ActuSF : La série du Disque-Monde de Terry Pratchett est connue pour ses romans mêlant humour et réflexion sur notre propre monde. Ce sont aussi les recueils La Science-du Disque-monde, dont les quatre premiers tomes sont parus chez l'Atalante. Pouvez-vous nous présenter ces ouvrages ?
Lionel Davoust : Ils ont la particularité de mêler un récit du Disque-monde, tel que les lecteurs les connaissent et les apprécient, et des chapitres de vulgarisation scientifique qui reprennent les événements du récit discal pour les développer et les présenter sous un jour amusant et didactique, relié à notre propre monde. Loin d’être assommants, ils répondent parfaitement au style incisif et plein d’esprit de Terry Pratchett, ce qui ne les empêche pas d’être très pointus et d’aborder des sujets vitaux à l’heure actuelle comme l’évolution, la naissance des cultures, les rapports entre science et religion ou… la fabrication de machines à voyager dans le temps !
ActuSF : Comment avez-vous travaillé sur la traduction avec Patrick Couton ?
Lionel Davoust : En excellente entente ! Et avec une grande facilité, puisque les ouvrages sont clairement divisés entre chapitres discaux et chapitres de vulgarisation. Patrick s’occupait donc des premiers et moi des seconds, mais nous sommes restés en communication permanente pour homogénéiser les termes et le ton sur l’ensemble des livres. Pour moi, le traducteur de Pratchett, c’est lui ; il a accompli sur cette série un colossal travail d’adaptation (peut-être bien unique dans le monde) et je tenais à ce que mes parties épousent non seulement le style de Jack Cohen et Ian Stewart, les deux scientifiques responsables des chapitres scientifiques, mais aussi celui de Patrick en français.
ActuSF : Est-ce que l'on peut dire que la Science du disque-Monde est de la vulgarisation scientifique ?
Lionel Davoust : Absolument ! Mais ces livres vont même au-delà ; ils traitent de problèmes de société, de conscience et de culture à l’échelle de l’espèce humaine. Et, j’insiste, tout cela est très léger, très digeste ; pour moi, ce sont des livres vitaux à l’heure actuelle où l’intégrisme religieux gagne du terrain, où le créationnisme cherche à s’inviter dans les écoles américaines… Les volumes de La Science du Disque-monde ne prêchent pas ; ils proposent au lecteur des clés et une méthode de réflexion, puis l’invitent à employer son esprit critique pour se faire sa propre opinion – ce qui me semble une œuvre fondamentale.
ActuSF : Faut-il connaitre les romans de la série du disque monde pour apprécier les Sciences du disque-monde ? Êtes-vous vous-même un fan de la série ?
Lionel Davoust : Absolument pas besoin de les connaître ; Terry Pratchett pose subtilement le décor, et puis la plupart des récits tournent autour de l’Université de l’Invisible… Laquelle ressemble, par certains points, de façon suspecte à une université moderne ! « Les Annales du Disque-monde » sont pour moi un incontournable de la fantasy. Drôles et fins à la fois, ces livres font partie des piliers du genre, que tout lecteur averti se doit de découvrir.
ActuSF : Sir Terry Pratchett nous a quitté au début de l'année 2015. Il avait un style et un humour qui tranchait avec le reste de la production de la littérature de l'imaginaire. Est-ce qu'il va laisser un vide ? Y a-t-il des auteurs aujourd'hui qui se revendique de lui ?
Lionel Davoust : Bien sûr ; son œuvre, son intelligence et sa plume à la fois acérée et d’une grande intelligence sont irremplaçables. Sa création a pris une envergure unique dans l’histoire du genre et est devenue, à juste titre, une référence à égalité avec Le Seigneur des Anneaux ou Harry Potter. Je doute qu’il y ait des auteurs qui prennent le risque de se revendiquer de lui, il faudrait des épaules sacrément solides… Et puis, quand on est auteur, sans nier ses influences, il vaut mieux se revendiquer d’abord de soi-même !
ActuSF : Rihanna Pratchett, la fille de Terry Pratchett, a annoncé qu'aucune suite ne serait donnée à la série du disque-monde, malgré les nombreuses attentes des lecteurs. En temps qu'auteur qu'en pensez-vous ?
Lionel Davoust : C’est une excellente chose (et, pour ma part, les réactions que j’ai vues étaient plutôt de cet avis). Le Disque-monde, c’était la création de Terry Pratchett, son univers, et lui seul savait ce qu’il voulait en faire, où aller. De plus, chaque livre avait son atmosphère, son fil narratif propre ; et il y avait dans cette œuvre une personnalité directement liée à la finesse de son auteur, qui dépasse la narration pure. Que Rihanna Pratchett refuse de gagner de l’argent facile en essorant l’œuvre à succès de son père, qu’elle décide de défendre sa propre carrière d’écrivain avec ses propres livres est une décision courageuse et d’une grande intégrité.
ActuSF : Le mot de la fin : quel est votre livre et votre personnage préféré de l'univers du Disque-monde?
Lionel Davoust : Je garde un faible pour Pyramides ! Le mélange de clins d’œil entre l’Égypte ancienne, la Grèce antique, et la collision avec le Moyen-âge conventionnel est à la fois très drôle et très fin. J’ai adoré ce moment où l’on voit Xénon s’efforcer de résoudre les célèbres paradoxes grecs en tirant sur des tortues à l’arc pour démontrer que les mathématiques interdisent aux flèches de les atteindre. (Pauvres tortues.) Et je crois que je reste toujours attaché à Rincevent, puisque, comme beaucoup de lecteurs, j’ai découvert l’univers à ses côtés dans La Huitième couleur.
