- le  
Les Monstres - Les secrets d'écriture de Charles Roux
Commenter

Les Monstres - Les secrets d'écriture de Charles Roux

A l'occasion de la sortie de Les Monstres, Charles Roux revient sur la création de ce roman paru aux éditions Rivages le 6 janvier.

Actusf : Vous sortez votre premier roman, Les Monstres, aux éditions Rivages. Qu’est ce qui vous a incité à prendre la plume ?

Charles Roux : Ma passion pour la lecture remonte à mes plus jeunes années, et c’est tout naturellement que je me suis tourné vers l’écriture. Cela fait bientôt quinze ans que j’y investis de plus en plus de mon temps. Après avoir rédigé des articles pour des magazines online, j’ai ensuite écrit des nouvelles, puis des romans. Aujourd’hui, c’est vraiment ce souffle long de l’écriture qui me plaît.

Actusf : Comment est né ce récit ?

Charles Roux : Les Monstres est un roman qui s’articule autour d’un repas au restaurant, où se dénouent certaines des interrogations des protagonistes. Cette scène du dîner, qui s’étale dans le roman sur près de deux cents pages, a d’abord été pensée comme une nouvelle beaucoup plus courte, qui a d’ailleurs été primée lors d’un concours. Avec le temps, d’autres réflexions sont venues prolonger cette nouvelle, qui est donc devenue un roman.

Actusf : Pouvez-vous dire quelques mots sur l’intrigue ?

Charles Roux : Dans cette histoire, le lecteur est confronté aux pensées de trois personnages, Alice, David et Dominique. Aux prises avec la ville, tentaculaire et étouffante, et les pouvoirs libérateurs de la nuit, ces trois protagonistes vont chercher à découvrir qui ils sont vraiment. Pour ce faire, ils affrontent leur monstre intérieur, cette part sauvage qui réside à l’intérieur de chacun d’entre nous.

Ce roman interroge l’identité, ce que nous sommes tous devenus, par le biais de notre environnement, de nos relations aux autres, des obligations sociales. Comment devenir réellement soi-même, voilà la question centrale qui anime Alice, David et Dominique tout au long de ce roman.

Actusf : Les Monstres se présente comme un cabinet de curiosités littéraires… Qu’est-ce qu’un cabinet de curiosités littéraires, justement ?

Charles Roux : Avant que soient créés les musées, il existait ce qu’on appelait autrefois des cabinets de curiosités. Dans une démarche scientifique balbutiante, leur constitution visait à appréhender le réel sous toutes ses formes : le monde animal, végétal, minéral, mais aussi les créations humaines, les machines, les outils, en provenance des différents endroits et civilisations du globe.

Dans Les Monstres, le cabinet de curiosités est présent au sens propre, puisque c’est le décor du restaurant qui tient lieu de scène centrale au roman, mais aussi au sens figuré, puisque apparaissent, tout au long du récit, des références à de nombreux textes et auteurs, d’origines et d’époques diverses.

Actusf : Comment avez-vous pensé ce roman ?

Charles Roux : Pour écrire un roman, j’ai besoin de savoir, avant même de coucher sur le papier la première ligne, où je vais. Je définis donc un point de départ et un point d’arrivée. Entre ces deux points, qui pourraient être vus comme deux gares, l’histoire avance comme un train qui va s’arrêter dans des gares intermédiaires. Je note donc tous les endroits où je voudrais que le train s’arrête. Mais c’est un train facétieux, qui est difficile à piloter ! Plus l’histoire avance, moins j’ai la main sur l’écriture. Je me laisse plutôt guider par les mouvements naturels, qui la font donc passer par tel chemin plutôt que par un autre. Certaines gares seront délaissées, d’autres apparaîtront au fur et à mesure de la rédaction du roman.

Avant d’écrire Les Monstres, j’avais donc un schéma global en tête, un début et une fin, mais une fois que le roman a été fini d’écrire, je n’ai pu que constater que le résultat était très différent de ce que j’avais originellement imaginé. Je suppose qu’il y a dans ce mélange de contrôle et d’improvisation, de patience et d’urgence, tout le plaisir que constitue l’écriture d’un texte long, qui avant d’embarquer le lecteur pour un étonnant voyage, trimballe avant tout l’auteur lui-même !

Enfin, il ne faut pas non plus oublier le rôle crucial de l’éditeur. Cet œil extérieur au créateur est très important, il permet de gommer les imperfections, de pousser l’auteur dans ses retranchements, de le forcer à se poser les bonnes questions. Faut-il ou non garder ce passage, réécrire celui-ci, raccourcir ou rallonger telle partie, etc., autant de possibilités qui donnent encore un nouvel aspect à l’histoire définitive.

Dans Les Monstres, l’idée générale est de proposer une jungle dense, un enchevêtrement de figures, de références, de pistes de réflexion, mais aussi de miroirs, de masques, de créatures, un univers parfois étouffant où le lecteur, comme les personnages, doit réussir à se frayer un chemin. Dans le roman, les monstres sont à la fois les protagonistes, la ville, la nuit, et le roman lui-même, sorte de monstre littéraire protéiforme.

Actusf : Le thème qui revient dans ce roman, c’est l’identité. On y parle de métamorphoses et de travestissements. Est-ce un thème qui vous tenait à cœur ? Pourquoi ?

Charles Roux : Je pense que c’est un thème central aux interrogations humaines. Ces questions peuvent prendre des formes diverses suivant ceux qui tentent d’y apporter des réponses (artistes, philosophes, neurologues, médecins, psychiatres, etc.), mais elles se relient toutes à la question centrale du moi et de ce qui constitue, en chacun de nous, ce je si complexe et insaisissable.

Quel que soit le cœur de cette identité, il me semble qu’elle est souvent, si ce n’est toujours, recouverte d’un tas de couches qui la rendent difficile d’accès et de compréhension. Ces superpositions sont en mouvement constant et s’adaptent aux situations, ce qui explique pourquoi chaque être humain peut se comporter de manière différente, selon qu’il interagit avec un pair, un voisin, un parent, un enfant, un inconnu, etc. Les vêtements jouent un rôle, les masques aussi, qu’ils soient réels ou imaginaires. Ce sont des filtres qui brouillent les cartes, rendant encore plus complexe l’appréhension de la vérité.

Actusf : Vous employez une narration à la deuxième personne, que ce soit pour un vouvoiement formel ou un tutoiement. Pourquoi ce choix particulier ?

Charles Roux : Aux trois personnages de ce roman correspondent trois voix, trois identités, trois narrations (et également trois monstres) qui ont chacune leur tonalité propre. Le meilleur moyen de faire ressortir leur essence était de les doter chacun d’une forme singulière. Ainsi, lorsque le récit se concentre sur David, c’est la deuxième personne du singulier (tu) qui est employée, lorsque c’est Alice, la deuxième personne du pluriel (vous), et lorsque c’est Dominique, la troisième personne du singulier (il/elle).

Puisque la quête de ces trois personnages consiste justement à traquer leur moi, il était évident de faire totalement disparaître la première personne du singulier (je).

Actusf : Quelles ont été vos inspirations pour ce texte, qu’elles soient littéraires ou cinématographiques ?

Charles Roux : Je suis content que vous ouvriez la question des inspirations au-delà du littéraire. J’adore lire, mais mon univers, fort heureusement, ne s’arrête pas qu’au texte. La puissance de l’image, que ce soit dans les bandes dessinées, les peintures, le cinéma, la photo, joue aussi un rôle dans la constitution d’un imaginaire.

Il serait trop long et fastidieux de lister toutes les sources qui, de près ou de loin, ont contribué à fabriquer ce roman étrange, mais pêle-mêle je pourrais citer : Mary Shelley, Herman Hesse, Lewis Carroll, Bram Stoker, Guy de Maupassant, Pedro Calderon de la Barca, Howard Phillips Lovecraft, Robert Silverberg, Haruki Murakami, Chuck Palahniuk, Bret Easton Ellis, Alan Moore, Manu Larcenet, George Romero, Tim Burton, Edvard Munch, Johann Füssli, Edward Weston…

Actusf : Nous l’avons déjà mentionné, mais c’est votre premier roman. Que retirez-vous de cette expérience d’écriture ? Comment avez-vous procédé ? Avez-vous mis au point une méthode particulière ?

Charles Roux : Les Monstres est mon premier roman publié, mais pas le premier que je termine d’écrire. Avec les années, j’ai mis en place une discipline quotidienne qui correspond à mon rythme et à mon besoin d’écrire tous les jours. Chaque matin, je fais en sorte de me réveiller le plus tôt possible (en général vers 5h, parfois un peu plus tôt, parfois un peu plus tard), et j’écris alors pendant deux ou trois heures, quatre ou cinq si mon emploi du temps de la journée me le permet.

J’utilise d’autres moments pour me relire ou construire des trames narratives, réfléchir aux personnages, mais pour la rédaction à proprement parler j’ai vraiment besoin de la magie de la fin de la nuit, ce moment si particulier qui précède l’aube. M’asseoir devant le manuscrit, alors que le jour n’est pas encore levé et que la plupart des gens dorment est un instant privilégié pour la création, une impression de s’extraire de la marche du temps, de s’offrir une bulle d’évasion et d’exploration d’un autre monde, celui qui se déploie dans le roman en cours d’écriture.

Actusf : Enfin en ce début d’année, c’est le moment idéal pour les projets. Quels sont les vôtres ?

Charles Roux : Comme beaucoup, j’aspire à retrouver une vie sociale et culturelle un peu moins limitée que ce que nous vivons actuellement. Boire un coup en terrasse, dîner au restaurant, retourner au cinéma, marcher en ville la nuit, voyager. Espérons que le retour à un monde plus ouvert se fasse le plus tôt possible au cours de cette année 2021 !

Évidemment, je m’attèle d’ores et déjà à la rédaction du prochain livre. Cela devrait être fort différent de ce premier roman, mais j’espère que ce sera une véritable expérience littéraire et une aventure aussi étrange que Les Monstres.

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?