d’où vient cet homme (ils ne parlent pas sa langue), nos deux héros entreprennent de partir sur ses traces, espérant non seulement découvrir le paradis sur terre, mais également apporter un sang neuf à la tribu qui se meurt. Semences est donc essentiellement un road-movie suivant le périple de ces deux personnages, leurs rencontres, leurs découvertes, leurs aventures, etc, jusqu’à la découverte du pays d’origine de cet étranger et à une surprise finale que je ne vais pas dévoiler… ;-) 
 
 
ActuSF : Vous décrivez les survivants de l’humanité comme des tribus primitives. Qu'est devenue la technologie? Elle a disparu et l'homme doit repartir de zéro ?
 
Jean-Marc Ligny : Globalement, c’est ce qu’il semble, mais on découvrira à certains indices que ce n’est pas forcément le cas. En général, dans la tribu où vivent les héros et toutes celles qui bordent le Grand Désert, le culte de Mère-Nature est observé avec assez de ferveur et tout objet ou toute technologie sont tabous. Ce sont des produits, avatars ou manifestation des démons qui se sont emparés des hommes et ont détruit Mère-Nature au cours des Âges Sombres. Même si certains vestiges subsistent (bien moins qu’on peut l’imaginer…), leur usage s’est perdu, leur fonction demeure mystérieuse et effrayante. Les hommes sont revenus à un âge et un mode de pensée préhistoriques, du moins dans cette région du monde. On verra que ce n’est pas partout le cas. Néanmoins, partout, la mémoire historique s’est perdue, le passé relève donc essentiellement des légendes.
 
ActuSF : Pour les recherches et les relectures de votre roman, vous vous êtes entouré de spécialistes. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?  
 
Jean-Marc Ligny : J’avais tout d’abord établi un scénario basé sur un contexte totalement imaginaire, déduit d’après l’abondante documentation ingurgitée lors de l’écriture d’Aqua™ et d’Exodes. Puis j’ai eu l’idée de confronter le contexte de mon scénario aux opinions de Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue spécialiste du Groënland et membre du GIEC, avec qui j’avais eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises (aux Utopiales notamment), qui avait lu d’Aqua™ et d’Exodes et pouvait donc suivre un peu ma démarche. J’espérais qu’en tant que paléoclimatologue, elle saurait se projeter dans le futur comme dans le passé et pointer du doigt mes erreurs dans la description du climat en 2300. Or non seulement elle m’a corrigé mes erreurs, mais elle m’a proposé de mener un séminaire au LSCE – le labo dépendant du CNRS où elle travaille – avec une poignée de collègues spécialistes de la Terre, du climat, des océans, de la faune et de la flore, etc, pour essayer d’imaginer ensemble le monde en 2300. Elle escomptait 5 ou 6 personnes, ils sont venus à une vingtaine, et on a passé une demi-journée à imaginer le monde en 2300, compte tenu de ce qu’on sait du réchauffement climatique, de l’extinction des espèces, des courants océaniques, etc. Les scientifiques étaient ravis – ils pouvaient enfin se laisser aller à élucubrer en toute liberté, sans obligation de fournir des mesures, rapports, statistiques etc – et moi je les voyais bâtir un monde d’autant plus incroyable qu’il était scientifiquement crédible. Ça m’a fait réécrire complètement mon prologue et apporter de grosses modifs au scénario, mais le jeu en valait la chandelle.
 
ActuSF : Quel regard portez-vous aujourd'hui sur Aqua™, le premier tome de la trilogie ? Que  représente pour vous la fin de cette "série" ?
 
Jean-Marc Ligny : Je porte sur d’Aqua™ un regard à la fois admiratif, attendri et nostalgique. Je pense toujours que c’est le meilleur roman que j’ai jamais écrit – et le premier pour l’Atalante, que je ne remercierai jamais assez de m’avoir récupéré sur ce coup. J’ai mis cinq ans à le faire – dont deux, il est vrai, à passer à toute autre chose – et j’ai tout appris du réchauffement climatique pour d’Aqua™. Je suis admiratif d’avoir réussi, malgré l’avalanche documentaire, à faire une histoire qui se tient, attendri pour mes personnages que j’ai tant aimés (même les méchants) et nostalgique de les avoir quittés, comme certains autres personnages marquants de ma production littéraire. Quant à la fin de la « série », je ne sais même pas encore si elle vraiment finie ! Mes deux meilleures lectrices me réclament déjà une suite à Semences et mon éditrice ne serait pas contre a priori… C’est vrai que la fin est très ouverte, mais je me tâte. D’un côté je suis content de passer à autre chose, de l’autre j’aime Denn et Nao et certaines questions méritent peut-être des réponses… 
 
 
ActuSF : Vous abordez depuis quelques années  les problématiques des ressources naturelles, du climat…. Qu'est-ce qui vous incite à écrire cette SF "écologique" ?
 
Jean-Marc Ligny : C’est, je crois, le fait que ça concerne directement l’avenir de l’humanité, ou du moins de la civilisation. Quand j’ai pris conscience au tournant du siècle que le réchauffement climatique était inéluctable, ma réflexion d’auteur de SF en a pris un coup. Je me suis dit : « Ce n’est plus un avenir possible, c’est un avenir certain. » Toute réflexion sur l’avenir devait désormais intégrer ce critère : « le climat va changer, et l’humanité va s’en trouver modifiée ». Il a fallu que je comprenne ce qui allait se passer, ce qui risquait de se passer, et les conséquences physiques, mentales, économiques et sociales à court, moyen et long terme. C’était devenu incontournable. Un peu comme la SF du temps de la guerre froide qui parlait d’apocalypse nucléaire, sauf que l’apocalypse nucléaire en question restait une possibilité : qu’un cinglé quelconque appuie sur le fatidique bouton. Le réchauffement climatique, lui, n’est pas une possibilité, mais une certitude. Fatalement, l’avenir de l’humanité devra en tenir compte. C’est ce qui m’a incité à écrire là-dessus.
 
ActuSF : Inner city et les Les Oiseaux de lumière vont être réédités en janvier prochain chez Actusf. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Avez-vous repris les textes pour ces rééditions ?
 
Jean-Marc Ligny : Inner City est le pivot central d’une « trilogie cyberpunk » que j’ai écrite dans les années 90, à une époque ou Internet était encore balbutiant et les jeux en réseau primitifs. Les deux autres volumes sont Cyberkiller et Les chants des IA au fond des réseaux, qui seront sans doute réédités aussi par la suite. Quant aux Oiseaux de lumière, c’est une autre histoire d’Oap Täo, mon bourru contrebandier de l’espace, dont une première histoire, La saga d’Oap Täo, est parue l’an dernier chez ActuSF. Le scénario des Oiseaux de lumière a été co-imaginé avec le peintre Mandy, sur la base de certains de ses tableaux. Ils s’inscrivent (tout comme La saga d’Oap Täo) dans une vaste histoire culturelle d’un futur galactique que j’appelle Les Chroniques des Nouveaux Mondes. Il y a au moins un autre roman à rééditer (Un été à Zedong) puis ActuSF republiera l’ensemble des nouvelles (une quinzaine en tout). Mais entre temps, je vais m’atteler à une nouvelle histoire inédite d’Oap Täo, prévue pour 2017. Et, bien sûr, Inner City et Les oiseaux de lumière seront soigneusement relus, corrigés et mis à jour pour cette nouvelle édition.
 
ActuSF : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?  
 
Jean-Marc Ligny : Sur un jeu sur Internet (bientôt deux) et quelques traductions qui constituent mon gagne-pain quotidien. Quant à un nouveau roman, j’hésite encore entre attaquer ma nouvelle histoire d’Oap Täo (j’ai quelques idées déjà) et faire cette suite à Semences, si elle s’avère nécessaire… J’ai aussi un autre projet dans mes cartons, qui ne serait pas vraiment de la SF, mais qui n’est pas encore très développé et je préfère ne pas en parler pour le moment.
 
ActuSF : Où les lecteurs pourront-ils vous trouver en dédicaces ?   
 
Jean-Marc Ligny : Partout où on m’enverra ! Mais déjà, à coup sûr, aux Utopiales à Nantes et au salon de Sèvres en décembre. Après, ce sera en fonction des invitations…
 
ActuSF : Le mot de la fin : quel livre nous conseillez-vous de lire pour cette rentrée ?
 
Jean-Marc Ligny : Hum, là, je n’ai pas trop de conseils à donner, ça dépend tellement des goûts de chacun ! Personnellement, en ce moment je lis plutôt de grandes sagas francophones. Je me suis tapé tout le cycle d’Omale de Laurent Genefort – un très bon moment passé dans ce lieu étrange – et actuellement je lis la trilogie Quantika de Laurence Suhner, du space-opéra poétique, scientifique, intelligent et sensible. Et s’empilent sur ma table de chevet les cinq gros volumes de l’intégrale de Game of Thrones… que je vais plutôt me réserver pour les longs mois d’hiver, afin de patienter en attendant la saison 6. J’ai aussi Futu.re de Dmitry Glukhovsky qui m’attend, un auteur russe que j’apprécie particulièrement.
 
 

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