Les Affaires du Club de la Rue de Rome, réédition de textes d'Adorée Floupette, a été réalisée par Léo Henry, luvan, Raphaël Eymery et Johnny Tchekhova.
A l'occasion de cette parution aux éditions La Volte, Léo Henry a accepté de répondre à quelques questions.
Actusf : Les Affaires du Club de la Rue de Rome, est une réédition de textes d'Adorée Floupette. Comment est né l’idée de faire cette réédition ?
Léo Henry : Depuis quelques années déjà – je dirais quatre ou cinq. Mais avant que Mathias (Echenay) ne me signale que l'œuvre de Floupette entrait dans le domaine public, je ne pensais pas l'entreprise possible : notre approche est à la limite du sacrilège, qui mêle beaucoup de réécriture à cette réédition. L'heureuse coïncidence de date nous a libéré par ailleurs du casse-tête qu'aurait été de retrouver les éventuels ayant-droits...
Ce cycle de fiction, mis au jour, circonscrit et identifié comme Les Affaires du club de la rue de Rome, ne nous est aujourd'hui plus accessible que sous forme de notes, de fragments et de souvenirs. Il nous a fallu outrepasser de beaucoup le rôle d'ordinaire assigné aux personnes en charge d'établir une réédition ! Par ailleurs, aucun de nous n’étant dix-neuvièmiste, nous avons abordé cette aventure autant en tant qu'écrivains, que créateurs nous-mêmes.
Actusf : Qui était Adorée Floupette ? Quels sont les traits distinctifs de son écriture ?
"Mais son œuvre sous pseudonyme semble, quant à elle, pléthorique. Dans la mesure où Floupette servit de prête-nom à des écrivains réels dont elle imitait les manières avec un indéniable talent, sa prose est aujourd'hui presque impossible à distinguer de l'histoire de la littérature elle-même."
Léo Henry : Floupette était et demeure pour l'essentiel un mystère.
Cet « homme de lettre » – comme elle se définissait elle-même –, née l'année de la Commune dans un milieu plutôt modeste, monte à Paris par ses propres moyens et est très tôt introduite dans le grand monde artistique. Elle fréquente tous les cercles, tous les salons de la fin de siècle et, dans le même temps, entame l'écriture d'une œuvre secrète, presque entièrement invisible.
De ce que j'ai réussi à en savoir, Floupette n'a commencé à publier sous son vrai nom qu'un demi-siècle plus tard – et encore : dans d'obscures maisons d'éditions pour jeunes filles ou dans des cercles d’expatriés sud-américains !
Mais son œuvre sous pseudonyme semble, quant à elle, pléthorique. Dans la mesure où Floupette servit de prête-nom à des écrivains réels dont elle imitait les manières avec un indéniable talent, sa prose est aujourd'hui presque impossible à distinguer de l'histoire de la littérature elle-même.
Je qualifierais son écriture – les rares fois où celle-ci se donne à voir – de riche, puissante, et peut-être un peu cassée, à la frontière de la maladresse et de l'ironie.
Actusf : Les Affaires du Club de la Rue de Rome, un titre plein de mystères… De quoi celui-ci parle-t-il ?
Léo Henry : Les Affaires forment un vaste cycle de plusieurs dizaines d'histoires – pas réellement des romans, pas de simples nouvelles non plus, on dirait sans doute novella, de nos jours. Ces récits ont pour décor Paris, pour temporalité la dernière décennie du 19è siècle et pour prétexte des enquêtes surnaturelles, dirigées par Mallarmé et menées par les artistes de l'époque. Les méchants y fomentent des complots terrifiants, les gentils y sont souvent ambigus, une sorte de contre-histoire de l'art semble se déployer à la lisière de notre conscience de lecteur.
Le projet fou serait de réussir à republier l'entièreté du cycle, ou peu s'en faut.
Nous avons du coup opté, dès ce premier livre, pour une approche chronologique, en choisissant de proposer, dans l'ordre de leur action, les quatre récits qui se déroulent au commencement de l'année 1891 – première « grande année » du Club de la rue de Rome, marquée par l’intégration de Jane Avril et de Berthe Weill, par l'épilogue de la saga des Souffreuses et par le retour de Rimbaud en France.
Actusf : Un projet à quatre avec luvan, Raphaël Eymery, Johnny Tchekhova et vous-même. Comment avez-vous travaillé ?
"Chacun de nous a pris en main une des histoires de Floupette rapportée dans ce livre, et l'a travaillée comme il l'entendait, en suivant toute la documentation floupettienne disponible."
Léo Henry : Nous avons constitué un petit club, à notre tour, puis nous sommes répartis les récits. La plupart du temps, la rencontre entre un sujet et son auteur relevait de l'évidence.
Chacun de nous a pris en main une des histoires de Floupette rapportée dans ce livre, et l'a travaillée comme il l'entendait, en suivant toute la documentation floupettienne disponible. Le paratexte a, de la même façon, été fabriqué collectivement, et mis en page – la carte de Paris ! – par l’indispensable Laure Afchain. Laurent Ambre a enfin mis son sombre génie au service d'illustrations qu'Adorée elle-même n'aurait pas désavouées.
Mais ce premier bouquin n’est que la partie visible de notre travail. Nous sommes en réalité une bonne dizaine à plancher sur les traces et les récits d’Adorée Floupette, à continuer de chercher, de creuser à nos rythmes propres.
L'entreprise est énorme, mais nous ne désespérons pas de voir de nouveaux explorateurs nous rejoindre le long de ce chemin.
Actusf : Avez-vous imaginé écrire d’autres aventures qui pourraient prendre place dans l’univers créé par Adorée Floupette ?
Léo Henry : Un deuxième volume est d'ores et déjà en chantier, dans lequel nous espérons pouvoir compter sur un récit médicolégal de la très floupettienne Anne-Sylvie Salzman. D'autres auteurs s’affairent dans l'ombre, et comme les premiers des Floupettiens m'ont tous assurés être prêts à s’y remettre, on peut affirmer que ce n’est qu’un commencement !
Actusf : Est-ce des récits qui dénoncent/mettent en lumières des problèmes ou des questionnements, ou est-ce seulement des textes pour se distraire et s’amuser ?
"La question est compliquée : je ne saurais dire si l'art de Floupette, tout entier fait de dissimulation, et miroir exact de sa façon de vivre, relevait de la farce ou bien de la démonstration. Peut-être ni de l'une, ni de l'autre."
Léo Henry : La question est compliquée : je ne saurais dire si l'art de Floupette, tout entier fait de dissimulation, et miroir exact de sa façon de vivre, relevait de la farce ou bien de la démonstration. Peut-être ni de l'une, ni de l'autre.
Ce que je sais, en revanche, c'est que nous avons entrepris ces réécritures avec un très grand sérieux, et que si ces récits semblent relever de genres mineurs – fantastique, enquête policière, pastiche parfois – ils n'en sont pas moins chargés d'enjeux cruciaux. L'art y est autant un sujet que l'urbanisme, la domination masculine, l'exploitation de l’homme par l’homme, la psychiatrisation, etc.
Cette fin de siècle dans ce Paris fumeux, comme mythifié, ne cesse bien sûr de nous parler d'ici et de maintenant : Adorée Floupette n'a jamais cessé d'être notre contemporaine.
Actusf : Quels sont vos projets d'écriture en 2020 ?
Léo Henry : Je bosse sur un livre argentin, introduction à un boulot plus long autour de Buenos Aires, du XXè siècle, de la dictature, des imaginaires politiques, des mauvais genres et du rôle de l'artiste. C'est un projet monstrueux à bien des égards, à commencer par la quantité de documentation qu'il appelle. Grâce à la Dystobourse & au soutien du CNL, j'ai pu mettre en attente les autres boulots, et tâche de faire ça un peu sérieusement. Vous pouvez suivre le chantier via le site de Dystopia. J'espère arriver à boucler le premier livre - celui sur Oesterheld - avant le Réveillon qui vient.
Niveau publications, il y aura un premier volume des
à la Volte en janvier (tout de suite, quoi), et Thecel chez Folio SF en mars. Une tentative de fantasy canonique, avec quelques accrocs aux règles du genre (j'ai fait une trilogie en un seul volume, par exemple).
Le projet des Nouvelles par email entre dans son dernier tiers : 2020 en comptera douze, comme chaque année.
Actusf : Quelles sont vos prochaines dédicaces ?
Léo Henry : La Bouquinette à Strasbourg le 28 janvier, en duo avec Erik L'Homme Charybde à Ground Control, Paris, le 31 janvier, avec luvan & les fabuleux·ses floupettien·e·s.
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