En dépit de sa discrétion, Johan Heliot fait désormais partie des personnalités incontournables de notre petit landernau. Le complice multirécidiviste de Xavier Mauméjean se distingue en solo avec régularité, et dans (pratiquement) tous les genres. Une constance qui s'explique par son incontestable aisance d'écriture, et une volonté affichée de vivre de sa plume. Le talent certain du bonhomme fait qu'on lui pardonne volontiers certains ratés dans sa bibliographie et qu'on excuse facilement de récurrentes faiblesses dramaturgiques. D'autant plus facilement, qu'elles n'entravent pas nécessairement le plaisir que l'on prend à lire les romans de ce passionné des littératures populaires, auxquelles il rend un hommage décomplexé et intelligent dans cette série lunaire.
Inaugurée en 2000 avec La Lune seule le sait, il lui donne une suite quatre ans plus tard avec La Lune n'est pas pour nous. Après une exploration du Paris de Jules Verne, puis un détour par l'Allemagne nazie, dans ce troisième volume, Johan Heliot nous soumet à un nouveau saut quantique, pour nous précipiter dans son Amérique de la fin des années 50. Le principe est le même que dans les deux précédents volumes : mélanger personnalités historiques et personnages de fiction, dans une uchronie rocambolesque où la Lune, devenue un refuge de libertaires, s'est arrachée à son orbite grâce à l'action des Ishkiss, derniers survivants d'un race extra-terrestre naufragée sur Terre, et gagnée à la cause des révolutionnaires.
Blue Moon of Kentucky
Tueur assermenté par les services secrets français, et trompettiste jazzeux amateur, Boris se voit chargé d'éliminer le Maréchal Rommel, réfugié aux sources du Nil avec les vestiges de son Afrikakorps au lendemain de la défaite du Reich, à l'aube des années 50. Durant sa traque au cœur des ténèbres, il apprend que le renard du désert, est devenu une sorte de mystique pacifiste, suite à sa rencontre avec une unité un peu particulière de Marines, celle du mythique Commandant Bob.
Compagnon d'arme de Eisenhower, héros de l'Amérique, fondateur de la Section Anti-Sélénites et aujourd'hui pundit de la communication de masse au sein de l'agence Stephens,Tate & Goebbels (oui, celui-là même), Robert Heinlein est un personnage complexe et mystérieux. Il ne fait aucun doute que ses liens avec le SAS sont demeurés actifs, mais son récent virage professionnel, ainsi que son rapprochement avec l'Oncle Walt, le magnat ultra-conservateur des médias, inquiète. Au point que la France va dépêcher Boris outre-Atlantique, afin d'éliminer le Commandant Bob.
C'est sous l'identité d'emprunt de Vernon Sullivan, journaliste pour Time Magasine, que l'exécuteur des basses œuvres de l'État débarque aux USA, le jour même où le président Eisenhower est victime d'un attentat à Dallas. Le tireur a vite été appréhendé, en possession de l'arme dérivée des technologies Ishkiss, qui a servi à tuer le président. Il s'agit un jeune homme originaire de Memphis, balayeur aux studios Sun Records : Elvis Presley.
« Poussez pas derrière ! »
Si on avait pu regretter qu'il ait négligé de développer certains aspects de son intrigue dans les deux premiers volumes (son Hitler était, par exemple, assez raté), Johan Heliot avait su trouver le mix idéal entre clin d'œil et utilisation habile de références pointues. Références à la littérature populaire, bien entendu, puisque c'est la finalité même de cette série. L'autre belle réussite avait été le travail sur le style. Rendant hommage à ses maîtres, Heliot avait parfaitement su rendre l'écriture d'un Maurice Leblanc ou celle d'un Léo Mallet. Et que le talon d'Achille de ce troisième tome, soit précisément ce qui avait fait la force des ses prédécesseurs est d'une ironie cruelle, mais somme toute, logique.
Il apparaît comme évident, que Johan Heliot est bien plus familier de l'Amérique des années 50, qu'il ne l'était du Second Empire ou de l'Entre-deux guerres. Cette distance, comblée sans doute par une abondante documentation, l'avait préservé de la tentation de trop en mettre. C'était l'exact dosage qui garantissait la justesse de ton de la série. Qui l'empêchait de tomber dans l'anecdotique. Ou pire, dans la comédie de boulevard, comme c'est le cas pour La Lune vous salue bien.
Ne résistant pas au plaisir (dangereux), de se faire plaisir, Heliot convoque au long de ces pages tout ceux que sa pop-culture de trentenaire tardif a pu assimiler à la période mise en scène. Ça fait du monde à caser. Beaucoup trop de monde. Ainsi se retrouve-t-on avec deux publicistes tout droit sorti de Ma Sorcière bien-aimée, deux Men from Uncle, un rat pack de tueurs mafieux, une Lolita un peu trop opportuniste pour être digne de Nabokov, un JFK bien concupiscent et un Nixon dont la bêtise aurait même fait reculer Oliver Stone, un Leslie Nielsen encore brun, un Walt Disney plus réac que nature, un Hubbard coupablement sympathique, un Burroughs et un Leary absurdement sénateurs (surtout Leary qui, en 1957 était encore un très sérieux professeur d'université). La liste est encore longue.
Côté français, on ouvre les hostilités avec une référence plutôt bienvenue au commandant Dromard, l'irremplaçable Monocle noir immortalisé par Paul Meurisse, avant de se retrouver face à un M. Hulot grotesquement devenu barbouze et agent de liaison sélénite. Au passage on notera la présence de l'immortel Geo Paquet, alias Le Gorille, dans le rôle du faire-valoir de Dromard. Ce qui explique sans doute sa disqualification au poste de buteur en chef des services secrets français, et l'insolite promotion de Boris Vian à ces sombres offices. Dommage, il restait encore Hubert Bonnisseur de la Bath, Louis "le Tigre" Rapière ou encore l'inoxydable Lemmy Caution (dont l'americanitude peut être sujette à débat). Tous en tout cas, aurait fait un nettoyeur plus crédible que ce hâtif sanguinaire de circonstance.
Ineffable poésie de la langue verte
D'autant plus qu'eux, n'auraient pas eu à se forcer pour débiter le jars. Car fidèle à son principe d'assimilation stylistique, Johan Heliot, assez logiquement, cueille cette fois sa plume au ras du pavé, et derrière un argot hésitant, on sent la révérence aux maîtres : les Simonin, Boudard ou Blondin. Pour méritoire, l'exercice est périlleux, et pose de nombreux et très concrets problèmes de pure technique.
Le premier, et peut-être le moins grave, c'est de devoir faire parler l'auteur de "J'suis snob", comme Raoul Volfoni. On frôle la faute de goût, mais soit. Le second, c'est de trouver le dosage idéal. Ça me désole, mais de nos jours, il faut se rendre à cette cruelle évidence, y'a nib de viande pour jaspiner correct la langue vernaculaire de nos glorieux anciens. Résultat, il faut trouver une approximation convaincante, ce dont Heliot se tire avec les honneurs. Mais pour qu'elle le soit, il faut en faire un usage constant, tout le long du roman.
Ce qui nous amène au troisième problème. Crucial celui-là : l'argot n'est pas une langue qui se prête facilement à toutes les situations. Elle assaisonne joliement l'action, pimente les dialogues, rend l'attente presque réjouissante, mais sonne faux dès qu'il s'agit d'être un peu profond, un brin mystique, ou même carrément romantique. Normal, elle ne servait pas à ça. C'était le langage des truands et celui des petites gens, et ni les uns ni les autres n'avaient le temps de se livrer à l'introspection. Très tôt dans l'action Johan Heliot se trouve donc confronté aux limites de la langue qu'il s'est choisie, et tente de l'esquiver par le subterfuge trop facile de la rupture de registres. Ainsi, en fonction des circonstances, Boris Vian retrouve-t-il brutalement ses lettres, ce qui nous laisse l'impression d'un personnage mal défini, se jouant la comédie de l'affranchi, mais sans vraiment y croire. Et si lui n'y croit pas, pourquoi le ferions nous ?
La suite de trop ?
On pourra arguer que des auteurs comme Alphonse Boudard parviennent à nous rendre les doutes de leurs personnages dans la langue fleurie des arcans, mais c'est parce qu'ils nous dépeignent des hommes qui leur ressemblent. Des hommes dont l'échelle de valeurs émotionnelle est reflétée sans artifice par l'usage de l'argot. Or malgré toute sa bonne volonté, Johan Heliot ne parvient pas à nous convaincre qu'il s'est assez approprié cette langue, pour l'utiliser efficacement. Ajouté au saugrenu de certaines situations (Lucky Luciano servant à Walt Disney l'éculé « Allo tonton, pourquoi tu tousses ? » de Fernand Raynaud), on ne se laisse porter que distraitement par cette suite décevante d'une série qui avait su, jusque là, trouver et garder un ton original et pertinent, en même temps que le sens de la mesure. Heliot s'adonne sans retenue au plaisir douteux d'enfiler références sur références. Il y sacrifie l'intérêt de son intrigue et verse même parfois dans le lourdingue.
Alors qu'il semble qu'un quatrième tome s'annonce (c'est du moins ce que laisse supposer la fin très ouverte de La Lune vous salue bien), on se prend à redouter un retour sur les pires moments des années 70, avec des gendarmes tropéziens, des services secrets sous la haute main d'un grand blond avec une chaussure noire et un Bebel guignolo en spécialiste des feux oranges de la Giscardie pan-africaine. Éspérons donc que, si suite il y a, elle lorgne plus du côté de Jean-Pierre Melville que de Gérard Oury, car elle aura à faire oublier la faiblesse de ce troisième de volume.
Inaugurée en 2000 avec La Lune seule le sait, il lui donne une suite quatre ans plus tard avec La Lune n'est pas pour nous. Après une exploration du Paris de Jules Verne, puis un détour par l'Allemagne nazie, dans ce troisième volume, Johan Heliot nous soumet à un nouveau saut quantique, pour nous précipiter dans son Amérique de la fin des années 50. Le principe est le même que dans les deux précédents volumes : mélanger personnalités historiques et personnages de fiction, dans une uchronie rocambolesque où la Lune, devenue un refuge de libertaires, s'est arrachée à son orbite grâce à l'action des Ishkiss, derniers survivants d'un race extra-terrestre naufragée sur Terre, et gagnée à la cause des révolutionnaires.
Blue Moon of Kentucky
Tueur assermenté par les services secrets français, et trompettiste jazzeux amateur, Boris se voit chargé d'éliminer le Maréchal Rommel, réfugié aux sources du Nil avec les vestiges de son Afrikakorps au lendemain de la défaite du Reich, à l'aube des années 50. Durant sa traque au cœur des ténèbres, il apprend que le renard du désert, est devenu une sorte de mystique pacifiste, suite à sa rencontre avec une unité un peu particulière de Marines, celle du mythique Commandant Bob.
Compagnon d'arme de Eisenhower, héros de l'Amérique, fondateur de la Section Anti-Sélénites et aujourd'hui pundit de la communication de masse au sein de l'agence Stephens,Tate & Goebbels (oui, celui-là même), Robert Heinlein est un personnage complexe et mystérieux. Il ne fait aucun doute que ses liens avec le SAS sont demeurés actifs, mais son récent virage professionnel, ainsi que son rapprochement avec l'Oncle Walt, le magnat ultra-conservateur des médias, inquiète. Au point que la France va dépêcher Boris outre-Atlantique, afin d'éliminer le Commandant Bob.
C'est sous l'identité d'emprunt de Vernon Sullivan, journaliste pour Time Magasine, que l'exécuteur des basses œuvres de l'État débarque aux USA, le jour même où le président Eisenhower est victime d'un attentat à Dallas. Le tireur a vite été appréhendé, en possession de l'arme dérivée des technologies Ishkiss, qui a servi à tuer le président. Il s'agit un jeune homme originaire de Memphis, balayeur aux studios Sun Records : Elvis Presley.
« Poussez pas derrière ! »
Si on avait pu regretter qu'il ait négligé de développer certains aspects de son intrigue dans les deux premiers volumes (son Hitler était, par exemple, assez raté), Johan Heliot avait su trouver le mix idéal entre clin d'œil et utilisation habile de références pointues. Références à la littérature populaire, bien entendu, puisque c'est la finalité même de cette série. L'autre belle réussite avait été le travail sur le style. Rendant hommage à ses maîtres, Heliot avait parfaitement su rendre l'écriture d'un Maurice Leblanc ou celle d'un Léo Mallet. Et que le talon d'Achille de ce troisième tome, soit précisément ce qui avait fait la force des ses prédécesseurs est d'une ironie cruelle, mais somme toute, logique.
Il apparaît comme évident, que Johan Heliot est bien plus familier de l'Amérique des années 50, qu'il ne l'était du Second Empire ou de l'Entre-deux guerres. Cette distance, comblée sans doute par une abondante documentation, l'avait préservé de la tentation de trop en mettre. C'était l'exact dosage qui garantissait la justesse de ton de la série. Qui l'empêchait de tomber dans l'anecdotique. Ou pire, dans la comédie de boulevard, comme c'est le cas pour La Lune vous salue bien.
Ne résistant pas au plaisir (dangereux), de se faire plaisir, Heliot convoque au long de ces pages tout ceux que sa pop-culture de trentenaire tardif a pu assimiler à la période mise en scène. Ça fait du monde à caser. Beaucoup trop de monde. Ainsi se retrouve-t-on avec deux publicistes tout droit sorti de Ma Sorcière bien-aimée, deux Men from Uncle, un rat pack de tueurs mafieux, une Lolita un peu trop opportuniste pour être digne de Nabokov, un JFK bien concupiscent et un Nixon dont la bêtise aurait même fait reculer Oliver Stone, un Leslie Nielsen encore brun, un Walt Disney plus réac que nature, un Hubbard coupablement sympathique, un Burroughs et un Leary absurdement sénateurs (surtout Leary qui, en 1957 était encore un très sérieux professeur d'université). La liste est encore longue.
Côté français, on ouvre les hostilités avec une référence plutôt bienvenue au commandant Dromard, l'irremplaçable Monocle noir immortalisé par Paul Meurisse, avant de se retrouver face à un M. Hulot grotesquement devenu barbouze et agent de liaison sélénite. Au passage on notera la présence de l'immortel Geo Paquet, alias Le Gorille, dans le rôle du faire-valoir de Dromard. Ce qui explique sans doute sa disqualification au poste de buteur en chef des services secrets français, et l'insolite promotion de Boris Vian à ces sombres offices. Dommage, il restait encore Hubert Bonnisseur de la Bath, Louis "le Tigre" Rapière ou encore l'inoxydable Lemmy Caution (dont l'americanitude peut être sujette à débat). Tous en tout cas, aurait fait un nettoyeur plus crédible que ce hâtif sanguinaire de circonstance.
Ineffable poésie de la langue verte
D'autant plus qu'eux, n'auraient pas eu à se forcer pour débiter le jars. Car fidèle à son principe d'assimilation stylistique, Johan Heliot, assez logiquement, cueille cette fois sa plume au ras du pavé, et derrière un argot hésitant, on sent la révérence aux maîtres : les Simonin, Boudard ou Blondin. Pour méritoire, l'exercice est périlleux, et pose de nombreux et très concrets problèmes de pure technique.
Le premier, et peut-être le moins grave, c'est de devoir faire parler l'auteur de "J'suis snob", comme Raoul Volfoni. On frôle la faute de goût, mais soit. Le second, c'est de trouver le dosage idéal. Ça me désole, mais de nos jours, il faut se rendre à cette cruelle évidence, y'a nib de viande pour jaspiner correct la langue vernaculaire de nos glorieux anciens. Résultat, il faut trouver une approximation convaincante, ce dont Heliot se tire avec les honneurs. Mais pour qu'elle le soit, il faut en faire un usage constant, tout le long du roman.
Ce qui nous amène au troisième problème. Crucial celui-là : l'argot n'est pas une langue qui se prête facilement à toutes les situations. Elle assaisonne joliement l'action, pimente les dialogues, rend l'attente presque réjouissante, mais sonne faux dès qu'il s'agit d'être un peu profond, un brin mystique, ou même carrément romantique. Normal, elle ne servait pas à ça. C'était le langage des truands et celui des petites gens, et ni les uns ni les autres n'avaient le temps de se livrer à l'introspection. Très tôt dans l'action Johan Heliot se trouve donc confronté aux limites de la langue qu'il s'est choisie, et tente de l'esquiver par le subterfuge trop facile de la rupture de registres. Ainsi, en fonction des circonstances, Boris Vian retrouve-t-il brutalement ses lettres, ce qui nous laisse l'impression d'un personnage mal défini, se jouant la comédie de l'affranchi, mais sans vraiment y croire. Et si lui n'y croit pas, pourquoi le ferions nous ?
La suite de trop ?
On pourra arguer que des auteurs comme Alphonse Boudard parviennent à nous rendre les doutes de leurs personnages dans la langue fleurie des arcans, mais c'est parce qu'ils nous dépeignent des hommes qui leur ressemblent. Des hommes dont l'échelle de valeurs émotionnelle est reflétée sans artifice par l'usage de l'argot. Or malgré toute sa bonne volonté, Johan Heliot ne parvient pas à nous convaincre qu'il s'est assez approprié cette langue, pour l'utiliser efficacement. Ajouté au saugrenu de certaines situations (Lucky Luciano servant à Walt Disney l'éculé « Allo tonton, pourquoi tu tousses ? » de Fernand Raynaud), on ne se laisse porter que distraitement par cette suite décevante d'une série qui avait su, jusque là, trouver et garder un ton original et pertinent, en même temps que le sens de la mesure. Heliot s'adonne sans retenue au plaisir douteux d'enfiler références sur références. Il y sacrifie l'intérêt de son intrigue et verse même parfois dans le lourdingue.
Alors qu'il semble qu'un quatrième tome s'annonce (c'est du moins ce que laisse supposer la fin très ouverte de La Lune vous salue bien), on se prend à redouter un retour sur les pires moments des années 70, avec des gendarmes tropéziens, des services secrets sous la haute main d'un grand blond avec une chaussure noire et un Bebel guignolo en spécialiste des feux oranges de la Giscardie pan-africaine. Éspérons donc que, si suite il y a, elle lorgne plus du côté de Jean-Pierre Melville que de Gérard Oury, car elle aura à faire oublier la faiblesse de ce troisième de volume.