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La Machine de Léandre - le nouveau roman d'Alex Evans
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La Machine de Léandre - le nouveau roman d'Alex Evans

Pour fêter la rentrée de la fantasy, nous vous proposons de découvrir une interview d'Alex Evans au sujet de son roman, La Machine de Léandre, à paraître le 12 septembre aux éditions Actusf.

Actusf : Comment est née l'idée de ce roman ?

" Je me suis intéressé à un héros qu'on voit assez rarement de nos jours: le scientifique ou plutôt l'idée qu'on s'en faisait. Un individu peu intéressé par l'argent, capable de risquer sa peau non pas pour sauver le monde ou sa dulcinée, mais pas pure curiosité."

Alex Evans : J'avais d'abord écrit dans le même univers Les Murailles de Gandarès paru aux défuntes éditions Numeriklivres. Il s'agissait d'un roman de high fantasy qui se passait environs 400 ans avant La Machine de Léandre et racontait les prémisses de la disparition la magie. J'en ai eu de bons retours, mais peu de succès commercial. Je me suis dit que la high fantasy était quelque peu passée de mode et que si je voulais me faire connaître, je devais écrire quelque chose qui fut plus dans l'air du temps. Comme je me voyais mal en train d'écrire une romance sadomaso, je me suis tournée vers le steampunk et j'ai simplement imaginé ce que deviendrait le monde des Murailles de Gandarès après quelques siècles. Sans magie, les gens reviendraient à des techniques plus matérielles, et on pouvait prévoir l'arrivée d'une révolution industrielle au bout de quelques siècles.

Quand j'avais 10-13 ans, j'avais lu beaucoup de romans populaires de la fin du 19ème siècle (Les Mines du Roi Salomon, Le Prisonnier de Zenda, Jules Vernes…) et je voulais restituer leur ambiance d'aventure débridée. Je me suis intéressé à un héros qu'on voit assez rarement de nos jours: le scientifique ou plutôt l'idée qu'on s'en faisait. Un individu peu intéressé par l'argent, capable de risquer sa peau non pas pour sauver le monde ou sa dulcinée, mais pas pure curiosité. Les professeurs Challenger de Conan Doyle ou Lidenbrock de Jules Vernes. J'ai aussi pensé que s'il y avait eu de la magie au 19ème siècle, elle aurait été étudiée comme n'importe quelle discipline scientifique, avec expérimentations, publications d'articles, congrès, querelles de clochers... À l'époque on parlait de l'art pour l'art mais aussi de la science pour la science. Certaines découvertes n'ont eu aucune application pratique immédiate, mais on les a étudiées quand même, comme les carbones chiraux par Pasteur, par exemple. D'un autre côté, il y avait déjà des enjeux financiers énormes (pensez à Nobel et la nitroglycérine) et une sérieuse rivalité entre certaines équipes de chercheurs.

C'est avec ces sources multiples que j'ai eu l'idée de départ.

Actusf : Constance Agdal est une héroïne bien punchy. Comment tu la présenterais ?

Alex Evans : C'est une sorcière. Si les héroïnes de Sorcières associées la pratiquent pour l'argent, Constance est une chercheuse qui travaille au sein d'un laboratoire. Elle étudie la magie fondamentale, ce qui signifie son mode de fonctionnement, pas les applications pratiques qu'on pourrait en faire. D'ailleurs, c'est précisément quand elle entreprend de s'intéresser à une application pratique que ses problèmes commencent!

C'est une femme qui par sa position (réfugiée politique venue d'une dictature religieuse particulièrement misogyne) a vu l'envers du décor de nombre de situations. Elle est arrivée à son poste de professeur (sans "e") à la force du poignet. Ses origines humbles, étrangères et sa situation de femme exerçant un métier d'homme en font une paria sociale. Elle ne croit plus en grand-chose sauf en la science. Elle est peu impressionnable (imaginez une ado réfugiée qui aurait déjà traversé la Méditerranée sur un radeau. Vous croyez qu'elle serait traumatisée par une tache sur son chemisier, une fois adulte?). Son point faible, c'est son rapport avec la magie car cette dernière est liée à de nombreux traumatismes. Dans ce roman, je ne fais qu'effleurer son passé.

Actusf : Ce qui est intéressant, c'est cette sorte de disparition, tout du moins de retrait de la magie alors que souvent en fantasy, elle est posée comme un cadre invariable. Comment est née l'idée de cette magie fluctuante ? Et comment as-tu géré cette relative absence dans ton univers ?

"Une magie chère et fluctuante permet à mon avis beaucoup plus de développements qu'une magie "fixe": le problème quand vous en avez trop dans votre univers, c'est que vous devez à un moment expliquer pourquoi vos sorciers ne sont pas tout-puissants [...]"

Alex Evans : J'ai commencé à avoir l'idée de cet univers étant ado. Mon père était chercheur en physique nucléaire (d'ailleurs lorsque j'ai imaginé le personnage de Constance, j'ai pensé à Marie Curie). En plus, comme des millions d'élèves de lycée, j'étudiais les rayons gamma. Ils sont invisibles, inaudibles, indétectables sans matériel spécial et peuvent être destructeurs. Ils peuvent aussi se représenter sous forme d'une onde avec une fréquence. C'est comme ça que j'ai eu l'idée d'une magie qui serait une sorte de rayonnement, mais avec plusieurs cycles qui se superposent et que les sorciers au cours des siècles vont tenter d'estimer avec une transformation de Fourier (il leur faudra déjà inventer le concept). Hélas, ils n'ont pas d'ordinateur pour faire les calculs à leur place! Et bien sûr, si les rayons gamma sont onde et particule, la magie est une énergie physique et mystique (la composante la plus dure à évaluer) avec un système de paiement karmique.

Une magie chère et fluctuante permet à mon avis beaucoup plus de développements qu'une magie "fixe": le problème quand vous en avez trop dans votre univers, c'est que vous devez à un moment expliquer pourquoi vos sorciers ne sont pas tout-puissants: pourquoi Gandalf ne peut pas transporter sa petite troupe à Gondor par magie, par exemple? Pourquoi se bat-il contre Saruman avec des armées et pas des boules de feu ou des bombes? Un sorcier aussi fort devrait s'y connaître en chimie, non? Enfin, dans un monde où la magie est omniprésente, pourquoi ne serait-elle pas utilisée au quotidien pour faire la lessive ou la vaisselle?

Aussi, l'absence de magie à certaines époques, ne m'a pas posé de problèmes, après tout, dans le monde réel, on a très bien su s'en passer ! D’autre part, sa présence à d'autres périodes permet d'explorer des thèmes aussi divers que l'attitude de l'homme vis-à-vis de l'inconnu, du danger, de la découverte, de la connaissance, du progrès et du prix qu’on peut être prêt à payer pour certaines choses.

Actusf : Même question autour de ton univers, entre steampunk et magie. Comment l'as-tu construit ? Il a des règles magiques ou techniques particulières par exemple ?

"Je voulais au maximum éviter les clichés. Pour moi, l'intérêt de la fantasy, c'est tout de même de pouvoir créer un environnement original, alors je n'allais pas refaire un énième monde pseudo médiéval."

Alex Evans : Ce n'est pas du tout un monde fixe, plat et limité qui traverse les millénaires inchangé, où tous les habitants parlent la même langue, ont le même mode de vie et attendent la réalisation de la même prophétie (quoi que…). C'est une planète avec des mers, des continents et des îles, des écosystèmes, des sociétés humaines qui se déplacent, subissent famines et épidémies, se font la guerre et se transforment pour le meilleur et pour le pire. D'autre part, il y a plusieurs univers parallèles à cet univers principal, habités par diverses créatures magiques. Enfin il existe des divinités qui transcendent ces univers et se fichent un peu des humains, sauf quand ces derniers provoquent des cataclysmes à l'échelle cosmique par un usage inconsidéré de la magie.

Je voulais au maximum éviter les clichés. Pour moi, l'intérêt de la fantasy, c'est tout de même de pouvoir créer un environnement original, alors je n'allais pas refaire un énième monde pseudo médiéval. Certes, au cours des siècles j'ai des sociétés féodales ou misogynes, mais il y en a beaucoup d'autres. Si j'ai situé La Machine de Léandre dans un pays qui rappelle l'Europe de la Belle Époque, c'est surtout pour que le lecteur ne perde pas tout de suite ses repères culturels.

L'histoire globale de ce monde est la suivante: 1000 ans avant Les Murailles de Gandarès et 1400 ans avant La Machine de Léandre et Sorcières associées, existait un empire, Atlantis, technologiquement très avancé et qui reposait sur l'utilisation de la magie, un peu comme notre monde moderne repose sur les énergies fossiles. Les Atlantes vont tenter de stocker la magie en prévision de sa disparition, en oubliant les lois mystiques qui la régissent. Cela va provoquer un cataclysme qui va détruire cet empire et plonger le reste du monde dans le chaos. Il y a une régression technologique vers l'équivalent de notre Xème siècle européen, avec quelques restes d'ancien savoir: c'est les Temps Troublés. Après quelques siècles, la magie revient, mais après l'expérience du cataclysme, les gens sont hostiles à son utilisation. De plus, il reste très peu de documents expliquant comment faire des sortilèges. Petit à petit, les mauvais souvenirs s'effacent et on recommence à pratiquer la magie, mais elle disparaît à nouveau: ce sont les évènements racontés dans le cycle qui commence par Les Murailles de Gandarès. Les sorciers se reconvertissent en scientifiques et ingénieurs, la technologie progresse et au bout de 400 ans, arrive au niveau de celle des années 1890, avec machines à vapeur, usines et production de masse. Et là, la magie revient. C'est l'histoire de La Machine de Léandre.

Côté "technique" le prix karmique à payer refroidit sérieusement l'enthousiasme de la plupart des sorciers. Au mieux, un sortilège se paye en énergie vitale, qui est renouvelable jusqu'à un certain point. De plus, pour lancer les sorts les plus puissants, ils doivent entrer dans un état de transe qui les met hors service pour quelques jours. Enfin, les sortilèges touchant directement un être vivant se payent au prix fort (si vous tuez magiquement un moustique, vous mourez aussi) et ceux qui l'affectent indirectement se répercutent sur votre destin.

Mais les humains ont toujours été inventifs. Une grande partie du travail des sorciers consiste à gérer ou contourner ces limitations. Par exemple, en faisant faire le sortilège par quelqu'un d'autre : les jinns, faes, dragons et autres étant des créatures en partie composées de magie, elles peuvent lancer des sortilèges puissants sans être affectées ou fabriquer des talismans qui ne sont rien de plus que des "appareils à sortilège fixe". Les humains vont donc passer des marchés avec elles ou les contraindre d'une façon ou d'une autre à faire le gros du travail. Cependant, certains sont convaincus que ces méthodes artisanales pourraient être automatisées: c'est l'histoire de La Machine de Léandre.

Actusf : Quel lien y'a-t-il avec Sorcières Associées et l’Échiquier de jade ?

Alex Evans : Ces trois romans se passent dans le même univers. La Machine de Léandre prend place une dizaine d'années avant Sorcières associées, dans la ville de Grande Courbe, située en zone tempérée à environ trois mille kilomètres au nord de Jarta.

Actusf : Quels sont tes projets, sur quoi travailles-tu ?

Alex Evans : Depuis deux ans, j'en suis encore à réécrire un long roman que j'avais abandonné faute de temps: Le Baiser du scorpion. Il se déroule toujours dans le même univers, 500 ans avant Sorcières associées, au Nadinh, le pays d'origine de Tanit. On y voit débarquer Atil, une prêtresse à la recherche d'un grimoire volé dans son temple. Elle va non seulement se retrouver plongée au milieu d'intrigues politiques et d'une guerre naissante mais aussi coincée entre trois dieux et leur clergé: Oray, déesse de la sagesse et de la création, son jumeau, le Tricheur et son adversaire, le Traître. La pauvre femme aura fort à faire pour sauver sa peau, ou au moins son âme.

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