Lyon Sprague de Camp est surtout connu en France pour des nouvelles qui beaucoup alimenté le mythe de Conan le Barbare et, dans une moindre mesure, pour des récits de fantasy humoristique ainsi qu’une uchronie, De peur que les ténèbres, qui pourrait bien faire l’objet d’une prochaine archive… Prolifique dans bien des domaines, il fut également l’auteur d’une biographie de H. P. Lovecraft ainsi que d’essais nombreux et variés. Quant à Peter Schuyler Miller, resté inconnu dans l’hexagone, il n’en fut pas moins l’un des collaborateurs les plus fameux de pulp magazines aussi légendaires qu’Amazing stories ou Weird tales. Lorsque deux des auteurs les plus populaires de l’âge d’or de la science-fiction collaborent pour un roman et que le résultat est titré Le règne du gorille, cela ne peut manquer d’intriguer un vieil anthropoïde amateur de SF…
Pour ceux qui en douteraient encore, il est prouvé que les gorilles portent monocle et fument la pipe !
Plongés dans l’inconscience après un accident, les passagers d’un autocar s’éveillent pour constater que le tunnel qui s’est écroulé sur leur véhicule les a préservés d’une catastrophe encore plus grande. Une fois sortis des ruines de béton, ils découvrent que les USA ne sont plus qu’une jungle luxuriante, habitée par des animaux auxquels une évolution des plus fantasques a donné une taille et un aspect extraordinaire. Explorer, tenter d’organiser la survie, rien de cela n’est simple pour des citadins habitués au confort moderne. Les membres de ce groupe hétéroclite constitué d’une institutrice, d’un ancien policier, de quelques danseuses de music-hall et d’un quatuor de scientifiques, vont bientôt découvrir que, non seulement ils sont les derniers représentants de l’humanité, mais aussi que le monde est désormais sous la domination des grands singes…
Davantage que des singeries, cependant…
Publié au tout début des années quarante dans un de ces pulp magazines qui font désormais partie de la légende de la SF, cet improbable futur présenté par Le règne du gorille précède la Planète des singes de deux décennies, mais les mésaventures des personnages de notre vieux Lyon dans la jungle sont narrées avec un humour goguenard absent de l’excellent roman de Pierre Boulle. Sans jamais se départir de cette distance sarcastique, l’auteur ne se prive pas de critiquer nombre d’institutions humaines pour leur préférer bien souvent l’organisation rationnelle des frères nonchalants de King Kong. Bien que paisibles, nos cousins à poils (mais couverts de vêtements dans la civilisation raffinée qu’ils ont ici créée…) n’en sont pas moins capables de se défendre en cas d’agression et cela donnera quelques scènes de batailles qui viendront clore un récit haut en couleurs. Voilà un roman à redécouvrir, dont l’illustration de couverture du toujours excellent Jean-Michel Nicollet exprime avec élégance l'ambiance de cette amusante découverte.