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La boussole du capitaine - mars 2016
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La boussole du capitaine - mars 2016

On appelle maintenant cela le « vintage » : les meubles et objets de la décennie 50-60, tout le design et l’architecture de cette époque. 
 
Le mois dernier, je vous évoquais mes amours d’enfance pour Mickey Parade, et en avril 2014 je parlais notamment de Fantômette… Cette fois, pour les besoins de ma démonstration il convient que je vous évoque un peu des lectures plus anciennes encore, datant de l’âge où l’on ne lit que de petits albums illustrés. Si comme moi vous avez été gamin dans les années 1960 ou 70 ou bien si, comme moi également, vous avez tendance à collectionner de ce que l’on nomme maintenant « enfantina » (les livres jeunesse anciens), sans doute les collections « Mon album rose » et « Le petit album d’or » ne vous seront-ils pas complètement inconnus. T. Gergely ou Gustaf Tenggren, par exemple. Ou bien, pensez à Alain Grée, aux guides de villes par M. Sasek ou aux illustrations de Tout l’univers. Il y a là tout un substrat illustratif, toute une esthétique, qui sont typiques des années 50-60. Deux décennies qui sont actuellement revenues à la mode — et j’en suis ravi, car j’ai une tendresse toute particulière pour cette esthétique-là. 
 
Je ne suis pas le seul : les graphistes aussi, par exemple, ont replongé avec gourmandise dans un design 50-60 qui, revu et corrigé, fait maintenant l’ordinaire d’une bonne partie du graphisme des magazines « branchés » et des publicitaires dans le vent. Tout un vocabulaire a été réinterprété, au point que l’on trouve maintenant de superbe vrais-faux albums bariolés comme dans les années 50-60. 
 
 
Tenez par exemple ce grand album carré traduit de l’anglais chez Gallimard Jeunesse : Professeur Astrocat aux frontières de l’espace. Ce succès de libraire datant de 2013 pour son édition originale, 2014 en traduction, est cosigné par un auguste docteur en physique quantique, Dominic Walliman, avec l’illustrateur Ben Newman. Et ce dernier a fait de cet épatant manuel d’astrophysique pour la jeunesse un véritable pastiche des beaux albums éducatifs d’antan : depuis les pages de garde pastel avec une grande étiquette où inscrire son nom jusqu’à la palette volontairement limitée de couleurs, en passant par la naïveté ronde et stylisée des images, tout cela pourrait être paru durant les sixties — sauf que le contenu, lui, est on ne peut plus à la pointe de la science actuelle ! Et si les auteur s’offrent quelques pages finales filant dans la science-fiction, également comme cela se pratiquait autrefois, cela ne retire rien à la solidité de leur propos général. Franchement, si vous souhaitez remettre à jour vos connaissances de plaisante façon, je conseille cet album même aux adultes.
 
D’ailleurs, l’album illustré pour les adultes devient un nouveau courant éditorial — dans lequel s’inscrit par exemple le ravissant Le Noël de Marguerite de Pascal Blanchet (aux éditions de la Pastèque, 2013). Là aussi, les codes graphiques des années 50-60 sont respectés depuis les pages de garde jusqu’à la police de caractères, et bien sûr dans les illustrations pour la plupart pleine page, qui ont le velouté chaleureux et la stylisation de cette esthétique, au service d’un beau conte contemporain sur les craintes d’une vieille personne.
 
 
Le duo formé par le dessinateur Alexandre Clérisse et le scénariste Thierry Smolderen est allé encore plus, avec deux épais albums de bande dessinée que toute personne de bon goût des devrait de posséder : L’Empire de l’Atome (2013) et L’Été Diabolik (2016), chez Dargaud. Le premier en particulier parle directement aux fans de science-fiction : dans une histoire remarquable de complexité maitrisée et d’intelligence, se croisent des motifs issus de la vie de Cordwainer Smith (le génial auteur des Seigneurs de l’Instrumentalité, qui dans la « vraie vie » était une éminence grise gouvernementale et avait d’étranges secrets), des fictions d’Edmund Hamilton (la série du Roi des étoiles) mais aussi de la série des Zorglub de Franquin et Greg (dans les « Spirou et Fantasio ») ou bien encore Buck Rogers… La maitrise par Clérisse des codes graphiques des années cinquante est proprement saisissante, et son flair sans défaut. Sur ces 140 et quelques pages, l’on s’envoie en l’air le regard, de réjouissante manière. Et rien de gratuit dans cette démarche graphique : elle est aussi fermement chevillée au corps du propos de Smolderen, le scénariste, qu’ultra documentée. La consultation du blog de Clérisse m’a même sidéré (c’est bien le mot, pour un album de science-fiction), tant même le plus petit élément du décor, le plus discret motif, le moindre trait est documenté, recherché, référencé. Bon, et l’histoire, alors, me demanderez-vous ? Paul est un petit fonctionnaire effacé, qui cache sous sa calvitie et ses grandes lunettes une obsession : depuis son plus jeune âge il se trouve en communication télépathique avec un ancien général d’un vaste empire galactique humain du futur très, mais alors, très lointain. Souvenirs de l’empire de l’Atome est à la fois bande dessinée de science-fiction et bande dessinée sur la science-fiction.
 
 
Et ils ont récidivé : un jeu comparable et tout aussi serré de références tisse L’Été Diabolik,  qui passe cette fois au crible la décennie soixante. Guerre froide, James Bond, romance estivale, grandes villas modernistes… et planant sur tout cela l’ombre menaçante et le visage masqué d’un anti-héros de bande dessinée, le Diabolik des créatrices italiennes Angela et Luciana Giussani. On quitte la pure science-fiction mais l’on prend aux racines de tout un imaginaire populaire — « geek », dirait-on aujourd’hui. Et toujours ces images somptueuses, si bien documentées, si bien réinventées. Beauté, finesse et narration captivante : ils sont très forts, Clérisse et Smolderen.
 
André-François Ruaud 
 
Retrouvez les boussoles du capitaine.
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