A l'occasion de la parution de l’anthologie Dimension Uchronie 1, dirigée par Bertrand Campeis, aux éditions Rivière Blanche, Pierre Léauté revient sur l'écriture de sa nouvelle, Code Noir.
Actusf : Bonjour, Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours en tant qu'écrivain ?
Pierre Léauté : Mon parcours d’écriture est quelque peu haché avec un break de dix ans ! J’ai publié un premier roman en 2005, puis j’ai entamé une double aventure à partir de 2015 : celle de l’uchronie « Mort aux grands ! » et de ses suites, ainsi que celle de la trilogie des Temps assassins. J’ai également écrit plusieurs nouvelles et un feuilleton interactif pour smartphone. Le point commun de tout cela : l’histoire et ses chemins de traverse… Je me suis spécialisé en histoire contemporaine au cours de mes études, mais cela n’empêche pas de goûter à tous les fruits défendus, de l’Antiquité aux Temps modernes. Et je ne manque pas d’appétit !
Actusf : Comment avez-vous découvert l'uchronie ? Y a t-il une œuvre qui vous a marqué profondément ?
Pierre Léauté : Par hasard. Mon bagage culturel est moins littéraire que cinématographique. Comme beaucoup de ma génération, j’ai été bouleversé par Terminator de James Cameron ou Back To The Future part.2 de Robert Zemeckis. Non, fasciné serait le mot juste, tant les possibilités narratives autour du temps ont alors semblé insondables. Bien évidemment, Philip K. Dick aura aussi été d’une influence majeure, presque matricielle. Plus récemment, « Mes vrais enfants » de Jo Walton m'a beaucoup plu.
Actusf : Pourriez-vous nous expliquer comment vous êtes entré dans l'aventure Dimension Uchronie ?
Pierre Léauté : La porte était entrouverte, de la lumière bâillait depuis l’intérieur… J’ai proposé à l’hôte de ces lieux, sieur Campeis, un texte intitulé « Code Noir », et puis… Il m’a invité à prendre un siège !
Une anthologie autour de l’uchronie, je m’en serais voulu de ne pas tenter ma chance !
Actusf : Comment s'est passé l'écriture de votre nouvelle ?
Pierre Léauté : La nouvelle « Code Noir » est un texte articulé en cinq parties plus ou moins distinctes. Elle est précédée d’une longue uchronologie expliquant comment la France napoléonienne a rétabli l’esclavage sur le sol métropolitain en reniant le vieil édit de Louis X le Hutin pour de basses questions militaires. L’idée était d’imaginer notre pays dans les années 60 en proie à des luttes sociales pour les droits civiques des Noirs, dans un contexte très marqué puisque la guerre d’Indochine fait toujours rage en 1964. Notre Viêtnam à nous… La tentation de renverser quelque peu les rôles entre les États-Unis et la France était grande.
La conception et le découpage a nécessité un mois environ. L’écriture, deux mois de plus. J’aime travailler la forme, aussi ai-je voulu donner une couleur différente à chacune des parties de « Code Noir ». La première, par exemple, s’inspire de la fameuse interview donnée par Mesrine à Paris-Match. Les titres des parties sont décentrés et accompagnées d’indications météorologiques avec une typographie très marquée.
La grande difficulté était essentiellement narrative, puisqu’une idée ne suffit pas en uchronie. Une fois établie l’image d’une France esclavagiste, que faire ? J’ai voulu ainsi croiser le destin de plusieurs personnages (une vedette de rock, un anarchiste, une jeune Noire…) et les plonger dans le tumulte des luttes sociales des sixties.
Actusf : Pourriez-vous expliciter votre uchronie en nous parlant de son Point de Divergence ?
Pierre Léauté : Voici l’uchronologie développée pour « Code Noir » ! C'est la première fois que j'en créais une aussi précise pour un texte, mais il me semblait délicat d'aborder le sujet du racisme de façon trop légère.
Le point de divergence a lieu deux siècles et demi avant le début de la nouvelle. Ici, la condition servile est à la fois horriblement banale et ancrée dans les mœurs.
Actusf : Y-a-t-il un message que vous souhaitiez faire passer en l'écrivant ?
Pierre Léauté : Oui et non, une belle réponse de Normand (rires). Le sujet de cette uchronie est forcément politique et social, mais je n'aurais pas la prétention de m'ériger en porte-parole d'un quelconque mouvement de pensée. Je laisse au lecteur le soin de juger de la portée de ce texte. Je n'encourage aucun conservatisme et je ne promeus pas davantage l'anarchisme. C'est peut-être, à mon sens, le grand écueil du genre. À trop vouloir dénoncer ou s'offusquer, on risque parfois d'oublier le premier objet de la lecture : divertir.
Actusf : Travaillez-vous sur d'autres projets uchroniques ou souhaitez-vous en faire à nouveau par la suite ?
Pierre Léauté : « Code Noir » est le premier volet de trois nouvelles formant ma « trilogie du Singe ». Les deux autres seront publiées dans les prochains numéros de Dimension Uchronie, c'est un immense honneur que de participer aux trois éditions !
« Kaiser Kong », la prochaine nouvelle, imagine le fameux gorille ressuscité par le petit-fils du docteur Frankenstein dans les années 30 et captif des nazis. Ce long récit pulp envoie la bête combattre en pleine guerre d'Espagne.
Clôturant l'ensemble, la nouvelle « La Grande brisure » provoque un tremblement de terre dans le royaume de France du XVème siècle, séparant le duché de Bretagne du reste du continent.
Ces trois textes illustrent la folie de l'ambition et de l'asservissement. Nous sommes tous le singe de quelqu'un...
Actusf : Les mots de la fin vous appartiennent, c'est à vous !
Pierre Léauté : L'uchronie n'est pas réservée à une élite d'historiens, elle est vivante et riche de possibles. Elle peut être drôle, audacieuse ou dramatique, qu'importe !