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Les Machines fantômes, le nouveau roman d'Olivier Paquet
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Les Machines fantômes, le nouveau roman d'Olivier Paquet

A l'occasion de la parution des Machines fantômes aux éditions L'Atalante le 22 août dernier, Olivier Paquet nous parle de l'écriture de ce nouveau roman.

Actusf : Les Machines fantômes, votre dernier roman est paru le 22 août dernier aux éditions L’Atalante. D’où vous est venue l’idée de ce récit ?

Olivier Paquet : Il y a eu plusieurs éléments qui se sont concentrés pour créer ce roman. Tout d’abord, cela fait longtemps que j’avais envie d’écrire un roman composé de nouvelles, qui soient reliées et forment une histoire en continu. Même dans mes romans les plus linéaires, mes chapitres ont souvent une structure de nouvelle, alors je souhaitais le faire ouvertement. Ensuite, dans mes textes courts, j’aborde souvent la question des intelligences artificielles, mais je ne l’ai jamais traitée entièrement dans un roman, et je voulais le faire dans de l’anticipation, plutôt que me projeter dans 100 ou 200 ans.
Enfin, j’ai commencé à avoir une idée de thriller, genre que je n’ai jamais abordé, et cela me tentait. La conjonction de l’ensemble m’a rapidement semblé un défi intéressant.

Actusf : De quoi cela parle-t-il ?

Olivier Paquet : Pour ne pas trop révéler, je dirais que le point essentiel tourne autour d’une communauté d’IA, qui occupent un espace secret et s’interrogent sur la manière de créer une société plus juste pour les humains. Elles débattent, à leur façon, à travers des simulations, des fictions qu’elles se créent, testent, refont, jusqu’à se mettre d’accord ou non sur la manière d’intervenir.
Pendant ce temps, on suit des personnages qui seront, à des degrés divers, affectés par cette communauté de machines. Chacun est dans une situation bloquée et la rencontre va bouleverser leurs illusions et les obliger à changer. Il leur est alors donné la possibilité de favoriser ou d’empêcher la prise de pouvoir des machines. D’une manière générale, tout tourne autour de la question des manières de créer le Bien, il y en a plusieurs, certaines sont plus justes que d’autres, certaines offrent plus de possibilités que d’autres.

Actusf : On y suit les aventures de cinq personnages que rien de semble relier et pourtant... Pouvez-vous nous dire quelques mots sur eux ? Comment les avez-vous créés ?

Olivier Paquet : Le premier, par ordre d’apparition, c’est Adrien, un trader de la Défense, qui est chargé d’animer le marché, comme on dit, il est riche, puissant, mais terriblement seul, c’est sa faiblesse fondamentale. Ensuite, il y a Stella McCall, une chanteuse pop dont la carrière est sur la pente descendante, qui voit la relève la supplanter et a l’impression d’être fausse, factice, artificielle. Kader, quant à lui, est un ancien tireur d’élite, utilisé pour combattre le terrorisme islamique, mais qui, revenu à la vie civile doit s’occuper de son grand-père grabataire et protéger son jeune frère qui devient salafiste. Lou, est une joueuse de MMORPG, une vraie star de son jeu, dont les compétences sont reconnues, mais qui n’a de cesse d’admirer sa meilleure amie, Cristina, qui, elle, est une star aux yeux des garçons.
Enfin, il y a Joachim, ou Hans, selon comment il se fait appeler, c’est vraiment le personnage qui relie tous les autres, c’est lui qui voit vraiment toutes les possibilités offertes par les machines et veut les exploiter dans un but qui n’est pas évident au début. Il va obliger tous les personnages à changer, à sortir de leur confort ou de leur situation bloquée.

Actusf : Avez-vous une préférence pour l’un d’eux ?

"Mais aussi, ce que je voulais, c’est sortir du cliché des joueurs prisonniers de leur avatar, opposer le monde réel et virtuel, montrer que dans la vie quotidienne, on peut se projeter dans la vie d’autres personnes, les envier de manière parfois déraisonnable, s’y perdre aussi."

Olivier Paquet : Question difficile, parce que chaque personnage a vraiment son histoire, est vraiment le héros de son chapitre, mais à y réfléchir, je dirais que c’est Lou, la joueuse. Déjà, parce que j’ai été joueur de World of Warcraft pendant près de 10 ans, que j’ai vraiment pu connaître ce qui se passait dans les raids, observant des joueuses dans un jeu majoritairement masculin, et ce que cela pouvait impliquer pour elles. Mais aussi, ce que je voulais, c’est sortir du cliché des joueurs prisonniers de leur avatar, opposer le monde réel et virtuel, montrer que dans la vie quotidienne, on peut se projeter dans la vie d’autres personnes, les envier de manière parfois déraisonnable, s’y perdre aussi. Elle admire un rôle qu’elle estime ne pas pouvoir jouer, c’est une question que chacun peut se poser à un moment où à un autre.

Actusf : Avez-vous dû faire beaucoup de recherches pour écrire ce roman ?

"Ensuite, tous les chapitres qui mettent en scène les simulations des IA, là où elles « discutent », ont un soubassement théorique. Elles ne font pas n’importe quoi, n’importe comment, et je devais réfléchir aux fondements philosophiques et économiques de leurs interventions."

Olivier Paquet : Il y avait deux types de recherches pour ce roman. D’abord, pour les chapitres. Ainsi, pour aborder la question du trading haute-fréquence, j’ai dû me documenter non seulement pour comprendre le rôle des algorithmes sur les marchés boursiers, comprendre cet univers où les humains n’ont plus leur place quand tout se joue à la microseconde, mais aussi pour maîtriser le vocabulaire. Ce chapitre est à la première personne, Adrien se doit d’utiliser les termes qu’il connaît, sans les expliquer au lecteur. Cela donne une tonalité assez ésotérique au contenu, qui est volontaire, mais moi, il fallait quand même que je comprenne de quoi il parlait, même si pour le lecteur cela ressemble à du charabia. Ensuite, tous les chapitres qui mettent en scène les simulations des IA, là où elles « discutent », ont un soubassement théorique. Elles ne font pas n’importe quoi, n’importe comment, et je devais réfléchir aux fondements philosophiques et économiques de leurs interventions. Pour cela, comme il s’agit de créer de la Justice, je suis parti de la Théorie de la Justice de John Rawls, qui est une vision très institutionnelle, avant de dériver par les idées de l’économiste Amarya Sen, qui s’intéresse aux capabilités, au potentiel de réalisation, et d’y ajouter d’autres ouvrages comme ceux d’Erik Olin Wright. Cela a l’air très théorique, dit comme ça, mais quand on lit les chapitres en question, on ne lit que l’histoire d’individus, un jeune sorti de prison, une clandestine chinoise, des ouvriers d’une usine qui va être délocalisée. Mais ce qui se passe suit une logique sous-jacente, même si au final, la société imaginée par les IA ne correspond pas tout à fait à l’univers théorique des auteurs que j’ai cités. Ce sont des machines, elles inventent leurs propres solutions.

Actusf : Avez-vous eu des sources d’inspirations en particulier ? Littéraires, cinématographique ?

Olivier Paquet : Je vais en citer deux parmi de nombreuses. Si je me suis intéressé aux traders, c’est suite à la vision du film Margin Call de J.C Chandor. C’est une sorte de huis clos, de thriller, qui évoque la crise des subprimes de 2008, et la nuit où un opérateur de marché découvre la catastrophe et tente de survivre par tous les moyens. Ce qui me fascinait, c’est de montrer ces traders à la fois arrogants, brutaux, mais aussi dépassés par les forces qu’ils manipulent. Ce sont des humains, même tout en haut d’un gratte-ciel. L’autre inspiration, c’est les mangas de Naoki Urasawa (Monster, 20 th Century Boys, Pluto). On y trouvera un lien évident, mais ce qui m’a marqué, c’est la capacité du mangaka à créer des petites histoires humaines dans son histoire, ce qu’on va retenir, c’est ces vignettes, ces personnages secondaires qui vont émouvoir avant de disparaître.

Actusf : Surveillance globale et respect de la vie privée sont deux thématiques que vous abordez dans ce roman. Peut-on le voir comme une critique de notre monde actuel ? Est-ce des sujets que vous trouvez effrayants ?

"Ce qui m’effraie, c’est que nous perdons la sensation d’appartenance à une espèce humaine, nous sommes capables de créer des dizaines de communautés, de nous y sentir bien, mais pas de penser à l’avenir de notre société tout entière, de lui donner une direction qui soit globalement acceptable."

Olivier Paquet : C’est difficile de ne pas être choqué par l’utilisation de nos données à des fins commerciales ou pour de la surveillance, il y a tous les jours des exemples de gens inquiétés, menacés parce que les réseaux sociaux rendent tout accessible. Mais au-delà de cet aspect très politique, je voulais aussi mettre en évidence l’aspect fantasmatique, les illusions que tout cela projette. Nous sommes présents sur les réseaux sociaux, nous y laissons des traces, mais qu’en faisons-nous ? Est-ce que je suis défini par ces données, est-ce que je suis réduit à elles, mon avatar est-il moi ou une fiction que j’ai créé pour me libérer de mes angoisses, de mon incapacité à supporter le réel ? Ce qui m’effraie, c’est que nous perdons la sensation d’appartenance à une espèce humaine, nous sommes capables de créer des dizaines de communautés, de nous y sentir bien, mais pas de penser à l’avenir de notre société tout entière, de lui donner une direction qui soit globalement acceptable. Les algorithmes commerciaux se sont adaptés à chacun de nous, ont décortiqué nos habitudes renforçant nos goûts. Nous nous sommes laissés enfermé dans des niches, souvent confortables, oubliant d’aller plus loin, et de créer une culture commune, imparfaite sans doute, mais capable de nous relier malgré les différences économiques, sociales ou intellectuelles. Alors j’essaie de montrer une autre possibilité qui ne voit pas la technique comme responsable de tous nos malheurs.
Comme l’écrit Tristan Garcia qui a eu la gentillesse de rédiger la postface de mon roman : « Dans ce monde où la société est devenue artificielle, les intelligences artificielles font société ».

Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Olivier Paquet : J’ai terminé, presque pour me détendre après ce roman, un space opera avec plein de batailles spatiales, des extraterrestres empathes et de la grande tragédie sentimentale. C’était presque un besoin pour décompresser après les Machines fantômes. Sinon, je me documente sur l’Andalousie autour de Cordoue, pour une nouvelle qui pourrait constituer un inédit pour un futur recueil. Pas de date de sortie, c’est vraiment à l’état de projet et cela dépendra du temps que j’aurai à y consacrer.

Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?

Olivier Paquet : J’ai un programme qui se charge peu à peu, dès le mois de septembre puisque je suis invité au Livre sur les Quais à Morges du 6 au 8 septembre en Suisse, avant de participer le 9 septembre à la rentrée des auteurs à Lyon au Théâtre des Célestins, je suis d’autant plus content que je me retrouve en compagnie d’auteurs lyonnaises que j’adore comme Emmanuelle Pireyre ou Brigitte Giraud. Ensuite j’ai été invité par Jean-Luc Marcastel pour le salon entre les mondes à Aurillac le 21-22 septembre, puis aux Aventuriales à Ménétrol le 28-29. J’interviendrai le 7 octobre à Lyon pour parler d’IA et de vin en compagnie de Mathieu Guillermin à l’occasion de la Fête de la Science et le 10 octobre à la médiathèque d’Oyonnax, toujours pour évoquer les intelligences artificielles, avant de continuer le périple scientifique à Scientilivre le 19-20 octobre à Labège. En novembre, je suis invité aux Utopiales et je participerai aussi à Futurapolis à Bordeaux. Un programme riche, qui se complètera de rencontres en librairie, mais c’est encore en discussion.

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