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Je suis ta nuit - Les secrets d'écriture de Loïc Le Borgne
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Je suis ta nuit - Les secrets d'écriture de Loïc Le Borgne

A l'occasion de la réédition début juin de Je suis ta nuit, aux éditions Actusf, Loïc Le Borgne revient sur l'écriture de ce roman.

Actusf : Comment est née l'histoire de ce roman ?

Loïc Le Borgne : Mon but était de m'épouvanter moi-même, tout en faisant peur aux lecteurs. Je voulais écrire une histoire terrifiante en condensant tout ce qui aurait pu m'horrifier à l'âge de 11 ou 12 ans. J'ai listé des idées, puis des scènes, inspirées par les angoisses qui ont été les miennes durant mon enfance. Avancer sur un chemin perdu en pleine nuit, tomber sur un cadavre flottant dans une rivière (dans la réalité, il s'agissait d'un mouton... même si nous avions d'abord pensé à un humain), affronter de sombres créatures comme un chien noir enragé, être traqué dans les bois, voir sa mère devenir folle...

Actusf : Qu'est-ce qui vous a donné envie de revenir dans la France des années 80 ? Pourquoi ce choix ?

Loïc Le Borgne : Ce roman est une vieille histoire. J'en ai écrit la première version à l'âge de 32 ans, en 2001, alors que j'étais encore loin d'être publié (la première édition date de 2008). Ce n'était pas vraiment les années 80 qui m'intéressaient, mais plutôt l'âge des héros. Ils quittent l'école primaire et s'apprêtent du même coup à basculer de l'enfance à l'adolescence. J'ai connu ce passage de frontière au début des années 80. Or, mes propres souvenirs sont essentiels dans cette histoire. Ils représentent une bonne moitié du contenu de ce récit. Il est vrai cependant que les années 80 sont intéressantes. L'arrivée des ordinateurs dans les maisons a tout changé. On est entré dans l'ère du numérique. L'image est devenue reine. On retrouve ces éléments dans le récit. Comme les héros, le monde va basculer.

Actusf : C'est un roman autour de la perte de l'innocence pour un groupe d'enfants. Qu'aviez-vous envie de faire ?

Loïc Le Borgne : Je voulais raconter cette période charnière avant d'en avoir oublié l'essentiel. Les enfants vivent dans un monde où les rêves, l'imaginaire, se mêlent sans problème à la réalité. Ensuite, vers l'âge de douze ans, ils réalisent que le monde n'est pas aussi idyllique qu'ils l'avaient pensé. Pour ma part, je me souviens avoir été horrifié en découvrant des images de la Shoa, ou en réalisant que nous étions à la merci de bombes nucléaires. Le Bonhomme Nuit représente la face sombre de l'humanité. Pierre et ses amis vont devoir y faire face. Et découvrant que ceux qui affrontent le côté obscur de manière isolée ont peu de chances d'y parvenir.

Actusf : Tout se déroule en Bretagne. Quel est votre lien avec cette région ? Pourquoi y avoir placé votre intrigue ?

Loïc Le Borgne : Je suis né en Bretagne. Mes deux parents sont originaires du Finistère. C'est une région que j'aime beaucoup, même si je n'y vis pas actuellement. Je ne parle pas seulement de ses paysages, ni de sa clim naturelle, mais surtout de son imaginaire. La Bretagne regorge de légendes, de mystères. Lorsque j'étais enfant, ma grand-mère et ma mère nous racontaient souvent des histoires qui m'inquiétaient et me fascinaient à la fois, comme celle de la fée Carabosse. Elle pouvait venir punir les enfants qui n'avaient pas été sages. On allait jusqu'à nous montrer de vieilles femmes voûtées au nez tordu. La réalité se confondait avec l'imaginaire.
Le Bonhomme Nuit, c'est une fée Carabosse. C'est d'ailleurs une vraie légende – si l'on peut dire – aujourd'hui oubliée, de la région de Saint-Brieuc. Au festival « Étonnants voyageurs », à Saint-Malo, peu après la première parution du roman, une femme d'âge vénérable m'avait expliqué avoir été pour de bon terrifiée par le Bonhomme Nuit durant son enfance ! Le village de Duaraz existe quant à lui presque à l’identique : il s’agit de Betton, en Ille-et-Vilaine, près de Rennes. La plupart des lieux décrits – le bourg, l'école, le canal, le quartier où vit Pierre, les chemins, les bois – sont toujours visibles. Quant au personnage dans lequel je me retrouve le plus c’est bien sûr Pierre, même s’il est certainement beaucoup plus « héroïque » que moi.

Actusf : On ne dévoilera pas le final qui est très fort. Mais est-ce que tout était déjà en place dans le scénario et les thématiques dès que vous avez commencé à l'écrire ou est-ce que cela s'est mis en place petit à petit ?

Loïc Le Borgne : En deux temps. J'ai commencé à écrire cette histoire à la manière de Stephen King, dont j'adorais les romans – je les aime toujours, j'ai tout lu de lui. On imite toujours ses maîtres, au début. Cependant, après avoir passé le cap de la moitié du récit (l'attaque des scarabées), je me suis rendu compte que je commençais à m'ennuyer. Ce qui est un très mauvais signe ! Si l'auteur s'ennuie, alors le lecteur risque de s'endormir. A ce moment-là s'est produit un événement historique majeur : les attaques des Tours jumelles à New York. Le 11 septembre 2001, j'ai réalisé que le monde pouvait basculer très vite de manière imprévisible, et qu'il ne faisait pas de quartier. Je suis revenu en arrière et j'ai décidé qu'une partie des héros allait mourir. J'ai écrit la scène près de l'église. Le monument principal du village s'effondre un peu plus tard lui aussi, comme les tours. C'est le 11 septembre 2001 qui explique cela. Ce jour-là, nous avons pour de bon quitté l'époque plutôt innocente, pour les Occidentaux, des années 80-90. Nous sommes tombés de haut, comme les préadolescents dans le roman.

Actusf : Le suspens monte, il est très fort. Comment avez-vous construit votre roman ?

Loïc Le Borgne : Tout est basé sur les peurs de l'enfance. D'abord des inquiétudes, puis l'angoisse, puis la terreur. Afin de dynamiser le récit, d'aller de plus en plus vite, j'ai piqué une technique de Stendhal. Il a divisé son roman Le Rouge et le noir en deux parties. Dans la seconde, on retrouve, dans un ordre inversé, tous les endroits décrits dans la première partie. On obtient ainsi un effet miroir et, surtout, il n'y a plus besoin de descriptions puisque le lecteur connaît déjà les lieux. Place à l'action. Beaucoup de critiques ont parlé de Stephen King en lisant ce récit, mais personne de Stendhal. Je lui suis pourtant redevable.

Actusf : Vous ne ménagez pas vos jeunes héros. Est-ce que vous vous mettez des limites sur le niveau de violence de vos romans, notamment en "jeunesse" ?

Loïc Le Borgne : Je tiens d'abord à préciser que je n'ai pas écrit ce roman spécifiquement pour de jeunes lecteurs. Lorsque je l'ai écrit, je pensais plutôt à des lecteurs de mon âge. A l'époque, l'éditeur a voulu le publier en jeunesse mais young adults. Pourquoi pas. La violence ? Je n'aime pas quand elle est gratuite. Dans ce roman, la violence a une fonction. Elle est là pour donner des pistes. Comment peut-on faire, enfant ou adolescent – et même adulte – pour affronter la violence du monde ? Le monde réel est plus violent que n'importe quelle fiction. Après avoir été détruit par son père et lâché par sa mère, donc par le monde des adultes, Maël s’est enfermé dans sa souffrance, sa détresse, son néant. Il ne parvient pas à sortir de ce gouffre. Les enfants de la bande, eux, affrontent l’adversaire ensemble, avec une certaine naïveté, avec des armes comme l’imaginaire, l’innocence, l’amitié, la bonté… Ils ne sont jamais seuls. Maël est détruit avant tout parce qu’il est perdu dans sa solitude. Ce livre est peut-être un guide de survie.

Actusf : On pense à Stranger Things qui est revenu depuis avec succès sur les années 80. Y'a-t-il pour vous actuellement une nostalgie des années 80 et sauriez-vous l'expliquer ?

Loïc Le Borgne : Pour ma part, je ne suis pas nostalgique. C'est l'avenir qui me passionne. Mais je comprends que ceux qui ont connu cette époque alors qu'ils étaient enfants ou adolescents puissent être nostalgiques, même si ce phénomène se reproduit à chaque génération. Les années 80, comme les années 60, furent pleines d'innovations et d'innocence. J'en parle au début du roman. Beaucoup d'images, de sons, de numérique. On ne parlait pas encore tellement du Sida, et pas du tout du Covid 19 ou du réchauffement climatique. On pensait que le monde allait être toujours plus beau, plus haut. Et patatras. Les mômes des années 80 tombent de haut. Il ne faut pas perdre espoir pour autant. Ensemble, les enfants, comme dans le récit, peuvent changer bien des choses.

Actusf : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?

Loïc Le Borgne : Je corrige un roman de science-fiction qui parle du poids de l'image et de l'apparence sur les réseaux pour les adolescents. Je ne sais pas quand il paraîtra. J'écris ce qui me plaît, et ensuite je cherche un éditeur. Dans le contexte actuel, ce n'est pas raisonnable. Mais je suis fan de Bob Dylan, et il n'a jamais fait que ce qu'il voulait.
ActuSF publiera en août un roman inédit pour ados et adultes, Ghost Love. Une histoire de fantômes inspirée par la princesse Alice de Monaco, dont le manoir en ruine est situé à trois kilomètres de chez moi. Le thème, c'est la mort. Bien sûr, il s'agit d'un récit terrifiant, mais pas seulement. Comme dans Je suis ta nuit, il y a beaucoup de ténèbres… et de la lumière au bout du tunnel.
J'ai aussi en tête la suite de la série Les Loups, pour les jeunes adolescents. Cinq tomes sont prévus. Le quatrième sort en septembre. Et puis j'écris des poésies, des chansons, qui ne seront sans doute jamais publiées (j'en ai glissé certaines dans le roman Hystérésis). Sauf une peut-être, puisqu'il s'agit du générique d'un futur long métrage. Je ne peux pas en dire plus pour l'instant...

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