A l'occasion de la sortie du Guide Stephen King, écrit par Yannick Chazareng aux éditions Actusf, celui-ci a posé quelques questions à Patrick Marcel lors d'un entretien à découvrir également dans cet ouvrage.
Patrick Marcel est le traducteur d’auteurs tels que George R. R. Martin, Mary Gentle, Alfred Bester, Neil Gaiman ou encore Alan Moore. Il a également écrit des essais dont Les Nombreuses Vies de Cthulhu et Monty Python ! Petit précis d’iconoclasme (Les Moutons électriques).
Actusf : Bonjour Patrick, dans votre ouvrage Atlas des brumes et des ombres, vous indiquez que Stephen King est en quelque sorte arrivé à une période charnière de la littérature fantastique. Pouvez-vous préciser cette idée ?
Patrick Marcel : Le triumvirat William Peter Blatty (L’Exorciste), James Herbert (Les Rats) et Stephen King (Carrie, Salem, Shining) a à la fois annoncé, lancé et profité de la grande vague moderne de l’horreur en rencontrant un succès fracassant (on pourrait ajouter le plus discret Thomas Tryon, avec le succès de L’Autre, mais il a un peu été oublié depuis, malgré une adaptation cinéma très réussie). Il y avait bien sûr eu d’autres périodes de vogue du genre, ne serait-ce que celle du romantisme et de l’horreur frénétique d’une Ann Radcliffe, par exemple. Mais avec ces trois gros succès a commencé un règne d’une vingtaine d’années d’une riche production où l’horreur a pris son autonomie par rapport à l’étiquette plus généraliste du fantastique. En modernisant l’approche du genre (comme King qui revisite le Dracula de Stoker dans un cadre d’Amérique contemporaine avec Salem), il remet en course des figures qu’on pensait épuisées et parle à travers elles de l’Amérique et du monde de tous les jours. Il y avait déjà eu des emplois modernes de l’horreur. On pense à Leiber, Bradbury ou Matheson, parmi bien d’autres, depuis la fin des années 1940. Mais King vient d’une des premières générations de l’image, et il fait basculer tout un bestiaire plutôt associé à une imagerie gothique un peu poussiéreuse, livresque ou presque caricaturale, dans un nouvel environnement quasi banal qui lui confère une nouvelle dynamique. Ce ne sera pas sa fonction première, il cherchera vite à trouver des formes plus contemporaines de l’angoisse, mais cet emploi de figures popularisées par des moyens de masse lui permet de sensibiliser un public qui lui ressemble, dont les références ne sont plus seulement littéraires, mais nées du cinéma et de la télé. Et comme pour Blatty et Levin (Rosemary’s Baby), le fait que nombre de ces succès de librairie sont vite portés à l’écran, ce qui amplifie encore leur notoriété, cimente cette synergie entre littérature et image. C’est véritablement un changement de génération qui s’est mis en place et dont King est à la fois héraut et bénéficiaire.
Actusf : Il n’est bien sûr pas seul dans cette mouvance, mais pour vous, quelle place occuperait-il dans le Panthéon des autrices et auteurs du genre ?
Patrick Marcel : C’est difficile à dire, mais c’est un auteur foncièrement capital de la fin du XXe siècle et du début du XXIe. Son immense succès fait bloc, à mon avis. Je ne sais pas s’il y a un roman en particulier qui serait emblématique – peut-être 22/11/63, qui semble avoir réuni les lecteurs et les critiques au-delà de l’efficacité du récit. Mais je pense que c’est d’abord en tant que conteur inextinguible et populaire qu’il marque de façon indélébile.
Actusf : Selon vous, quels artistes sont susceptibles de reprendre le flambeau, de se revendiquer comme ses héritiers littéraires ?
Patrick Marcel : Des héritiers il y en a eu, tous ne sont pas forcément à son niveau. Son succès et sa popularité ont fait des envieux. Mais nombre d’auteurs se le sont donné pour modèle. Je pense par exemple à Robert McCammon dont nombre des premiers livres apparaissent comme des remakes de ceux de King, assez vite après l’arrivée à la gloire de King. L’admiration de Peter Straub à ses débuts n’est pas un secret, Ghost Story emploie pour l’histoire de fantômes les principes de King avec les vampires dans Salem. Un autre auteur qui revendique son amour pour King sera Michael Marshall Smith, qui a signé aussi bien du fantastique que des thrillers, de l’horreur que des œuvres plus romantiques. L’influence de King est pérenne, parce que sa popularité ne faiblit guère et en fait un essentiel pour qui s’intéresse au suspense et à l’horreur. On en revient toujours à cette science du conteur qui fédère les lecteurs. Je pense qu’il aura encore longtemps des héritiers, même s’ils ne le suivent que pour mieux s’en détacher par la suite. C’est comme ça que la littérature avance.
Yannick Chazareng