A l'occasion de la parution des Pépites de l'Imaginaire 2019, découvrez une interview de Thibaud Latil-Nicolas, auteur de Chevauche-brumes, à paraître le 21 février aux éditions Mnémos.
De plus Thibaud Latil-Nicolas sera à la Dimension Fantastique le 23 février prochain avec Nicolas Texier et Colin Heine.
Actusf : Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs ?
Thibaud Latil-Nicolas : J’ai trente-trois ans et il s’agit de mon premier roman de fantasy. J’ai eu la chance de grandir dans une famille férue de lecture et c’est tout naturellement que j’ai développé une passion pour les livres. Mes goûts se sont tout d’abord portés sur l’histoire et les contes et légendes, la mythologie. J’ai ensuite découvert la science-fiction et la fantasy à travers les films, les jeux vidéos et les bandes dessinées (je fais notamment partie de la « génération Thorgal »). Mon parrain m’a un jour offert Le cycle de Tschaï et Bilbo le Hobbit… Le sort en était jeté. Je venais de découvrir dans la littérature de l’imaginaire un univers infini qui ne cesse de m’ébahir encore aujourd’hui.
Actusf : Chevauche-Brumes, votre 1er roman, doit sortir en février aux éditions Mnémos. Comment en êtes-vous venu à l’écriture ? Quelle a été l’idée à l’origine de ce récit ?
"Je me suis surtout rendu compte que l’écriture n’a rien à voir avec son pendant évident, la lecture. Pour la première fois, j’avais la possibilité de créer un récit, de m’y immerger et d’avoir le privilège d’être le premier à le transcrire dans mon esprit en images, en odeurs et en couleurs."
Thibaud Latil-Nicolas : A l’origine, je ne m’imaginais pas auteur. Il y a tellement de bons livres que je consacrais mon temps libre à les dévorer plutôt qu’à en écrire un nouveau. Et puis un jour, plus par curiosité qu’autre chose, je me suis essayé à écrire un chapitre. « Pour voir » en quelque sorte. L’exercice m’a fasciné. Je me suis surtout rendu compte que l’écriture n’a rien à voir avec son pendant évident, la lecture. Pour la première fois, j’avais la possibilité de créer un récit, de m’y immerger et d’avoir le privilège d’être le premier à le transcrire dans mon esprit en images, en odeurs et en couleurs.
C’est alors qu’une image qui a germé et c’est elle qui a été à l’origine de Chevauche-brumes : la vision d’un cavalier encapuchonné que je ne peux vous dévoiler en détails sans sacrifier l’intrigue ! Tout ce que je peux vous dire c’est que cette idée m’a trotté dans l’esprit plusieurs jours, jusqu’à ce que je décide de l’exploiter et de m’en servir pour bâtir un univers qui me ressemblerait : un monde inspiré de la Renaissance mais mâtiné de magie, peuplé de personnages gouailleurs.
Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue ?
Thibaud Latil-Nicolas : L’action se déroule dans le Bleu-Royaume, un État féodal en proie à de nombreux troubles politiques et économiques. Les tribus barbares l’enserrent à l’ouest comme à l’est et même le concours de ses deux grands vassaux, le Longemar et l’Eterlandd, ne suffit pas à lui offrir la paix et la prospérité.
Au nord, sévit depuis toujours une brume noire, impénétrable que le peuple a fini par surnommer « la brume d’encre ». Ce rideau trouble n’évolue pas et reste comme fiché au sol, inflexible comme un flanc de montagne. De mémoire d’homme, il n’en a jamais été autrement et ce phénomène méconnu a fini par matérialiser la frontière septentrionale du Bleu-Royaume.
Mais depuis quelques lunes, l’écran semble se fissurer. Par intermittences, de violentes tempêtes viennent secouer la brume. Au cours de ces spasmes gigantesques, la nuée enfante des créatures inconnues dont les griffes vont bientôt mettre le nord du pays à feu et à sang.
La neuvième compagnie des légions du roy, qui rentre d’une campagne pénible en Libunce et qui n’aspire qu’à hiverner en paix, est alors mandatée pour renforcer la cité de Crevet et tenter de comprendre les origines du trouble.
Actusf : Des combattants en temps de guerre, ce n’est pas toujours simple à gérer ! Vos personnages ont-ils suivis la route que vous leurs aviez tracé ou vous ont-ils surpris ?
"J’aime beaucoup écrire des dialogues en variant les styles et en imaginant des termes d’argot. C’est pour moi le réel test du personnage : si vous avez du mal à le faire s’exprimer, à le faire interagir avec ses semblables, c’est qu’il n’est pas assez « vrai »."
Thibaud Latil-Nicolas : Certains m’ont surpris car ils sont devenus vivants. Au départ, j’en avais créé beaucoup trop et avec le temps, j’en ai retiré presque deux dizaines ; une véritable décimation ! Dans les faits, j’ai éloigné du récit les personnages-fonctions, ceux que j’avais intégré par caprice plus que par réelle pertinence… Seuls sont restés ceux qui avaient une identité propre, un caractère trempé et identifiable. J’aime beaucoup écrire des dialogues en variant les styles et en imaginant des termes d’argot. C’est pour moi le réel test du personnage : si vous avez du mal à le faire s’exprimer, à le faire interagir avec ses semblables, c’est qu’il n’est pas assez « vrai ». Il faut soit le repenser, soit s’en séparer. Le personnage est l’âme d’un livre. Peu importe l’environnement dans lequel il évolue, c’est à lui que l’on s’attache. Qui pense à Alien sans penser à Ripley, à Gagner La Guerre sans visualiser le visage ravagé de Don Benvenuto ?
Alors bien évidemment, quand on sélectionne les bruyants et les indisciplinés, ils sortent parfois du cadre ! J’ai une tendresse toute particulière pour un vétéran grincheux, un intendant pénible et une troupe de guerrières au tempérament sauvage qui m’ont offert des moments de pure exaltation lorsque je les ai autorisés à prendre le pas sur ma réflexion en leur laissant les « rênes longues ».
Actusf : On suit donc une troupe de mercenaires qui doit lutter et protéger une ville frontalière contre un fléau inconnu, mais a priori d’origine magique. On ne peut s’empêcher de penser à La Compagnie Noire de Glen Cook ou encore à Elric de Mickaël Moorcock. Avez-vous eu des inspirations en particulier ?
Thibaud Latil-Nicolas : Je n’ai pas lu La Compagnie Noire et j’ai découvert Elric sur le tard grâce à sa fabuleuse adaptation en bande dessinées. Mon inspiration vient, pour ce premier livre, davantage d’un style de littérature qui n’a rien à voir avec l’imaginaire : les romans de tranchées. Comme je vous le disais, j’adore l’histoire et la découverte des récits de la Grande Guerre m’a profondément marqué. Je pense en particulier à quatre livres que je chéris : Les Croix De Bois de Roland Dorgelès, Le Grand Troupeau de Jean Giono, La Peur de Gabriel Chevallier et La Boue de Maurice Genevoix. Que les hommes et les femmes qui peuplent ces pages sont grands ! Il y a tout dans ces livres : la camaraderie, la tendresse, le chagrin, la peur et le désastre. C’est d’abord là que j’ai puisé mon inspiration.
C’est ce que je reproche parfois à de nombreux ouvrages de fantasy : cette absence d’ancrage dans le réel. Certes, l’imaginaire offre d’innombrables libertés mais j’aime les récits dans lesquels les héros sont contraints par des choses aussi plausibles que l’usure des matériels et la diarrhée que les chevaux attrapent faute de fourrage de qualité. La magie n’est qu’une « touche » supplémentaire qui sert à insuffler une part d’épique dans le récit. Chevauche-brumes vous fera certainement penser au quotidien d’une troupe de lansquenets qui évolue dans un monde presque semblable au nôtre mais dans lequel surgit soudain l’irréel et l’impensable.
Actusf : Des hommes, mais aussi des femmes. Au fil de l’intrigue, nous rencontrons une compagnie de guerrières farouches et intrépides. Mais leur bravoure n’est pas leur seul atout. Comment les avez-vous créées ? Était-ce difficile de les mettre en scène pour qu’elles soient crédibles ?
"Mes guerrières puent, jurent et combattent comme leurs équivalents masculins. Non parce que je voulais me targuer d’un féminisme opportun, non parce que je voulais varier les plaisirs de l’écriture mais simplement parce que j’estimais cela logique et normal."
Thibaud Latil-Nicolas : J’ai grandi dans une famille de femmes. J’ai été élevé par une mère seule avec mes deux sœurs. Comble du défi, je ne suis ni l’aîné ni le benjamin mais je suis coincé entre les deux ! Ça n’a pas toujours été facile et les chamailleries ont été parfois longues et âpres. Mais toujours est-il que je suis extrêmement proche de mes sœurs et de ma mère aujourd’hui. Les femmes font partie de mon quotidien depuis toujours et ma compagne est un exemple de force et d’indépendance. J’ai donc naturellement intégré cet aspect de ma vie dans mon écriture.
De plus, je suis bien souvent interloqué de voir qu’au XXIème siècle, nous semblons faire marche arrière. De nombreuses idéologies religieuses et acteurs politiques entendent toujours maintenir les femmes soit dans un état de servitude soit dans une posture de simple objet de fantasme. Et la culture de masse véhicule encore ces stéréotypes. Pour la seule fantasy, combien de bandes dessinées présentent des guerrières à la poitrine surgonflée chargeant leurs ennemis avec un bikini pour seule armure ? Dans mon livre, elles auraient plus de chance de gagner une scoliose que des honneurs de bataille.
Mes guerrières puent, jurent et combattent comme leurs équivalents masculins. Non parce que je voulais me targuer d’un féminisme opportun, non parce que je voulais varier les plaisirs de l’écriture mais simplement parce que j’estimais cela logique et normal. Il m’aurait fallu faire un effort conscient pour ne pas les intégrer. L’histoire regorge de combattantes émérites : Lucie Aubrac, Lidia Lydvak, Zoya Kosmodemyanskaya, Tomoe Gozen, Joséphine Baker, Jeanne d’Arc, etc… Mon livre devait donc en contenir lui aussi.
Actusf : Quand vous avez construit votre univers, vous vous êtes senti plus architecte ou jardinier ?
"La nature est un thème central en fantasy et mon roman a un sous-texte écologique qui est le reflet de mes préoccupations et de celles de mon temps."
Thibaud Latil-Nicolas : Plus jardinier. La nature est un thème central en fantasy et mon roman a un sous-texte écologique qui est le reflet de mes préoccupations et de celles de mon temps. Le champ lexical des bois et forêts est très présent. De plus, un jardinier se doit d’être patient et avec l’écriture, c’est une vertu qui prend tout son sens.
Parfois une idée germait dans mon esprit et je me forçais à écrire immédiatement, de peur de la perdre. Or, rien de bon n’est jamais sorti de cette précipitation. Lorsque je laissais cette idée pousser, s’épanouir avec le temps, elle finissait par éclore et ce que je couchais alors sur le papier était infiniment plus fluide et construit que mon « premier jet ».
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Thibaud Latil-Nicolas : Je préfère rester prudent et ne rien annoncer. J’ignore quel accueil recevra mon premier livre et cet aspect très concret du processus d’édition sera très certainement déterminant. Tout ce que je peux vous dire c’est que je ne reste pas chez moi les bras croisés et que j’écris toujours.
Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?
Thibaud Latil-Nicolas : Le 16 février je serai au Salon du livre de Bruxelles et le 23 du même mois à la librairie Dimension Fantastique à Paris. Le week-end des 16 et 17 mars je serai au salon du livre de Paris.
Voilà pour les dates officielles ! Mais si des libraires souhaitent que je m’installe à une table chez eux quelques heures un week-end, j’en serai ravi.