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Je n’aime pas les grands - Les secrets d'écriture de Pierre Léauté
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Je n’aime pas les grands - Les secrets d'écriture de Pierre Léauté

Je n’aime pas les grands, le nouveau roman de Pierre Léauté, paraîtra le 16 octobre prochain chez Mu. A cette occasion, l'auteur revient sur l'écriture de celui-ci.

Actusf : Après Mort aux grands et Guerre aux grands, vous êtes de retour en octobre 2020 avec Je n’aime pas les grands. Comment est née cette série ?

Pierre Léauté : La série autour d'Augustin Petit tient de l'ordre du miracle. En février 2014, j'achève le jet initial des Uchronautes, le deuxième tome des Temps assassins, un projet de longue haleine déjà amorcé quatre ans auparavant. Deux gros pavés et toutes les difficultés du monde pour accrocher un éditeur. Je ne désespère pas, il faut croire en sa bonne étoile, mais je commence à douter... De dépit ou par ennui, j'attaque à la va comme je te pousse, un roman court. Je veux de l'intense, de l'aigri, du corrosif... En clair, je me lâche ! Moi qui ne jurais que par le drame, je me retrouve presque malgré moi à devoir faire rire. Eh bien, déjà qu'arracher un sourire à un lecteur peut parfois s'avérer une entreprise périlleuse, se moquer du totalitarisme relève soudain de la gageure. Mort aux grands parvient à forcer des portes que je pensais closes. Sans ce petit roman publié en 2015 et bien reçu par les critiques, rien n'aurait été possible.
Un seul livre ne suffisait pas pour la folie du personnage principal. Dans Guerre aux grands, Augustin Petit va entraîner l'Europe et le monde dans une nouvelle guerre qui pastiche évidemment les années 40. Là où Mort aux grands démarrait son intrigue en 1919, c'est en 1939 que la suite commence la sienne et en fanfare ! Non mais vraiment, il y a une fanfare dans le premier chapitre. Augustin Petit n'est plus un simple troufion mais le président, le Suprême, ainsi qu'il se plaît à être appelé par ses fidèles serviteurs. Il devient mégalomane au possible, rabote la tour Eiffel et veut entraîner son pays dans une guerre totale contre les grands et les blonds !

Actusf : De quoi parle Je n’aime pas les grands ? Est-ce une suite directe des aventures d’Augustin Petit ?

Pierre Léauté : Je n'aime pas les grands compile tous les textes créés autour d'Augustin : deux romans, deux nouvelles intitulées Le vol du poussin, une lettre de Pierre Bellemare (si, si), une nouvelle spin-off et une bibliographie complètement barrée dans laquelle j'égratigne pas mal de monde ! Ce roman est un aboutissement qui dresse le portrait d'un siècle de populisme, de bêtise politicienne et de mauvaise foi, de la Première guerre mondiale jusqu'aux années 80 et la résurgence de l'extrême-droite.

Actusf : D’ailleurs… Qui est Augustin Petit ? Comment l’avez-vous créé ? A-t-il suivi la route que vous lui aviez tracé ?

Pierre Léauté : Augustin Petit n'est pas Hitler. Il est davantage un mélange détonnant de l'aryen excité, du fasciste décomplexé, du communiste autoritaire, quitte à parfois même emprunter à certains de nos contemporains certains traits de caractères. Il est entouré d'une bande de bras cassés et d'imbéciles parce qu'il faut bien une belle brochette de crétins pour le suivre dans son délire ! En tête de peloton, l'Auvergnat, fidèle parmi les fidèles, qui suivra Augustin jusqu'au bout du monde.
Depuis quelques années, le concept des Grands me trottait dans la tête. Et si on interdisait aux grands d'embêter les plus petits au cinéma ? Et si on les accusait de tous les maux... Bref, j'ai passé ma douce rage sur une frange de la population française. Alors, des esprits chagrins répliqueront : "Comme par hasard, l'auteur n'est pas bien grand". Ma réponse est noui. Ni oui, ni non, une bonne réponse à la Normande (zut, un point commun avec Augustin). Oui, je suis en deçà de la taille moyenne française, oui, je suis brun, mais les coïncidences s'arrêtent là. Et si Augustin Petit a le sang bouillonnant, seuls les plus retors croiront à l'autobiographie. J'ai mes deux yeux, moi !
Ce personnage m'a échappé depuis belle lurette ! Je n'avais pas songé le moins du monde à lui faire traverser la Seconde guerre mondiale, ou lui imaginer un quelconque destin au-delà de Mort aux grands. Il y a des créations qui survivent parfois à l'étroitesse de nos idées, et Augustin Petit l'a prouvé de belle manière.

Actusf : Quelles ont été vos sources d’inspiration ? Avez-vous du faire beaucoup de recherche ? Je pense notamment à tous les éléments historiques mais également au personnage d’Augustin et au Parti des Plus Petits.

Pierre Léauté : L'inspiration est en partie historique, les fils de l'intrigue ont malheureusement déjà été tissés par les nombreux régimes autoritaire ou totalitaires du XXème siècle. Je me suis davantage attaché à leurs rouages, à la manière dont les peuples sont embrigadés, brutalisés. Si le point de vue de ce livre est celui du fou, j'ai essayé de démontrer que le renoncement et la soumission aveugle des peuples sont autant condamnables. Le propos du livre, son emballage, peut prêter à sourire, mais cette bonne humeur est de façade, elle traite de sujets d'actualité comme la tentation du populisme.
Ce livre, c'est mon expérience de Milgram. À partir de combien de chapitres, de combien de décharges électriques, commence-t-on à cesser de s'apitoyer sur le sort d'Augustin Petit ? La réponse appartient à chaque lecteur.

Actusf : Comment avez-vous construit votre univers ? Vous saviez dès le 1er volet comment se déroulerait l’intrigue et quels seraient le destin de vos personnages ?

Pierre Léauté : Le monde d'Augustin Petit mêle faits historiques et fictionnels. Le héros croise d'ailleurs de nombreux personnages ayant existé, comme Churchill ou Clemenceau. Il y a beaucoup de références contemporaines également disséminées ci et là, des jalons qui ont marqué notre héritage politique en France. Je ne me suis rien interdit, ni le mauvais goût ni l'exubérance. Le parcours de mes personnages s'est tissé peu à peu, au gré de mes envies. Je voulais ainsi traiter du retour des idéologies totalitaires, de la normalisation de la violence et du repli patriotique. Toujours sous couvert d'humour.

Actusf : Pourquoi choisir l’uchronie ? Était-ce plus simple pour parler de certains sujets ?

Pierre Léauté : Ma passion pour l'Histoire probablement, et aussi une certaine pudeur pour aborder des thèmes contemporains. Le racisme, l'abêtissement, la violence, l'accomplissement de soi, autant de thèmes forts que je souhaite aborder dans mes livres.

Actusf : Pensez-vous écrire à nouveau dans cet univers ?

Pierre Léauté : Ce roman est accompagné d'un livret pédagogique d'une quarantaine de pages co-réalisé par l'illustrateur Ronald Bousseau et votre serviteur. Cet appendice sera gratuit, téléchargeable, imprimable, avant tout destiné aux scolaires de la Troisième à la Terminale. #balancetongrand (rires). Ronald a réalisé de nombreux dessins figurant à merveille la folie d'Augustin et de ses sbires, je suis très fier d'avoir travaillé avec lui.

Je ne suis pas encore venu à bout de la pelote de laine du Petisme... J'ai entamé la création d'une pièce de théâtre adaptant une bonne partie de Je n'aime pas les grands. C'est un rêve de gosse que de s'essayer à la dramaturgie, de ciseler les dialogues et d'imaginer les rouages de la mise en scène et des décors avec toutes les contraintes imposées par l'exercice. Comme pour le livre, l'ambition est de plonger le spectateur face à un dilemme : aurais-je le courage de m'opposer à l'injustice et à l'extrémisme politique ? Une question viscérale à l'aube de nouvelles élections présidentielles dans notre pays.

Actusf : Avez-vous une anecdote amusante à nous confier concernant ce livre ?

Pierre Léauté : La participation amicale de Pierre Bellemare en 2016 au projet, ses faux souvenirs des années 40 et une belle journée de tournage chez lui. Un joyeux mélange fictionnel auquel ce grand monsieur s'est prêté avec talent.

Actusf : Qu'est-ce qui fait pour vous une bonne uchronie ? Une uchronie préférée ?

Pierre Léauté : Le secret d'une bonne uchronie ? Que l'on ne se rende pas compte qu'on puisse en lire une. L'univers décrit doit être si évident, si limpide que le lecteur oublie à comprendre les tenants et aboutissants ayant mené à sa réalisation. Le point de divergence peut être barré ou anodin, qu'importe ! Aujourd'hui, ce sous-genre de la science-fiction est de plus en plus tendance, c'est peut-être symptomatique d'un monde qui se cherche, nostalgique de possibles ou de destins alternatifs.
Mon uchronie préférée ? Celle que je n'ai pas encore écrite !

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