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Le Garçon et la ville qui ne souriait plus, le dernier roman de David Bry
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Le Garçon et la ville qui ne souriait plus, le dernier roman de David Bry

« Qui sommes-nous, pour décider de ce qui est normal ou pas ? Qui sommes-nous pour décider qui doit vivre dans notre société, et qui ne le doit pas ? Et sous quel prétexte ? »

ActuSF : Bonjour David et merci de revenir prendre la parole sur ActuSF ! Pour commencer, pourriez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?

David Bry : Bonjour ! Je suis donc David Bry, auteur de huit romans dans les littératures de l’imaginaire et publié depuis 2009. Je suis fan de Shakespeare, de Tolkien, de Virginia Woolf et de Yeats, ai 45 ans, vis à la campagne car je me dessèche en ville. Et, même si ça commence à se savoir, je déteste globalement les happy ends (rires).

ActuSF : Vous avez publié récemment Le Garçon et la ville qui ne souriait plus aux éditions Lynks. Un Paris uchronique, une Police des Normes, une étrange Cour des Miracles… Pouvez-vous nous présenter ce texte et sa genèse ? Quel a été le point de départ de ce récit ?

"Le monde du roman est à cette image. Presque comme le nôtre. Juste un peu plus figé. Juste un peu plus intolérant. Juste un peu plus fermé. Juste un peu plus…"

David Bry : Je me souviens très bien du moment où j’ai eu l’idée et l’envie de ce roman. C’était un soir de fête chez un ami, il y a 3 ou 4 ans, au bord du canal de l’Ourcq. Il y avait autour de moi des Blancs, des Noirs, des Arabes, des bobos et des gens qui galéraient au chômage, des homosexuels et des hétéros, des hommes, des femmes, des gros, un gars avec deux doigts en moins et d’autres très à cheval sur leur physique. J’ai réalisé, ce soir-là, la chance que j’ai de vivre dans un environnement si hétéroclite, quand notre société tend à se refermer sur elle-même et à se méfier de l’autre. J’ai voulu écrire une histoire qui montrerait ce que donnerait un monde uniforme, sans différence. Un monde qui, à titre personnel, me glacerait.

Partant de cette idée, j’ai inventé ce Paris uchronique du Garçon, pas très éloigné de notre Paris du 19ème siècle, mais dans lequel l’Église a imposé ces fameuses Lois de la Norme obligeant tous ceux qui sont différents à vivre sur l’île de la Cité, rebaptisée « Cour des Miracles ».

Le monde du roman est à cette image. Presque comme le nôtre. Juste un peu plus figé. Juste un peu plus intolérant. Juste un peu plus fermé. Juste un peu plus…

ActuSF : Pouvez-vous également nous présenter un peu plus en détail les protagonistes du récit ?

David Bry : Le garçon et la ville qui ne souriait plus raconte l’histoire de Romain, un jeune garçon de bonne famille bien sous tous rapports, mais qui cache un lourd secret, si lourd qu’il n’a pu en parler à personne. Pas à sa sœur Adélaïde, pas à sa mère la terrible Isabelle (je laisse aux lecteurs le bonheur de la rencontrer… bon courage !), ni à son père, éternel absent. Romain a du mal à se mêler à la société de ce Paris étriqué. Son seul ami est Ambroise, comme lui jeune bourgeois, et comme lui à l’étroit dans la place que ses parents lui imposent. Ensemble, la nuit, ils font le mur pour se rendre dans les cabarets, apprendre la savate, boire du vin coupé d’eau dans les bistrots, et surtout refaire le monde. Mais le roman ne raconte pas bien sûr que leur histoire, il parle aussi de ces anormaux relégués sur l’île de la Cité. Il y a Lion à l’œil difforme, fougueux et obstiné, le vaillant Akou, à la peau noire comme la nuit, au courage aussi grand que son sens de l’amitié, le petit Zacharie à la recherche de sa mère, l’aïeule Tissot aux multiples personnalités, Joséphine au surpoids imposant, et qui n’aime rien plus que foncer dans les égouts avec sa caisse à savon. Face à eux, la galerie n’est pas en reste. Les Lames Noires, à la solde de l’Église, trainent dans les ombres, leurs cannes-épées prêtes à frapper.

ActuSF : L’argot utilisé dans ce roman et la description d'un Paris du 19e un peu différent ne sont pas non plus pour nous déplaire. Comment le travail documentaire s’est-il organisé ?

David Bry : Il me semblait impossible que les gens de la Cour des Miracles parlent le même français que la bonne société parisienne, surtout confinés comme ils le sont. J’ai donc logiquement voulu utiliser l’argot parisien de l’époque. J’ai beaucoup cherché, et ai fini par trouver un dictionnaire d’argot du 19ème siècle. Autant le dire, je me suis régalé : c’est une collection d’images plus drôles (et parfois crues !) les unes que les autres. Piocher dedans pour rendre les dialogues réalistes a été un véritable bonheur. J’y ai ajouté quelques expressions de mon cru. Il a fallu cependant que je sois attentif à rendre les expressions facilement compréhensibles par le lecteur. Il y a un lexique en fin de roman, mais l’objectif était de faire en sorte que le lecteur puisse s’en passer afin de ne pas le sortir de l’histoire. Par exemple, lorsque Romain s’inquiétait, Lion pouvait lui demander de ne pas se manger le cœur, ou bien lorsqu’il s’agissait de partir combattre les Lames Noires, l’aïeule Tissot pouvait parler de se les accommoder à la sauce piquante. Il a fallu, enfin, doser aussi, ne mettre que quelques expressions, afin de ne pas noyer le lecteur sous trop d’argot, ce qui aurait pu rendre le texte difficile à lire.

Concernant la ville en elle-même, j’ai repris de vieux plans de Paris, ai retrouvé les anciens noms des rues, des ponts, en ai là aussi inventé certains… L’objectif était de rendre ce Paris-là familier.

ActuSF : Peut-on imaginer une suite aux aventures de Romain, Lion et tous les autres ?

"J’ai cependant écrit cinq petites nouvelles pour accompagner la sortie du Garçon, qui se passent toutes quinze ans après la fin et qui racontent, chacune à sa manière, le destin de quelques-uns des personnages."

David Bry : A priori, non. Je suis à l’aise avec les one shot, et suis toujours curieux de faire autre chose. Après les forêts enneigées de Que passe l’hiver je suis passé au Paris du Garçon, puis à la campagne inquiétante de La princesse au visage de nuit, mon tout dernier roman. L’attrait de l’ailleurs ! J’ai cependant écrit cinq petites nouvelles pour accompagner la sortie du Garçon, qui se passent toutes quinze ans après la fin et qui racontent, chacune à sa manière, le destin de quelques-uns des personnages. Ces nouvelles ont été distribuées pour certaines, et devraient prochainement être mises en ligne par ma maison d’édition (Lynks).

ActuSF : Ce très beau texte a une résonance toute particulière avec certains évènements tristement contemporains. Pensez-vous qu’aujourd’hui, il faille être davantage vigilants sur les questions de libertés, de différences et de droits ?

"Les politiques s’emparent de ces sujets et leur seule réponse est soit plus de sécurité au prix d’une liberté moindre, soit un renfermement sur soi. Est-ce le bon marché ? Je suis très, très loin d’en être convaincu."

David Bry : J’en suis convaincu, et c’est ce qui a en partie motivé l’écriture de ce roman. J’ai l’impression que tout le monde se referme sur soi, sur ses semblables. Chaque groupuscule se sent menacé par le groupuscule d’à côté. La société s’atomise, l’autre effraie, à tel point qu’on ne défend plus que ses propres droits, ses propres idées, sans se préoccuper des autres. Deux exemples récents de notre histoire : la Manif pour tous, qui s’est dressée pour interdire (!!) des droits à d’autres, et les migrants, qu’on rejette de port en port puisqu’on ne peut pas « sauver le monde ». Et je ne parle pas des actes antisémites et homophobes qui explosent, de tous ces passages à l’acte qui montrent qu’on supporte globalement de moins en moins la différence.

Les politiques s’emparent de ces sujets et leur seule réponse est soit plus de sécurité au prix d’une liberté moindre, soit un renfermement sur soi. Est-ce le bon marché ? Je suis très, très loin d’en être convaincu.

ActuSF : Un mot sur la couverture de Mélanie Delon ?

David Bry : J’ai décidément beaucoup de chance avec les couvertures de mes romans ! Et celle de Mélanie ne fait pas exception. Je me demandais comment elle pourrait exprimer ce jeune homme tourmenté, ce Paris terrible, cette quête de liberté et de soi. Mélanie a la douceur du trait et des couleurs, quelque chose d’incroyable, et a réussi à retranscrire tout ça. C’est important pour nous, auteurs, que la couverture soit en phase avec ce qu’on a mis à l’intérieur du livre. Et c’est tout le talent des illustrateurs comme elle.

ActuSF : Sur quels autres projets travaillez-vous ? On me souffle dans l’oreillette que vous travaillez sur un roman La Princesse au visage de nuit et peut-être quelques nouvelles ?

David Bry : Vous êtes bien renseignée (rires).

Je viens en effet de terminer La princesse au visage de nuit, un polar fantastique contemporain. Ce roman raconte l'histoire d'une fillette décédée qui, au fin fond d'une forêt, exaucerait les vœux des enfants suffisamment désespérés pour venir la trouver. C’est aussi l’histoire d'un garçon qui l'a cherchée avec ses amis, en est revenu seul et ne se souvient de rien ; l’histoire de l'adulte qu'il est devenu et qui retourne dans son village enterrer ses parents, morts dans d'étranges circonstances, ce qui va le replonger dans son passé douloureux. De nombreux personnages vont l’accompagner : une gendarme en quête de sa sœur disparue, un vieil artificier au cœur blessé, un ogre, une sorcière, et beaucoup autres encore.

Le roman étant quasi terminé (je n’attends plus que quelques retours pour peaufiner le texte), je me suis attelé à deux nouvelles. La première sera une uchronie pour l’anthologie de Bertrand Campeis chez Rivière Blanche, un pari un peu risqué dans la période surexploitée de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais j’aime essayer et, surtout, le message que je veux faire passer à travers ce texte m’anime. La seconde est pour l’Homme sans Nom, dans une anthologie à venir. Après ça, je vais me lancer dans mon (déjà !) dixième roman. Un nouveau voyage en perspective. Je suis impatient.

ActuSF : Vous êtes également le coup de cœur des Imaginales 2019, notamment grâce au sublime Que passe l’hiver, publié chez L’Homme sans nom et prochainement disponible en poche chez Pocket. Quel effet cela vous fait ?

"Les Imaginales sont un festival très particulier. Il y a la foule de visiteurs, bien sûr, mais aussi l’ambiance incroyable qui y règne, cette impression que tout est accessible, qu’il n’y a pas de barrière entre les lecteurs, les auteurs, les éditeurs."

David Bry : C’est quelque chose d’énorme. Vraiment. Les Imaginales sont un festival très particulier. Il y a la foule de visiteurs, bien sûr, mais aussi l’ambiance incroyable qui y règne, cette impression que tout est accessible, qu’il n’y a pas de barrière entre les lecteurs, les auteurs, les éditeurs. On s’y mélange, on discute de littérature, de tout ! Mais les Imaginales, c’est aussi un rayonnement, une exigence, un porte-étendard de la littérature de l’imaginaire. Qu’ils m’aient désigné coup de cœur est un magnifique cadeau… qui fait aussi très peur (rires). J’étais déjà exigeant vis-à-vis de moi… je le suis désormais deux fois plus ! Je veux être à la hauteur de cette incroyable reconnaissance.

ActuSF : Où les lecteurs pourront-ils vous retrouver en dédicace ?

David Bry : Sur le premier semestre, je serai au salon du livre de Paris les 16 et 17 mars prochain, au petit salon du livre de Rebais (Seine et Marne) le 24 mars, à Trolls et Légendes en Belgique les 20 et 21 avril, et aux Imaginales, bien sûr, du 23 au 26 mai.

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