En 2021, les éditions Callidor fêtent leur dixième anniversaire. A cette occasion, Thierry Fraysse revient sur le parcours de la maison d'édition au travers de quelques questions.
Actusf : En 2021, les éditions Callidor ont 10 ans. Pouvez-vous s'il vous plaît nous dire un mot sur comment l'aventure a commencé ?
Thierry Fraysse : Eh oui, 10 ans déjà !
Les éditions Callidor sont nées d’un manque, d’une absence dans le paysage éditorial français. Dans les années 2000, on ne cessait de parler de Tolkien comme du fondateur de la fantasy, et j’ai appris au fil de mes lectures que d’autres auteurs s’étaient adonnés à ce genre bien avant lui, et de façon très imaginative ! Je me suis donc intéressé à ces pionniers et ai réalisé que la grande majorité d’entre eux n’avaient jamais connu de publication française. Une collection centrée autour de ces précurseurs m’est apparue évidente, et la fantasy connaissant un essor sans précédent depuis la parution de Harry Potter et l’adaptation du Seigneur des Anneaux au cinéma, entre autres, j’ai décidé de me lancer.
Néanmoins, il me fallut un certain temps pour constituer une ligne éditoriale cohérente, aussi n’ai-je pu m’investir pleinement dans la collection (qui ne tarderait pas à s’appeler « L’Âge d’or de la fantasy ») qu’en 2015. Quatre ans plus tôt, le 9 mai 2011, je m’étais lancé avec un titre particulier, un récit horrifique qui m’a par ailleurs permis de connaître (et de comprendre) l’industrie éditoriale. Ce roman, Sweeney Todd, daté du milieu du XIXe siècle – et que l’on assimile sans mal au film éponyme de Burton, avec Johnny Depp en acteur-vedette –, fait aujourd’hui figure d’ovni dans mon catalogue, mais il vaut vraiment le détour et me tenait particulièrement à cœur. Grâce à ce premier titre, j’ai pu appréhender les difficultés à contourner pour mettre en place ma collection quatre années plus tard.
Actusf : Imaginiez-vous, il y a 10 ans, arriver où vous en êtes aujourd'hui ?
Thierry Fraysse : Je l’espérais à vrai dire, mais j’ai eu beaucoup de surprises en chemin et j’ai surtout fait beaucoup de rencontres, lesquelles m’ont permis d’en savoir beaucoup plus sur la fantasy qu’au moment où je me suis lancé dans cette aventure il y a 10 ans. Pour vous donner un exemple, j’avoue humblement que je n’imaginais pas trouver autant de fantasy française datée du début du XXe siècle en 2011. Je m’étais figuré que le genre était réservé à la littérature anglophone, et mes recherches m’ont prouvé le contraire, comme l’attestent Les Centaures (1904) d’André Lichtenberger, Soroé, reine des Atlantes (1905) de Charles Lomon & P.-B. Gheusi, ou encore le dernier né, Les Aventures de Setnê (1902) de J.-H. Rosny aîné.
Actusf : Aujourd'hui, combien de titres sont au catalogue des éditions Callidor ? Cela représente combien d'auteurs ?
Thierry Fraysse : Aujourd’hui, la maison Callidor compte 13 titres. 13 titres en 10 ans, on peut dire que le maître-mot de Callidor n’est certainement pas la quantité. 13 titres pour 12 auteurs. Mais aussi 12 illustrateurs, dans la mesure où tous les titres de Callidor (sauf Sweeney Todd) sont illustrés par d’excellents artistes !
Actusf : Est-ce que votre ligne éditoriale a évolué ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Thierry Fraysse : Oui. Au tout début, je ne pensais pas faire de collections pour être tout à fait honnête. Aujourd’hui, c’est justement cette notion de collection qui m’a permis de développer une ligne cohérente centrée sur les précurseurs de la fantasy. Et c’est aussi ce qui m’a permis, en 2020, de mettre au point une nouvelle collection, intitulée « Collector », qui tend à mettre en avant des classiques de la littérature dans de belles éditions cartonnées et illustrées. Le titre L’Appel de la forêt de Jack London est le premier titre de ce nouveau label, et est illustré par l’artiste tchèque Mirko Hanák.
Actusf : Quel bilan tirez-vous de ces 10 ans ? Qu'est-ce qui a changé dans le monde de l'édition de l'imaginaire sur cette période ?
Thierry Fraysse : Un excellent bilan en ce qui concerne Callidor, qui a su s’implanter dans le monde de l’imaginaire et s’y faire une place. Aujourd’hui Callidor a un noyau dur de lecteurs qui lui permet de développer de nouveaux titres et d’être diffusé à l’échelle nationale.
Et puis, ces 10 dernières années, la fantasy (le moteur principal de Callidor) a gagné du terrain dans le cœur des lecteurs et des libraires. La série Game of Thrones (2011-2019) n’y est pas pour rien, et a permis au genre d’être très médiatisé et reconnu, ce qui a beaucoup aidé la maison dans son développement.
Actusf : Pouvez-vous nous présenter vos toutes dernières publications ? Je pense notamment aux Aventures de Setnê de J.-H. Rosny aîné.
Thierry Fraysse : S’il devait être décrit rapidement, l’on pourrait dire des Aventures de Setnê qu’il s’agit ni plus ni moins du tout premier texte d’heroic fantasy jamais écrit (du moins à ce jour). Publié en 1902, cette longue nouvelle est l’œuvre d’un francophone bien connu pour être l’auteur de La Guerre du feu. Le titre raconte les aventures du jeune chef de guerre Setnê, qui, sur ordre de son pharaon Thoutmès III, va devoir emprunter un sentier oublié, un sentier qui traverse le Désert des Dragons…
Ce texte, écrit dans un style épique et flamboyant, mérite toute l’attention du lecteur moderne, tant pour son intérêt historique et avant-gardiste que pour la plume de son auteur, d’une beauté à couper le souffle.
Ce titre est par ailleurs illustré (comme tous ceux de la collection « L’Âge d’or de la fantasy ») de main de maître par Maxime Desmettres, artiste qui œuvre habituellement dans l’univers du jeu vidéo et qui a réalisé 5 superbes illustrations pour l’occasion.
Enfin, rappelons que ce titre est OFFERT pour l’achat de 2 ouvrages des éditions Callidor, et ce jusqu’à épuisement du tirage.
Actusf : Sur quels critères vous basez-vous pour choisir les titres à publier ? Comment se fait le choix final ?
Thierry Fraysse : Je mène énormément de recherches avant de me lancer dans la lecture d’un titre. Quand il s’agit de publier une collection sur les précurseurs de la fantasy, ceux qui ont œuvré avant Tolkien et son Seigneur des Anneaux, il faut d’abord et avant tout trouvé les auteurs et autrices, ce qui ne représente pas une mince affaire, et qui tient souvent de l’archéologie littéraire ! Une fois que j’ai pris connaissance de ces textes (que je ne cesse de découvrir), il me reste à décider si le style et l’intrigue méritent d’être réédités aujourd’hui et s’ils ont une chance de séduire un lecteur moderne.
Étant seul à travailler pour Callidor, je suis également seul à faire le choix d’éditer tel ou tel titre, ce qui n’est pas toujours simple. Reste ensuite à trouver un traducteur/traductrice si l’œuvre n’est pas francophone, et un illustrateur/illustratrice dont l’approche graphique convienne à un style particulier.
Actusf : Quels sont vos projets en cours et à venir ?
Thierry Fraysse : Je mène toujours beaucoup de projets de front, et pour être honnête, mon programme éditorial est bouclé pour les 3 années à venir. En même temps, quand on publie 2 à 3 titres par an, ce n’est pas si compliqué, me direz-vous. (rires)
Parmi les projets les plus proches, je travaille en ce moment sur un texte daté de 1917, un texte de fantasy… russe ! L’idée est aussi de montrer avec cette publication que la fantasy ne se limite pas, même à ses débuts, à la littérature anglophone, comme on l’a longtemps pensé.
Puis bien d’autres titres viendront nourrir cette collection, qu’ils soient français, britanniques, américains ou d’autres nationalités.
Pour « Collector », je compte bien mettre en avant un de mes romans préférés : Salammbô de Gustave Flaubert, texte ô combien épique et poétique qu’il me tarde de publier dans une belle édition illustrée. De quoi ravir les lecteurs qui voudraient (re)découvrir ce classique de la littérature française !
Actusf : Quels seront les temps forts de cette année 2021 pour la maison d'édition (salons, rencontres, nouveaux auteurs…) ? Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?
Thierry Fraysse : Compte tenu de la crise sanitaire actuelle, rien n’est vraiment sûr, surtout pour tout ce qui concerne les salons malheureusement. Mais le premier temps fort, c’est très clairement la parution des Aventures de Setnê, de J.-H. Rosny aîné, qui marquera les 10 ans de la maison d’édition (puisque publié le 9 mai 2021, soit 10 ans tout juste après la parution de Sweeney Todd), et qui sera donc OFFERT pour l’achat de 2 titres de Callidor.
Quant aux rencontres, j’ai peur que là encore, rien ne soit encore acté. J’espère que le Salon de Sèvres, auquel je participe tous les ans, pourra avoir lieu. C’est vraiment le salon que j’apprécie le plus et que je tâche de ne manquer sous aucun prétexte.
Actusf : Qu'est-ce qui fait pour vous un bon livre de fantasy ?
Thierry Fraysse : Je pense que l’enjeu principal d’un roman de fantasy, pour beaucoup de lecteurs, se résume à l’univers de l’auteur. À titre personnel, j’estime qu’un univers n’est rien sans un style assez fort pour le soutenir. Je suis de plus en plus sensible à la langue, qui doit tout faire pour permettre au lecteur la meilleure immersion possible dans le monde mis en œuvre. Enfin, le troisième enjeu serait à mon sens le découpage du texte : placer telle ou telle scène à cet endroit, mener le lecteur sur telle ou telle piste… autant de choix à faire pour l’auteur qui doivent porter le lecteur et son imaginaire tout au long de sa lecture.
En résumé : l’univers, le style, la narration.
Actusf : Si vous aviez un conseil à donner à ceux qui souhaitent être publiés, ce serait lequel ?
Thierry Fraysse : Je ne pense pas être le mieux placé pour répondre, dans la mesure où Callidor ne reçoit pas de manuscrit (mes lignes éditoriales ne se concentrent que sur des classiques (de la fantasy pour la collection « L’Âge d’or », et de la littérature pour la collection « Collector »), mais je pense que se renseigner sur la ligne éditoriale des maisons d’édition auxquelles on s’adresse serait un bon début. Toutes les maisons d’édition ne publient pas de romans policiers, par exemple… Savoir à qui s’adresse son roman est une première étape essentielle à laquelle devrait se plier tout romancier en herbe. Une fois la maison d’édition à même de publier votre texte trouvé, le reste devrait se faire tout seul, si bien sûr le talent et le travail sont au rendez-vous. (rires)
