A l'occasion de la sortie du premier volet de sa trilogie, L'Empire s'effondre, Sébastien Coville revient sur l'écriture de celui-ci, paru aux éditions Anne Carrière.
Actusf : L'Empire s'effondre T1 est votre premier roman. Comment est-il né ? Qu’est ce qui vous a poussé à prendre la plume ?
Sébastien Coville : Initialement, l’univers de « L’Empire s’effondre » devait servir à écrire le scénario d’une BD. Je voulais créer un univers original ancré dans l’imaginaire collectif français avec un fort accent visuel. Quelque chose de dynamique, dans l’action. Pendant 7 ans, j’ai conçu l’univers brique par brique, avec sa cosmogonie, sa géographie, ses traditions et son histoire.
Je voulais être écrivain depuis l’adolescence et j’ai réalisé que ce n’était pas une BD mais un roman. Alors pour me motiver, j’ai quitté mon boulot. Je me suis mis à mon compte, mais au bout d’un an, je n’avais toujours pas commencé. Et puis il y a eu la crise des Gilets Jaunes, ça a été comme un électrochoc. J’avais cet univers, l’histoire d’un effondrement, mes personnages qui tentent de tirer leur épingle du jeu, et voilà qu’autour de moi se passait quelque chose d’inédit. Il y avait tant d’échos que ça m’a bousculé. Je me suis assis à mon bureau et je me suis mis au travail.
Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots de l’intrigue ?
Sébastien Coville : Rien ne va plus au cœur de l’Empire de Seth, une grande puissance théocratique en pleine révolution industrielle vapeur. Contrairement aux déclarations sur les ondes telluriques, tout semble se dégrader à un rythme exponentiel. La situation est au bord de l’explosion. C’est du moins ce qu’en pense Alfred de Pergoal, un ingénieur de génie. Et effectivement, il ne faudra qu’une étincelle - un attentat meurtrier - pour mettre le feu aux poudres et faire s’embraser la capitale, puis toutes les provinces de Seth. Cet attentat va bouleverser la vie d’Alfred et l’obliger à prendre sa part. Il n’est pas le seul. Son bras droit, la mécanicienne Léonore Azur pense d’abord à survivre, mais elle va bientôt être rattrapée par les évènements et les manigances. Car cet effondrement n’est pas le fruit du hasard. Nombreux sont ceux qui l’attendent et s’y préparent.
Du bas de la société à son sommet, on aiguise les couteaux et on charge les fusils vapeur. Si le souverain Arsène de Virolles, à la tête de la caste de la Loi, semble profiter de la situation pour s’imposer, Phébus Karzian d’Estée, le chef des armées, se dresse comme un rempart face aux injustices, au nom de la Foi du Faëton. Mais qu’en est-il de cette foi qui dirige la vie des sujets depuis mille ans ? Comme sa jeune princesse Marianne de Vallons-Pleurs, elle reste bien silencieuse. Qui croit encore aux dieux et au Faëton ? Qui croit encore que Seth a un avenir ? Et lequel ? Rien ne va se passer comme prévu. L’effondrement de l’Empire ne fait que commencer…
C’est une intrigue chorale avec plusieurs personnages qui gravitent autour d’un duo, Alfred et Léonore. Lui vient plutôt d’un milieu aisé et elle de la misère, mais ils partagent le goût de l’innovation et du travail acharné. Ils représentent deux trajectoires qui vont « percer » les masses et les forces en présence. C’est un récit d’aventure et d’action, je commence au moment où l’Empire craque et cède d’un coup. Mais cette chute est le résultat d’un délitement, et ce délitement est un objet d’exploration presque « archéologique ». Cela se résume en deux questions. La première répond à l’urgence : Que faisons-nous ? La deuxième répond au besoin de comprendre : Pourquoi en sommes-nous là ?
Actusf : Qui est votre héros, Alfred de Pergoal ? Comment l’avez-vous construit et imaginé ? Est-il un héros par la force des choses ou vouliez-vous un héros dans l’âme dès le début ?
Sébastien Coville : Alfred de Pergoal appartient à la caste de la Technique. Très jeune, il se passionne pour les sciences et se détourne de la foi impériale. À travers tous ses efforts, Alfred est en quête de liberté. Il « monte à la capitale », devient ingénieur, puis comte d’Empire en révolutionnant la motorisation vapeur. C’est un personnage atypique qui cache ses idées hérétiques dans cette société régie par une religion puissante. Mais ce n’est pas un héros dans l’âme. Il préfère le travail de fond, dans l’ombre. Il a ses contradictions et ses nuances. Ce n’est pas une question de vertus.
D’une certaine manière, les héros sont ceux qui ont la force de ne pas accepter l’évidence. A tort ou à raison. Cela suppose un refus du déterminisme et une forte responsabilité individuelle. Les évènements vont s’imposer à Alfred et à tous les autres. C’est leur façon de réagir qui leur donnera des traits héroïques, ou non. En assumant leurs choix dans ce qu’ils ont de vertueux, dans ce qu’ils ont de durs et de plus sombres aussi.
Actusf : L'Empire s'effondre est un récit qui mêle steampunk et politique. Pourquoi choisir ces thématiques ? Qu’aviez-vous envie d’aborder dans ce roman ?
Sébastien Coville : Depuis mon enfance, je suis passionné par l’histoire de France, puis par l’histoire des civilisations plus globalement, de l’antiquité à nos jours. Cette discipline concentre tout : les us et les mœurs, la politique, la philosophie, les religions et les sciences. Cela donne une profondeur à tout ce que nous faisons, voyons, goûtons. Certes, il y a toujours des choses à améliorer ou changer, mais quelle formidable aventure que l’humanité ! Les questions autour de la liberté individuelle et du devoir collectif me fascinent. Une saga a l’ampleur nécessaire pour me permettre ça. Je veux explorer la confrontation de différentes visions de la société au moment de la métamorphose, de la rupture, en termes d’idées, d’actions et d’émotions. Il y a le cerveau, le cœur et les tripes. La politique concentre les passions humaines, les meilleures et les pires.
Le steampunk relève plus de mon goût pour la science et de mon plaisir à imaginer. J’aime beaucoup le principe de l’innovation technique, de la recherche pour dépasser nos capacités basiques en transformant la matière. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », il y a des abus, mais cela reste extraordinaire et la preuve de nos grandes capacités ! La révolution scientifique a transformé le monde et nous avons les moyens de faire mieux encore. La vapeur me permet de m’amuser à explorer cette idée par l’imaginaire, tout en créant un univers technologique visuel ancré dans une époque. Et puis, comme vous l’aurez remarqué, ce n’est pas la seule énergie à Seth…
Actusf : Steampunk dit également inventions – surtout que Pergoal est inventeur. Comment voyez-vous ses créations ? Vous imaginez que celles-ci peuvent réellement fonctionner ou vous donnez libre cours à votre imagination ?
Sébastien Coville : Parmi les grands inventeurs, il y a ceux qui découvrent et ceux qui approfondissent. Rares sont les inventions qui sont arrivées à leur point d’excellence en une génération. Alfred appartient au deuxième ordre. Il optimise brillamment les systèmes. Dans notre monde, un Elon Musk ne fait pas autre chose. Alfred n’invente pas l’autovapeur, il fabrique les meilleurs modèles. Il n’invente pas le canon vapeur, il le rend d’une efficacité redoutable.
Je me suis renseigné pour comprendre les rudiments de cette technologie et je m’appuie dessus pour imaginer les machines et les décrire comme des outils viables. De là à dire qu’elles le sont… Je ne le crois pas. Un exemple, l’innovation révolutionnaire d’Alfred repose sur un aspect réel : les surfaces de chauffe. Partant de là, je m’amuse à créer quelque chose qui frappe l’imagination, un moteur dont l’intérieur ressemble à un cerveau. Qui sait si avec l’impression 3D cela n’a pas un avenir dans notre monde ? Je n’en sais rien. Ce qui m’intéresse surtout, c’est l’esprit scientifique. Le résultat doit avoir une raison d’être dans mon univers. A défaut d’être viable, il faut que cela soit cohérent.
Actusf : Le tome 1 est sorti il y a peu, mais on sait déjà que ce sera une trilogie. Avez-vous déjà tout le plan en tête ou vous laissez-vous de la liberté ?
Sébastien Coville : J’ai pensé mon histoire du début à la fin. Je sais donc où je vais dans la trilogie et ce qui doit avoir lieu. Je fixe d’avance les grandes étapes. Ceci étant dit, écrire n’est pas concevoir. Quand j’écris, j’ai souvent l’impression d’explorer plutôt que de créer. C’est comme si je me disais à la fin d’un chapitre : ah, voilà donc comment ça s’est passé ! Certains personnages sont arrivés en cours de route - des personnages importants même - des émotions nouvelles sont apparues et des lieux se sont imposés. Je navigue avec une carte, mais je ne sais pas à quoi ressemble l’endroit avant d’y être. Souvent l’écriture m’emmène là où je devais aller sans le savoir. Je ne vois plus le temps passer et j’adore ça.
Actusf : Quelles ont été vos inspirations et vos influences ?
Sébastien Coville : En ce qui concerne l’Empire s’effondre, les romans feuilletons ont une place fondamentale. De Dumas, Eugène Sue à Jules Verne. D’une manière générale, le XIXème siècle m’inspire beaucoup. Tout s’y trouve : inventions, innovations, conflits et révolutions. Il a beaucoup de choses à nous apprendre sur le XXIème siècle. Asimov et Herbert m’ont beaucoup aidé sur le rapport entre un grand récit et des trajectoires individuelles. Zelazny et Barjavel sur la place du réalisme dans l’imaginaire. Robert Merle et Jaworski sur les caractères humains et le style. Et bien d’autres de « littérature classique », la liste est trop longue. Côté cinéma, quand j’écris, j’imagine souvent des enchaînements « scorsesien », une photographie à la Kubrick et des moments poétiques à la Terrence Malick.
Tout est source d’inspirations dans les arts, dans l’histoire et en science. Je suis d’un naturel curieux et touche-à-tout. Il y a tellement de gens brillants qui nous ont précédés, et la culture française est d’une richesse incroyable. C’est une source intarissable à laquelle je m’abreuve continuellement.
Actusf : Vous travaillez aussi comme consultant et scénariste dans l’audiovisuel. Est-ce que cela a influencé votre écriture ? Votre façon de travailler ?
Sébastien Coville : Oui, cela l’a influencé de deux manières différentes. On me dit souvent que mon écriture est visuelle - je le prenais mal au départ ! En fait, c’est plutôt une chance d’arriver à évoquer facilement des images pour que l’imagination du lecteur puisse se développer agréablement. Mon métier de scénariste m’aide aussi à structurer mon récit, à penser au rythme.
Mon rapport à l’écriture est très sensoriel. Je dois voir une scène, l’entendre, la sentir avec tous les sens. Je me pose toujours la question de comment le lecteur va se créer sa réalité dans mon univers. Une fois que je la vois, que je la ressens, c’est à ce moment que je peux la raconter. Je souhaite que le lecteur puisse avoir « ce cinéma dans la tête » qui me plaît tant avec la littérature de l’imaginaire. Bien sûr, je suis très attentif à la langue, j’essaie d’écrire le mieux possible et de ne pas manquer de style.
Actusf : Quels sont vos projets pour la suite de votre parcours d’auteur ? Travaillez-vous sur autre chose en ce moment ?
Sébastien Coville : Alors, il y a évidemment le tome 2 et le tome 3 qui m’occupent beaucoup. Sortie prévue en 2022 et 2023. J’ai un projet de roman science-fiction « réaliste » que je laisse mûrir en parallèles. A côté, je travaille beaucoup avec un réalisateur. Nous allons bientôt sortir deux court-métrages en festival et nous espérons pouvoir nous lancer sur un troisième qui sera de la science-fiction. J’ai aussi un long-métrage de genre déjà écrit - aventure horreur - qui va peut-être se lancer prochainement. Je croise les doigts !
Actusf : Où pourrons-nous vous rencontrer dans les mois à venir ?
Sébastien Coville : Je serai le 12 juin à la librairie Mot à Mot à Fontenay-sous-Bois pour une rencontre dédicaces, sans doute prochainement à Coutances dans la Manche, ma famille vient de Normandie, et sinon vous pourrez me rencontrer aux Imaginales d’Épinal en octobre.