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Interview 2018 : Catherine Dufour pour Entends la Nuit
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Interview 2018 : Catherine Dufour pour Entends la Nuit

Actusf : Après une pause de 9 ans dans l’écriture ancrée dans l’imaginaire, vous y revenez avec ce titre. Il y a une raison en particulier ? Est-ce un genre qui vous permet de vous exprimer plus facilement ?
Catherine Dufour : J'ai publié plein de nouvelles, surtout en SF, dans des tas d'endroits bien comme Libé ou La Volte. D'ailleurs elles seront réunies dans un recueil à paraître en 2020. Mais c'est vrai que j'ai fait un détour chez Fayard pour trois livres, et j'ai d'ailleurs l'intention de recommencer avec un ouvrage biographique en 2019. Quant au genre, c'est quelque chose auquel je songe quand il s'agit de me faire éditer, pas trop quand j'écris.

"Un prince peut-il épouser une bergère et vivre heureux pendant cent ans ? C'est ce thème que j'aborde dans Entends la nuit. La réponse est « non », je vous préviens tout de suite."

Actusf : Quel a été l’idée à l’origine de ce roman ?
Catherine Dufour : Pour le Monde Diplomatique, j'ai lu Twilight et Fifty shades of Grey. Ensuite, je les ai relus. Oui. Ca a donné un article, Pornographiquement correct, qui n'a pas été de la tarte à faire passer, je peux vous l'assurer. Rien à redire sur ces livres, tout le monde à droit de lire de la main gauche – à part un petit détail : l'absence totale de conscience sociale. Ces deux livres mettent en scène un homme riche et une femme pauvre, et tout le monde s'en fout. On ergote sur les attraits comparés de la vampiritude et de la BDSMité, mais, et la classe sociale dans tout ça ? Un prince peut-il épouser une bergère et vivre heureux pendant cent ans ? C'est ce thème que j'aborde dans Entends la nuit. La réponse est « non », je vous préviens tout de suite.

Actusf : De quoi Entends la Nuit parle-t-il ?
Catherine Dufour : A part du fait que pour devenir riche et le rester, il faut être une raclure, ça parle de Paris, des sous-sols de Paris, des toits de Paris, des cimetières de Paris, de toutes sortes de recoins cachés que j'ai vus et que je raconte. Ca parle aussi de changement d'enveloppe corporelle car la marotte d'Elon Musk, se télécharger dans une machine, changer de corps, changer de récepteurs sensoriels, ça me questionne. Ca parle des joies du monde du travail. Et bien sûr, ça parle d'esprits vagabondant sur le net et de l'attirance fatale pour l'immortalité parce que j'aime bien ces thèmes, en fait.

Actusf : Myriame, votre héroïne, est un personnage plein de bonne volonté, qui se retrouve à devoir faire des choix peut-être pas toujours en accord avec sa conscience. Pouvez-vous nous parler un peu d’elle ?
Catherine Dufour : C'est une jeune femme pauvre et non-blanche, et sans filet familial. Autant dire qu'elle est mal lotie. Pire : elle est coincée. Un jour, elle rencontre un homme qui est, en fait, une porte vers un monde plus vaste. Elle aurait dû se méfier. Elle a pourtant un double intérieur désagréable mais lucide qui lui donne de sages conseils, mais qui, parmi nous, écoute la voix de sa raison ? Les mauvaises décisions se prennent toujours en un battement de cil, en général avec un « on verra bien », voire un « oh et puis hein ? ».

" J'ai beaucoup lu Shakespeare pour écrire Entends la nuit. D'ailleurs toutes les paroles de My Lord Kite sont des répliques de Richard III. S'il y a des pierres sur les tombeaux, c'est bien pour empêcher les défunts de revenir."

Actusf : Quant à Duncan Vane, il cache une nature surnaturelle peu commune. Pourquoi avoir choisie cette créature parmi d’autres ?
Catherine Dufour : J'ai pas mal lu de folkloristes comme Seignolle, Van Gennep ou Lecouteux. Derrière tous nos mythes et nos monstres, elfes et vampires, lutins et goules, fées et trolls, il y a toujours le même peuple : les morts. Nos morts. Vane vient de là. Rien de lui n'a disparu / mais il a juste souffert / d'être changé par la terre / en quelque chose de riche et étrange (The tempest, inspiré de). J'ai beaucoup lu Shakespeare pour écrire Entends la nuit. D'ailleurs toutes les paroles de My Lord Kite sont des répliques de Richard III. S'il y a des pierres sur les tombeaux, c'est bien pour empêcher les défunts de revenir.

Actusf : Votre roman aborde de problématiques actuelles. 25 ans, un master en communication et un famille à charge, Myriame n’a pas bien le choix et plonge dans le monde tortueux du travail. C’est un sujet qui vous tient à cœur et sur lequel vous aviez auparavant écrit dans l’anthologie Demain, le travail. Est-ce que les choses ont évolué depuis cette parution ? Votre point de vue a-t-il changé ?
Catherine Dufour : Oh, je pense que ça empire chaque jour. Myriame a quand même la chance de bénéficier du parapluie troué de notre Droit du travail, donc elle a un contrat, une mutuelle, des congés. Evidemment, il fait douze degrés dans son bureau et elle doit apporter son propre PQ, mais la queue est longue à Pôle Emploi pour la remplacer si elle proteste. Et ceux qui nous emploient ne savent même pas qu'ils nous servent des salaires avec lesquels on ne peut pas vivre.

Actusf :
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Catherine Dufour : Sur une biographie d'une de nos premières informaticiennes. Je me prends pour André Maurois, c'est délicieux. Si vous saviez comme vous avez de la chance de ne pas vivre au XIXe siècle... Tenez, je vous mets un extrait :

« Et je ne résiste pas à l'envie de parler de la ravissante étude menée par Dorothy Stein dans l'appendice de « Ada Byron : la comète et le génie » (traduction étrange de Ada Byron, a life and a legacy) sur « la théorie de l'utérus migrateur », alors en vogue. Dit aussi « utérus sauteur », cet organe facétieux est réputé « doué d'une vie propre ». Bondissant d'un bord à l'autre de la cage thoracique, il y crée toutes sortes de désordre : engorgement des poumons, crise de foie, mal de dos, il piétine tout sur son passage. Il lui arrive même de remonter plus haut, embarrassant la gorge ou les yeux. Il importe donc de le remettre en place, soit en faisant du cheval (qu'allez-vous supposer là ? Simplement, le mouvement du cheval est réputé faire retomber l'utérus dans son emplacement naturel), soit en l'attirant vers une extrémité grâce à de bonnes odeurs, et en le repoussant de l'autre extrémité à l'aide de mauvaises. Maintenant que vous avez visualisé toutes ces Ladies, un bouquet de violettes dans la cramouille, en train de sucer des crottes de lapin, notez que tout ceci est rigoureusement sic, et reprenons notre route au côté d'Ada. »

Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?
Catherine Dufour : Je serai le 26 octobre     au Nuage vert du côté de Jussieu, aux Utopiales du vendredi 2 novembre au dimanche 4, à L'Astrolabe le 8 novembre, au Dernier bar le 21. Venez !

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