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L’Enfer des masques, le nouveau Jacques Barbéri
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L’Enfer des masques, le nouveau Jacques Barbéri

Actusf : L’Enfer des Masques, votre dernier roman, est sorti en février à La Volte. Quelle a été l’idée à l’origine de ce récit ?

"Lorsque Mathias Echenay m’a demandé si ça me tentait d’écrire un thriller, vu que mes romans de SF flirtaient souvent avec le genre, j’ai aussitôt repensé à ces trois personnages et me suis dit qu’en fouillant dans leur passé on risquait d’avoir des surprises, sources de savoureux cliffhangers."

Jacques Barbéri : L’idée de départ était orientée sur l’image du corps, à travers plusieurs filtres, social, psychologique, psychanalytique, avec un personnage de top-model qui meurt de façon violente et une jeune post-ado, mal dans ses pompes, avec un lourd passif familial, obsédée par son image au point d’avoir recours à la chirurgie esthétique pour lui ressembler de plus en plus… Cette idée, combinée à une autre idée beaucoup plus SF, avec un personnage énigmatique à la Howard Hugues, ponte de la Silicon Valley, a donné lieu à une première tentative d’écriture sous la forme d’un scénario jamais tourné. Lorsque Mathias Echenay m’a demandé si ça me tentait d’écrire un thriller, vu que mes romans de SF flirtaient souvent avec le genre, j’ai aussitôt repensé à ces trois personnages et me suis dit qu’en fouillant dans leur passé on risquait d’avoir des surprises, sources de savoureux cliffhangers. J’ai enfilé ma combinaison, coiffé mon casque, allumé la lampe frontale et suis parti en exploration. Et effectivement je n’ai pas été déçu.

Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue ?

Jacques Barbéri : La mécanique thriller du roman exclut la possibilité de dévoiler l’intrigue, même de façon fragmentée, car cela détruirait le suspens pour celui ou celle qui lirait cette interview avant d’avoir lu le roman. Disons que l’on suit deux jeunes femmes : la première, Nora, est une post ado à la recherche de son père, que sa mère lui a présenté comme un amant de passage vite disparu et dont elle n’a jamais plus retrouvé la trace. Des éléments troublants tendent de plus en plus à prouver le contraire, mais pourquoi sa mère lui aurait-elle alors menti pendant des années ? La seconde, Priscilla, est une jeune femme, sujette à une amnésie traumatique suite à un accident dont on ne lui dévoile quasiment rien pour qu’elle puisse elle-même réactiver sa mémoire. Mais pourquoi a-t-elle l’impression d’être retenue prisonnière dans une luxueuse clinique qui appartient à son richissime mari, Nick Dickovski, ponte de la Silicon Valley, et qui lui voue de surcroit une vénération malsaine ? Un critique a qualifié le roman de « vrai page-turner », alors n’en disons pas plus pour que le lecteur prenne toujours plaisir à tourner les pages… (rires)

Actusf : Deux héroïnes – deux destins avec Nora Keller et Priscilla. Comment avez-vous créé ces deux personnages ?

"Je ne les ai pas vraiment créés, ils se sont plutôt imposés. Il s’agit de femmes fortes, qui refusent de subir un système, et tout particulièrement le pouvoir d’un homme riche, imbu de lui-même, qui pense que tout lui est dû[...]"

Jacques Barbéri : Je ne les ai pas vraiment créés, ils se sont plutôt imposés. Il s’agit de femmes fortes, qui refusent de subir un système, et tout particulièrement le pouvoir d’un homme riche, imbu de lui-même, qui pense que tout lui est dû, qu’il peut aimer à la folie ou brimer sans retenue, que son pouvoir de séduction et/ou de destruction est infini. Une sorte d’allégorie civilisationnelle finalement…

Actusf : Vos héroïnes sont toutes les deux en quête de vérité, mais celle-ci semble bien difficile à atteindre. Qu’est-ce qui les lie ? Peut-on les voir comme les facettes d’une même pièce ?

"Elles ont un problème avec Nick Dickovski, le mâle dominant, figure emblématique de milliers d’années de patriarcat."

Jacques Barbéri : Pourquoi pas ? L’une, Nora ne comprends pas pourquoi son père ne l’aime pas et serait même prêt à la tuer s’il en avait la possibilité, et l’autre, Priscilla, a du mal à comprendre pourquoi le même homme la désire autant, au point de la séquestrer dans une prison dorée. Elles ont un problème avec Nick Dickovski, le mâle dominant, figure emblématique de milliers d’années de patriarcat. Mais elles ne baisseront pas les bras et trouveront peut-être un soutien extérieur à l’espèce humaine, trop occupée à générer sa propre dystopie…

Actusf : Le temps, la mémoire, la perception du réel, les métamorphoses du corps sont des thèmes qui vous tiennent à cœur. Pourquoi ? Votre perception de ces thématiques a-t-elle évoluée au fil de vos romans ?

"La perception du réel génère le seul doute existentiel légitime qui nous gagne si nous réfléchissons ne serait qu’une seconde à l’univers qui nous entoure, à ses limites, à ses origines, à la raison de son existence, à la raison de notre existence et donc de notre réalité, etc."

Jacques Barbéri : Il est toujours difficile de savoir exactement pourquoi on revient toujours aux mêmes fondamentaux. Peut-être parce qu’il s’agit justement de fondamentaux. La perception du réel génère le seul doute existentiel légitime qui nous gagne si nous réfléchissons ne serait qu’une seconde à l’univers qui nous entoure, à ses limites, à ses origines, à la raison de son existence, à la raison de notre existence et donc de notre réalité, etc. Et le vertige nous prend, car aucune réponse raisonnable ne peut être donnée. Le temps et la mémoire sont une des facettes de cette appréhension du monde. La perception que nous avons de l’écoulement du temps est-elle absolue ou illusoire et quelle confiance pouvons-nous accorder à notre mémoire, à nos souvenirs ? Une confiance excessivement relative, répondrait certainement Philip K. Dick. Et je suis plutôt de cet avis. Quant aux métamorphoses du corps, je me contenterais de citer une phrase de Donna Haraway extraite du Manifeste cyborg : « Nos machines sont étrangement vivantes, et nous, nous sommes épouvantablement inertes. » Il est peut-être temps de remédier à ça.

Actusf : Est-ce qu’écrire de la fiction vous permet de critiquer la société actuelle ? De la dénoncer ?

Jacques Barbéri : La science-fiction est un scalpel qui permet de disséquer la société, de voir ce qui ballonne ses viscères, ce qui empêche son cœur de battre à un rythme régulier et serein, quel poison circule dans ses veines. Toutes les suppositions, toutes les spéculations, toutes les constructions sont possibles. La fiction libère, mais la science-fiction libère absolument.

Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Jacques Barbéri : Sur un roman intitulé Terre de Vérité, qui m’obsède depuis très longtemps. Je l’évoque régulièrement depuis des années. Le pitch en est simple : « pourquoi l’homme n’a de cesse de composer une ode ininterrompue à la violence et à la cruauté comme s’il s’agissait d’une “performance” se déroulant sur des millénaires ? La réponse l'est beaucoup moins. »

Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?

Jacques Barbéri : A la librairie Decitre à Grenoble le 30 mars, aux Intergalactiques de Lyon les 27 et 28 avril, au salon du livre de Genève le 4 mai, au festival du polar de l’Estaque à Marseille le 11 mai, aux Imaginales d’Épinal du 23 au 26 mai, et au théâtre de La Criée à Marseille pour une lecture musicale avec Palo Alto et Alain Damasio le 30 mai.

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