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Les Ombres de Peter Pan

Yal Ayerdhal ( Auteur), Jacques Barbéri ( Auteur), Stéphanie Benson ( Auteur), Francis Berthelot ( Auteur), Sabrina Calvo ( Auteur), Jean-Pierre Andrevon ( Auteur), Philippe Caza (Illustrateur de couverture), Sylvie Denis ( Auteur), Richard Comballot (Anthologiste), Anne Duguël ( Auteur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/04/2004  -  livre
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Les Ombres de Peter Pan

En décembre 2004 sera célébré le centenaire de la première représentation de Peter Pan. En effet le seul enfant qui ne grandit pas a d'abord vu le jour sur la scène des théâtres londoniens. Nombre d'événements ponctuent cet anniversaire : un film prévu pour octobre retrace la vie de son créateur avec dans le rôle titre Johnny Depp et les éditeurs ne sont pas en reste. Alors que fleurissaient les clochettes (du muguet) cela a déjà commencé : My Lady Nicotine (éditions Le Passeur) révèle un James Matthew Barrie humoriste et Les Ombres de Peter Pan dévoilent tous les traumatismes que Peter Pan laisse dans l'esprit des enfants. De Loisel à Fabrice Colin en passant par Pierre Dubois, nombreux sont les auteurs et artistes qui avaient suivi la seconde étoile à droite pour réexplorer à leur manière le Pays de Nulle Part. Ce n'est donc pas le thème qui surprend ici mais le traitement.

Toute-puissance des mots et de l'imagination

Vous vous en souvenez certainement : chaque fois qu'un enfant dit qu'il ne croit pas aux fées, l'une d'entre elles meurt. Certains des auteurs au sommaire de l'anthologie ont réaffirmé après Barrie le pouvoir du verbe, des croyances et de la pensée. Ainsi, deux malheureuses coquilles dans la composition typographique du texte français de Peter Pan engendrèrent-elles tous les fléaux que connut le monde occidental au XXème siècle. Francis Berthelot jette tous les manuels d'histoire au feu pour alimenter son facétieux récit des terribles catastrophes engendrées par Peter Paon et la fée Crochette. Dans Ces ailes que je n'ai jamais eu, Jérôme se jette depuis la lucarne du grenier persuadé que si Peter Pan peut voler, lui aussi. Et puisqu'en place et lieu de Pays imaginaire c'est aux urgences qu'il atterrit et en mauvais état, il fera venir le monde merveilleux à lui tant pis si ça déplait aux grands… Mais comme toute création de l'imaginaire cet univers est fragile nous rappelle Christian Vilà. Si d'aventure vous comptiez faire fortune en transformant le Pays de nulle part en destination touristique, vous feriez fausse route et risqueriez de vous en mordre les doigts jusqu'àu poignet…

Toute ressemblance entre le Pays imaginaire et la réalité…

Le syndrome de Peter Pan est apparu en psychanalyse dans les théories de Dan Kiley en 1983. Il désigne des adultes qui refusant de grandir s'enferment dans une immaturité capricieuse et n'assument pas les responsabilités de leur réalité. La hantise de vieillir (et au-delà de mourir) est sans doute l'une des peurs les plus ancestrales de l'humanité. Des élixirs de jouvence aux crèmes anti-rides, le fantasme de l'éternel jeunesse rapporte beaucoup d'argent et suscite bien des manipulations. Ces expériences ont inspiré Pierre Stolze : Peter Pan et Wendy sont devenus des cobayes mais leur volonté de résister à la dictature des grands est toujours aussi farouche.

Les histoires imaginées pour ce recueil croisent parfois l'Histoire dans ses pires moments. Johan Heliot a placé Jean-Michel et Wendy dans la tourmente de la Première Guerre mondiale. Wendy infirmière ne vit que pour le retour de Peter Pan. Se pourrait-il que le garnement réapparaisse en plein milieu des affrontements et lui donne cette fois ce qu'elle désire ardemment ? Avis aux amateurs de Xavier Mauméjean : il a affirmé dans une interview avoir mis un point final aux aventures de Lord Kraven dans sa livraison pour ce recueil qui est le texte le plus sombre de tous. Même les fées ont subi l'holocauste et l'une d'entre elles raconte le cauchemar d'Auschwitz.

De grands enfants toujours aussi perdus et des jeux pas innocents

Dans les textes qui ont transposé les aventures de Peter pan et ses compagnons à notre époque, les enfants perdus sont devenus soit des membres d'un gang soit des musiciens d'un groupe. Violence, drogues, alcool, sexe, les moyens de fuir la réalité sont destructeurs. Comme si les protagonistes visaient la mort inéluctable pour expérimenter le défi lancé par Peter dans son exclamation " Mourir, ça c'est une aventure ".

Caza le rappelle sur la couverture en dotant le personnage de la flûte qui porte son nom, Peter Pan c'est aussi une résurgence du dieu Pan. Dans la mythologie grecque, Pan était le dieu des pâturages et des forêts, mi homme mi-chèvre il accompagnait les nymphes bien que celles-ci repoussent ses avances en raison de sa laideur. Il est la nature personnifiée en particulier dans sa vitalité et sa fertilité d'où le pouvoir de séduction de Peter Pan.

Fabrice Colin souligne cette filiation dans un texte noir, poétique et envoûtant où un père pleure son fils enlevé par Peter Pan. En parcourant ce que lui et sa femme auraient pu faire pour empêcher ce drame, l'homme envisage qu'adolescent il aurait pu lui aussi céder aux avances de Peter Pan. Dans le texte de Barrie, M. Darling expiait sa négligence en se réfugiant dans la niche, il endossait le rôle de Nana qu'il avait empêché d'assurer sa vigilance. Ici le père rêve de devenir la proie de Peter Pan et tente dans un renversement vertigineux d'emprisonner l'éternel enfant. L'homme doit renoncer à l'enfant qu'il a fait et à celui qu'il a été.

Et si on s'amusait maintenant ?

Peter Pan, c'est aussi le compagnon de jeux et quelques auteurs se sont tout de même résolus à s'amuser. Catherine Dufour imagine le châtiment réservé à Peter Pan pour les crimes commis au long du texte et quand on découvre en qui Peter a été réincarné on ne peut que trouver le jugement impitoyable… et la nouvelle impayable.

Ayerdhal suit le double malfaisant de Peter Pan il a une verve plutôt enlevé, gouailleuse à souhait ; en se vantant de ses méfaits, il esquisse l'ambiguïté du personnage inventé par Barrie, son égoïsme, sa cruauté. Jean-Pierre Andrevon mélange allègrement les comics et leur cortège de super héros avec le Space Opera pour décrire une expédition spatiale un peu forcée dans une veine hautement cynique.

Loin des personnages édulcorés des adaptations cinématographiques, les protagonistes de cette anthologie nous renvoient à tous les instincts enfouis au fond de chacun d'entre nous. Dans le sillon ombragé de Peter Pan, les auteurs ont sondé notre âme d'enfant tour à tour joueuse, capricieuse, charmeuse, cruelle et bien plus encore qu'on ne saurait écrire ici… On peut neutraliser cette partie de nous à coup de principes, de lois mais jamais l'effacer ; car comme l'avoue Fabrice Colin à la fin de sa belle préface, aussi grands et réalistes que nous nous croyons, on n'est pas de taille à lutter contre la magie, celle virtuosement transmise par Barrie et brillamment reprise cent ans plus tard.

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