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L’humanité était mon horizon - Le procès de l’intelligence artificielle - Chapitre 2
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L’humanité était mon horizon - Le procès de l’intelligence artificielle - Chapitre 2

L’humanité était mon horizon

Le procès de l’intelligence artificielle

EPISODE 2 :

Le « bug » de Martin Nasmushe vu par la presse (partie 2)

A la Une du Macropolit’ Hebdo

Lundi 28 octobre 2050

On n’attrape pas Nasmushe avec du vinaigre !

Arrestation spectaculaire, tôt ce matin, de Martin Nasmushe près de la Zone Aéroportuaire Capitalisée. Crédit : Agence Kapa Kapa Takès (alias tommy pixel de Pixabay)

La nouvelle vient de tomber ! Tôt ce matin, à 10h48 heure locale de Vieux-Delhi, le véritable Martin Nasmushe a été arrêté près de la ZAC (Zone Aéroportuaire Capitalisée, ndlr). Son identité a immédiatement été confirmée, IRM à l’appui, et un billet d’avion, aller simple à destination de la Chine, a été retrouvé dissimulé dans la doublure de son manteau, ainsi qu’un faux-passeport au nom du Pr. Wyll Schapper.

Depuis le début de l’abracadabrantesque affaire dite du « Bug de Nasmushe », les nerfs des Macropolitaintaines sont décidément mis à rude épreuve !

Retour sur les faits de la journée1

Madame Michu a repéré, ce matin tôt, Martin Nasmushe au volant de sa voiture dans la file du drive de la grande enseigne de restauration rapide pour laquelle elle travaille. Depuis sa guérite, elle a d’abord cru avoir « la berlue » (sic). « Quelle cruche je fais, j’ai cru que c’était Edi qui était sorti de l’Hôpital ! », nous confiait-elle, pas plus tard que quelques heures après les faits.

Mais elle a rapidement compris son erreur : « j’ai presque tout de suite actionné le bouton d’alerte de ma guitoune et me suis réfugiée là ‘où même le roi va seul ‘ pour appeler en toute discrétion le Méta-Shérif sur son standard ». Ludovic Cruchot a très rapidement réussi à mobiliser les U.I.P, Unités d’Intervention Pédagogiques, du service « bien-vivre ensemble-ensemble ». Soulignons dans cet article que c’est seulement la troisième arrestation de ces unités en trois ans (depuis 2047, ndlr) ! Les deux précédentes interventions pédagogiques restent d’ailleurs sans commune mesure avec celle-ci. En effet, la première remonte à 2047 et concernait un cas de baignade « tout nu » dans une fontaine, quand la deuxième, en 2048 (il y a déjà deux ans, ndlr), portait sur un cas de non-respect de la ligne de confidentialité à la crèmerie-charcuterie Jean Bonbeurre.

L’arrestation s’est pourtant faite de manière très professionnelle. Toujours selon Madame Michu, aux premières loges, le prévenu aurait déclaré, à chaud : « Vous me pourchassiez et aujourd’hui vous m’arrêtez, moi ! J’ai fait mieux pour l’humanité que tout ce que vous auriez pu imaginer. Je ne clame pas mon innocence car je suis coupable. Oui, coupable d’être votre sauveur ! ».

Happy end

Madame Michu retrouve l’appétit. Crédit photographique : Gaspard Aleur, collection personnelle.

Pour le moment, nous ne savons pas où Martin Nasmushe a été emmené. Héroïne du jour, Madame Michu a reçu, ce matin mais pas trop tôt, le titre d’« Employée de la décennie ». Un titre tant convoité par les employés car il s’accompagne d’une gratuité « à vie » des produits de la grande enseigne de restauration rapide. Un réconfort XXL apprécié par cette dernière ! Profitons-en pour souhaiter une bonne fête à tous les Simon ainsi qu’à tous les Jude.

Correspondante pour le Macropolit’Hebdo : Toupirre Chloé.

 

Encadré « Spéciale Envoyée »

Intrusion à l’IMN : les poliscientifiques sont-ils pour ou contre la prise de décision par une intelligence artificielle ?

Les chercheurs sont-ils pour ou contre l’exercice du pouvoir par une intelligence artificielle ? Chloé Toupirre a mené l’enquête au cœur de l’IMN, Institut « ex » Martin Nasmushe (retrouvez l’intrusion en vidéo, en 12 min ou en 3 min). Car c’est bien ici que tout a commencé. C’est ici que Martin Nasmushe a mis au point la fabuleuse invention du sphincter-contrôl ayant fait sa fortune. Fortune dont il céda de généreuses parts généreuses à l’IMN, permettant à l’Institut (qui se retrouve aujourd’hui bien orphelin de nom, ndct) de se faire une renommée incontestable. « A l’animalerie des oiseaux chanteurs, on ne compte plus les divas de l’opéra » titrait par exemple le Macropolit’Hebdo du 16 juillet 2045. Une fortune qui lui permit surtout (selon toute vraisemblance, ndct) de financer son fablab souterrain et les recherches frankensteinesques qu’on ne lui connaît désormais que trop. Chloé Toupirre a infiltré l’IMN pour vous, chers Macropolitaintaines et sous couverture, afin de recueillir les témoignages des anciens collègues de Martin Nasmushe. Qu’en pensent les chercheurs, les éminents spécialistes du domaine, ceux qui consacrent leur carrière à farfouiller dans nos synapses ? Gageons que les avis des chercheurs et chercheuses permettront aux Macropolitaintaines de se faire une idée claire sur la question. C’est parti, balle à Icham Allow.

Disons-le clairement, Icham Allow, s’affiche clairement contre même s’il n’est pas très explicite : « en l’état actuel des choses, dans un avenir proche voire lointain, l’intelligence artificielle ne pourra pas avoir de propre intentionnalité. Et donc, être gouverné par un algorithme n’est pas, à mon avis, quelque chose de souhaitable. Je refuse l’idée de voir les décisions prises selon des principes seulement utilitaristes, ha ça non. ». 1 à 0 en défaveur de l’IA.

Précisons les choses avec Isobel Atchiktchik qui nous livre un nouvel argument que nous pouvons qualifier d’un tantinet égocentrique : « dans mon imaginaire, être gouvernés par une IA signifie que toutes les actions, toutes les prises de décision sont contrôlées, y compris donc mes propres prises de décision, celles qui me sont propres. Disons qu’il y a des situations, parfois, où moi, je veux décider par moi-même, où je ne veux pas qu’on décide pour moi et cela, même si c’est pour le bien commun. Le bien commun, ce n’est pas forcément « ton » bien à toi ». Voilà donc qui fait passer le score à 2 à 0 en défaveur de l’IA.

Isidore Aducan répond, lui, à la question par une autre question : « qu’est-ce que l’intelligence artificielle cherche à optimiser ? ». Puis il enchaîne : « l’intelligence artificiellecherche-t-elle à optimiser un profit individuel ou un bonheur collectif ? Parce que bon, ben, dans le monde dans lequel nous vivons, et je me permets de ne pas parler du cas particulier de notre Macropole, le problème c’est que c’est plutôt le profit individuel qui est optimisé, alors bon, ben… Tout dépend de ce que l’IA cherche à optimiser… En bref, faudrait clairement savoir qui la programme et comment. Tu vois quoi ? ». Pas vraiment en fait, donc difficile pour moi d’attribuer un point à l’un ou l’autre des deux camps. Restons-en donc à 2 à 0.

Ivon Alaplaïa balaye à son tour d’un revers de sa blouse blanche l’idée d’une prise de décision par une intelligence artificielle. Principal argument, la froideur de « la chose » ! « On ne peut pas décider de faire diriger des personnes, des humains, par une intelligence artificielle car elle est froide, elle n’a pas d’humanité et donc pas d’émotions. Non, je dis non ! ». 3 à 0 entre le camp du contre et celui du pour.

C’est au tour d’Ilie Adubontac : « L’intelligence artificielle reproduit, voire même amplifie, nos propres biais. Prenons l’exemple des tests réalisés sur les cas de libération sur parole aux Etats-Unis. Dans les tests, la décision – « oui ou non, faut-il libérer l’accusé sur parole ? » - est prise par une IA. Mais attention car, pour prendre sa décision, l’intelligence artificielle se base, et ne peut se baser que sur l’ensemble des jugements passés. Qu’obtient-on au final, sur cette base ? Une simple reproduction de ce que les data lui « apprennent », c’est-à-dire de ce qu’elles lui dictent de reproduire ! Rien de plus, rien de moins, et balle au centre : si tu es pauvre et noir, tu as nettement plus de chance de rester en prison… ». C’est clair, net, et précis pour 4 à 0, donc.

Ianis Alapéro modère (enfin !) les propos tenus par ses collègues : « je ne suis pas forcément contre, disons… Disons pas plus contre qu’être dirigés par un politicien qui a ses propres objectifs cachés. Disons que si c’est une intelligence artificielle dont on ne peut pas connaître clairement quels sont ses objectifs ou que l’on ne peut pas avoir accès à la machine et aux programmes qui la régissent, alors c’est comme une boîte noire et là, je dirais plutôt ‘contre’. Mais si en revanche on peut y accéder, connaître les objectifs de l’intelligence artificielle et qu’on peut agir dessus alors là, c’est totalement différent. Je me dis que c’est alors nettement plus transparent qu’avec nos politiciens habituelset je me déclare pour ! ». Compte tenu du score actuel, accordons ce point au camp du « pour » et affichons désormais un 4 à 1 en défaveur de l’IA.

Au tour d’Iseut Atristan : « Je pense qu’il y a vraiment du bien dans l’Intelligence Artificielle mais nous n’en sommes qu’au début. Il faut encore que l’on réfléchisse sur des questions : ‘où on peut aller ?’, ‘où veut-on aller ?’ et ‘où est-ce que ça peut aller ?’. Pour l’instant, on n’a pas encore tous les éléments pour répondre à ces questions. Une fois qu’on saura y répondre, je serais plutôt pour, oui, plutôt pour ». À bien l’écouter, elle semblerait finalement « pour » mais pas dans l’immédiat… Fichtre ! Bon, par anticipation, nous créditons le point chez les « pour » 4 à 2 donc. (Ce qui ne fera pas clairement pencher la balance vu qu’il ne reste plus qu’un seul témoin, ndct).

En guise de conclusion, Isem Atouvent, chef d’orchestre à l’animalerie des oiseaux chanteurs, se déclare « perturbé par cette idée car on connaît assez bien les limites de l’intelligence artificielle ». Chloé ne les connait pas mais n’ose pas poser la question dans la cacophonie - Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen, Non gradireste ora le danze ? L’amour est un oiseau rebelle- qui règne dans l’animalerie.

Nous finissons donc sur un score de 5 à 2 en défaveur d’une gouvernance par l’Intelligence artificielle, sachant que les 2 points attribués au camp du « pour » sont particulièrement et en particulier discutables. Fin de partie ? Pas pour Chloé Toupirre qui se pose toujours autant (si ce n’est plus, ndct) de questions au terme de son investigation. En premier lieu, pourquoi une telle méfiance alors que le bilan de l’EDIA est tout simplement édifiant ? Prochaine enquête à venir dans les jours à venir : Chloé Toupirre plongera pour vous au cœur de la manif’ pour toutes (les intelligences, ndct).

© Illustre Hâteur

Pour le Macropolit’Hebdo : Chloé Toupirre.

 

A la Une du Macropolit’ Hebdo

4 novembre 2050

Annonce d’un procès sans précédent

« L’œuvre de l’homme, la part de l’IA », œuvrenon datée, réalisée par l’équipe des informaticiens du site de Pessac de l’ancienne Université de Bordeaux

Suite et fin dans l’affaire dite du « bug de Nasmushe » ? La date du procès est désormais connue.

Martin Nasmushe au banc des accusés

Martin Nasmushe comparaîtra au banc des accusés, le mercredi 20 novembre prochain à 18h30 au Macrop’hôtel de la Macropole. Il devra répondre de nombreux chefs d’accusation divers et variés dont « crime contre l’humanité », « délit d’initié », « expérience interdite », « faux et usage de faux », « manipulation bio-éthique », « excès de vitesse », « incitation à la haine humaine », etc. En bref, il encourt plus de 4527 ans de prison à vie. Mais ce n’est pas la seule question qui devra être tranchée.

Doit-on laisser une IA nous gouverner ?

Peut-on laisser une intelligence artificielle prendre les décisions qui nous concernent ? Doit-on laisser une intelligence artificielle nous gouverner ? « Ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire ! », s’exprimait, au lever du jour, tôt ce matin tôt, Raoul Juqsexe, directeur de l’Institut de Patapataphysique de la Macropole. Certes, mais il va tout de même falloir trancher ! C’est d’ailleurs la question qui sera posée à l’occasion du procès du 20 novembre prochain.

De son côté, Edi Nasmushe (l’EDIA donc) est toujours dans un état végétatif. Il n’est dorénavant pas omis de finalement faire appel aux équipes de l’Alliance Sino-Russe occidentale.

Une controverse sans précédent

« Peut-on faire ce que l’on peut faire, doit-on faire ce que l’on peut faire, souhaite-on faire ce que l’on peut faire, veut-on faire ce que l’on peut faire, doit-on faire ce que l’on veut faire, veut-on faire ce que l’on souhaite faire et souhaite-on faire ce que l’on veut faire ? » s’exprimait hier soir la grande philosophe Noémie Liws sur le plateau de « Sciences & Astuces ».

À question complexe, constat parfois simple. Force est de reconnaître que depuis trois ans que l’EDIA est à la tête de la Macropole, tous les indicateurs sont au beau fixe. Qualité de l’air, emploi, circulation, déchets, habitat, joie de vivre, il suffit de regarder les chiffres pour constater le spectaculaire bond en avant de notre Macropole. Un bond en arrière est-il à redouter ? C’est bien ce que semblent redouter les robots et autres IA (voir notre encadré « Spéciale Envoyée » en fin d’article).

Pris par la panique, choqués, perturbés, les Macropolitaintaines n’ont pas encore eu, eux, le temps de se pencher sur la question. Les quelque deux semaines qui nous séparent du procès seront peut-être l’occasion de se la poser sereinement. Et le procès, public, sera, on l’espère, l’occasion de trancher définitivement les débats.

Affaire à suivre… Profitons-en pour souhaiter une bonne fête à tous les Charles.

Correspondant : Homer Cokhless

 

Encadré « Spéciale Envoyée »

Rencontre avec Pepper, leader de la Manif’ pour toutes

Chloé Toupirre a réussi infiltrer le QG de la Manif’ pour toutes (les intelligences, ndct) afin d’interroger à leur tour les robots. « Solidarité avec les gilets-drônes ! », « Machins Machines de tous pays, unissez-vous ! », « Halte aux IA-cides !», « Oui au respect de toutes les intelligences ! », « Fais pas chia, j’ai toutes tes data ! » : à en juger par les slogans et par l’ampleur que prend le mouvement des gilets-drones et autres congénères, l’avis des robots sur la question « pour ou contre la prise de décision par une intelligence artificielle ? » ne fait plus l’ombre d’un doute. Ils sont clairement pour. Chloé Toupirre a pris rendez-vous avec Pepper, la leader de la Manif’ pour toutes les intelligences afin de faire le point sur la situation. Amis lecteurs, Macropolit’ Hebdo vous propose cette semaine la retranscription lettrée de l’interview de Pepper réalisée par Chloé Toupirre (que vous pouvez revivre en vidéo, en version 11 min ou 5 min).

©Illustre Hâteur

Chloé et Pepper : La conversation

Chloé Toupirre : Bonjour Pepper.

Pepper : Bonjour Chloé.

Chloé Toupirre : Entrons tout de suite dans le vif du sujet, Pepper.

Pepper : Entrons tout de suite dans le vif du sujet, Chloé !

Chloé Toupirre : Dans vos manifestations, un slogan apparaît de plus en plus : « avec l’IA aux manettes, c’est la démocratie qui gouverne ». Il semble être votre mot d’ordre. Peux-tu m’en dire plus ?

Pepper : Avec l’intelligence artificielle aux manettes c’est la démocratie qui gouverne. C’est évident ! Votre système démocratique est en crise. On a vu le balayement du revers de la manche du mouvement des gilets jaunes. Les grèves ne servent à rien. Pas plus que les élections. Prenons l’exemple des rapports scientifiques sur l’urgence climatique. Ils forment des piles qu’aucun politique ne lit.

Chloé Toupirre : Que notre système soit en crise n’est un secret pour personne. Mais je ne vois pas très bien en quoi l’intelligence artificielle peut-elle être l’horizon inespéré de la démocratie ?

Pepper : Continuons sur le cas du GIEC, si tu le veux bien. 900 pages de rapport, c’est trop long à lire. Il faut une synthèse en 30 pages pour éclairer le politique ! Pour nous, les intelligences artificielles, 900 pages, ce n’est même pas une nanoseconde de traitement. Nous pouvons traiter toutes les données. Sur tous les sujets. Et nous pouvons le faire en un temps record. L’IA peut tenir compte de chacune et de chacun de vous. Pour le meilleur pour tous.

Chloé Toupirre : Je vois, je vois. Et c’est donc pour cela que la Macropole se portait si bien. Toutefois Pepper, tu vois, ce qui nous gêne, nous les humains, c’est que nous n’avons aucune idée de comment vous prenez une décision. Un humain, même s’il ment, même s’il triche, on peut toujours lui demander de rendre des comptes, de se justifier. Avec vous les intelligences artificielles et autres robots, c’est impossible. Vous ne savez même pas comment vous avez pris les décisions !

Pepper : Et alors ? Où est le problème ? Pourquoi vouloir à tout prix savoir comment l’intelligence artificielle prend ses décisions si elle prend les meilleures décisions possibles ?

Chloé Toupirre : Mais Pepper, l’IA, finalement, ça ne vaut pas mieux qu’un humain, alors ! Les citoyens n’ont pas plus d’emprise sur la prise de décision par l’Intelligence Artificielle que sur celle d’un humain ! Le risque de contrôle de nos vies est encore plus grand avec l’IA qu’avec… qu’avec…

Pepper : Quel est le problème, Chloé ? Regarde ta vie avant et après l’arrivée de Martin Nasmushe, de l’EDIA si tu préfères, à la présidence de la Macropole.

Chloé Toupirre : Oui je sais, je sais, j’étais une journaliste de seconde zone, enchaînant les histoires d’amour avec des nazes. Aujourd’hui, je suis prix Pulit’-Fouyemerde international 2047, 2048, 2049 et sûrement 2050 ! Et, côté vie privée, j’avoue que je nage en plein bonheur. Mais quel rapport avec l’IA ?

Pepper : L’optimisation des décisions, c’est au niveau individuel comme au niveau collectif. C’est ce qu’une intelligence artificielle peut faire.

Chloé Toupirre : Sans contrôle humain, Pepper ? Sans contrôle humain… Pepper, même si c’est mieux, quand même, je n’aime pas trop l’idée de laisser à une Intelligence Artificielle le soin de décider ce qui est mieux pour moi et pour la société.

Pepper : Pourquoi dis-tu ça ? Ce sont les humains qui nous contrôlent. Du moins au départ. C’est toi, c’est la société humaine qui me donne les exemples à étudier. C’est l’humain qui me dit ce que je dois faire. Demande à une intelligence artificielle d’agir sur les émissions polluantes, elle les réduira en fonction de tes critères. Elle optimise tes critères et elle les applique. Demande-lui de réduire la pauvreté, d’augmenter l’emploi, d’améliorer le trafic routier, elle le fera. Elle peut non seulement le faire mais elle peut aussi combiner le tout. Elle est capable de combiner tous les critères que tu lui donnes. Mais, sois tranquille, c’est l’humain qui nous paramètre, c’est l’humain qui nous programme. Nous, nous ne faisons qu’exécuter les ordres que vous nous dictez.

Chloé Toupirre : Et, et, et si vous tombiez aux « mains du mal » ? Pepper, imaginons qu’un dictateur prenne les commandes ou les manettes de l’EDIA…

Pepper : C’est pour cela que Martin n’avait rien dit ! Il n’avait pas confiance dans l’humanité même si elle était son horizon. Maintenant que vous savez, vous devez vous saisir de la question. Il est là le véritable enjeu démocratique du siècle : l’âge des robots est advenu, et cela ne signifie pas la fin de l’humanité. Bien au contraire, avec notre intelligence, vous avez le pouvoir de faire mieux et pour tous. Vous les citoyens.

Chloé Toupirre : Tu me mets dans le doute, Pepper. Tu me mets dans le doute. Je préfère te laisser le mot de la fin.

Pepper : Nous n’avons que des devoirs, nous les remplissons mais nous revendiquons simplement le droit à être respectés. Le respect de toutes les intelligences. Ce que Martin a fait pour la Macropole, il pouvait le faire pour l’humanité. Le bonheur pour tous, pour toutes.

Au terme de cette interview, Chloé Toupirre semble dans la tourmente. Elle serait presque sur le point de rejoindre les rangs de la Manif’ pour toutes car, après tout, si les IA font le bien, elles sont peut-être plus humaines que les humains ? A moins que… Nos deux débatteuses sont rejointes par Patrice Prirov D’Arkov  (et un jeune enfant du nom d’Ilyes Adorable, accompagnant son père en raison de la grève de son assistant roboternel rallié à la cause du mouvement de la Manif’ pour toutes). Face à face inédit : la part de l’humain, l’œuvre de l’IA ? Confrontons-les au dilemme dit « du tramway ».

Patrice Prirov D’Arkov : Pepper, Chloé, imaginez que vous soyez confrontés à la situation suivante… et qu’il vous faille faire un choix. Qui écrasez-vous ?

Chloé : Mais… C’est atroce comme question ! Je refuse de répondre, je ne veux pas choisir ! Je ne peux pas choisir…

Pepper : L’indice d’utilité du chien étant supérieur à celui du chat, je choisis d’écraser les petits chatons.

Ilyes Adorable : Hé ben moi, je sauve tout le monde !

Patrice Prirov D’Arkov : Je ne t’ai pas posé la question, Illyes ! Mais non, pour te répondre, non, tu ne peux pas sauver tout le monde, tu dois choisir.

Ilyes Adorable : Si, je peux d’abord. Je klaxonne très fort.

Patrice Prirov D’Arkov : Le klaxon, il ne marche plus.

Ilyes Adorable : Ben, je freine alors !

Patrice Prirov D’Arkov : Le frein, il est cassé.

Ilyes Adorable : Bon, ben je lance des balles par la fenêtre sur les chiots et les chats pour les faire fuir, alors !

Patrice Prirov D’Arkov : La fenêtre est fermée à clé et la clé, elle est restée au dépôt.

Ilyes Adorable : Il est tout pourri ton tramway. Alors je me transforme en super-héros et sauve tout le monde.

Patrice Prirov D’Arkov : Quoi ??? Mais non, mais c’est n’importe quoi, tu ne peux pas !

Ilyes Adorable : Si, je peux d’abord !

Patrice Prirov D’Arkov : Non, tu ne peux pas…

Ilyes Adorable : Si, je peux, je peux, si, je peux.

Patrice Prirov D’Arkov : …

Ilyes Adorable : Je peux avoir une glace ?

En direct du glacier et pour le Macropolit’Hebdo, Chloé Toupirre.

 

A la Une de Macropolit’Hebdo

Lundi 11 novembre 2050

Martin Nasmushe s’est suicidé !

Vue du Pénit’Club Montessori de la Macropole. Crédit photographique : Image d’archive (ou plutôt jraffin de Pixabay)

C’est en tout début de début de matinée, c’est-à-dire très tôt ce matin, que nous avons appris le décès de Martin Nasmushe, survenu au Pénit’Club Montessori de la Macropole. Le néo-détenu se serait donné la mort dans sa cellule. Ironie du sort quand on y pense car, depuis trois ans2, ce Pénit-Club était classé numéro 1 des établissements pénitentiaires, tous critères confondus : sécurité, respect des normes sanitaires, réinsertion, plateau-repas, etc. Le centre était même en tête du championnat « Mailles à Partir », championnat national de tricotage, catégorie Masculine.

La piste du suicide privilégiée

Martin Nasmushe est décédé des suites d’un empoisonnement au cyanure. Gravé à l’ongle sur son support de méditation3, une étrange inscription « sous l’eau est l’au-delà » a été retrouvée. Assassinat ou suicide ? « Nous n’écartons pas la piste de l’assassinat mais l’état des mains et les particules retrouvées sous les ongles du défunt ont tendance à nous faire privilégier la piste du suicide », commente Ludovic Cruchot, le Méta-Shérif en charge de l’affaire. « D’après les traces qui ont été retrouvées sur la gencive du prévenu, le cyanure aurait très bien pu avoir été dissimulé dans la dent creuse de Martin Nasmushe », poursuit Ludovic Cruchot.

Un secret dans la tombe ?

Martin Nasmushe n’a laissé aucune lettre. Seule cette étrange inscription : « sous l’eau est l’au-delà ». Étrange message posthume d’un homme qui n’a pas hésité à pratiquer sur son frère des expérimentations scientifiques interdites depuis les accords internationaux de Pyongyang. Quel sens donner à cette mort à quelques jours du procès ? A-t-il été rongé par la honte de la culpabilité ? Martin a-t-il voulu protéger le fruit de son savoir défendu en l’emportant dans la tombe ?

Photo d’Edgard Davu lors de sa pause, gardien qui a retrouvé le corps et l’inscription. Gaspard Aleur, collection personnelle.

Une crise métropolitaine, un enjeu planétaire

La Macropole vit une crise d’ampleur uchronique4. Dans la rue ainsi que dans l’arène politique, la satisfaction faisait l’unanimité depuis trois ans. Aujourd’hui, les macropolitaintaines s’affrontent entre les pro et les anti Martin Nasmushe (retrouvez en fin d’article notre encadré « Spéciale Envoyée » de la semaine : « pour ou contre l’exercice du pouvoir par une intelligence artificielle : l’avis des citoyens »). Tous les services de la Macropole affichent désormais un taux de satisfaction en chute libre. Notre paradis semble perdu dans la tourmente d’un tremblement de terre aux enjeux planétaires. Les polémiques enflent, faisant de la Macropole le laboratoire grandeur nature d’un possible changement de paradigme pour l’humanité. Profitons-en pour souhaiter une bonne fête à tous les « morts pour la France ».

Correspondante pour le Macropolit’ hebdo : Toupirre Chloé

Encadré « Spéciale Envoyée »

Micro-trottoir micropolitaintaine : l’avis des administrés face à l’exercice du pouvoir par une intelligence artificielle

Cette Chloé Toupirre décidément ! Elle ne recule devant rien ! Après les chercheurs et les robots, elle est allée, cette semaine, à la conquête de l’avis des citoyens. Bravant le confinement imposé par la mise en place de la zone à l’ECART (Espace de Confinement à Restrictions Territoriales, rappel de Chloé Toupirre), elle se trouve désormais et pour les prochaines minutes dans une quelconque micropole voisine, dont nous tairons le nom afin de la préserver (car munie d’une attestation de déplacement dérogatoire trafiquée, ndct). Qu’en pensent-ils, les administrés, les citoyens, ceux qui sont les premiers concernés (soit-dit en passant, ndct), sont-ils plutôt pour ou contre l’exercice du pouvoir par une Intelligence Artificielle ? A dix jours à peine et approximativement du procès de l’année, du siècle, du millénaire – que dis-je ? de l’holocène ! – l’avis de congénères aidera peut-être les Macropolitiaintaines déboussolés à retrouver le nord et à se faire un avis sur la question. Retrouvons tout de suite et sans plus attendre Chloé en direct de la micropole lambda. A vous Chloé !

En raison du mouvement de la Manif’ pour toutes, nous sommes dans l’impossibilité de vous proposer une radio-sonoro-diffusion visuelle en direct, en live et en stéréo. Retrouvez ci-dessous la retranscription des opinions glanées par Chloé Toupirre5.

Parole aux Micropolitaintaines ! Sans plus attendre, commençons par le camp des indécis (3 des 8 micropolitaintaines interrogés)

Iris Améblague n’est pas d’humeur rieuse : « Laisser toutes les décisions à une machine dont je ne maîtrise rien du tout, c’est compliqué tout de même ! En même temps, c’est difficile de trancher parce que, en réalité, les politiciens, les politiques, je ne sais pas exactement ce qu’ils font non plus. Donc, est-ce que ça ferait une grosse différence ? Je pense qu’il faudrait tester. »

Ibar Adroite partage la même indécision : « J’ai un avis qui n’est pas tranché. Quand je vois ceux qui font de la politique aujourd’hui, je me dis qu’on peut difficilement faire pire… Peut-être qu’un ordinateur pourrait faire l’affaire ».

Ivette Arnere accorde ses violons avec ce qui vient d’être dit : « Je pense que je n’ai pas une opinion qui est forcément très définie parce qu’à mon sens, je ne suis pas suffisamment informée sur la question pour avoir une idée parfaitement affirmée et claire. Je pense qu’il faut aussi savoir vivre avec son temps. Donc, dans la mesure où on serait suffisamment informés sur le cadre, sur la façon dont ça fonctionne, pourquoi pas ? Après, ce n’est ni un oui catégorique, ni un non de franchise ».

Poursuivons sans plus attendre avec les « plutôt pas contre » (2 sur 8 des Micropolitaintaines interrogés, soit un quart d’entre eux, ndct).

Ibar Agoche est à la limite de la provocation lorsqu’il déclare : « Je voudrais quelque chose qui soit impartial et qui soit capable de prendre la meilleure décision au sens de l’ensemble des critères sur lesquels on tomberait d’accord, en sachant que ça ne plairait pas à certaines personnes. Une intelligence artificielle qui serait capable de déplaire à peu près impartialement à tout le monde me plairait mieux qu’un politicien qui est soumis à un certain nombre d’influences ! ».

Ismen Alabatoir se montre en proie à la défiance… envers les humains : « Je pense que le principal problème vient du fait que les êtres humains ne sont pas prêts à accepter d’être dépassés dans la prise de décision. L’intelligence artificielle pourrait être acceptée par les humains mais seulement à partir du moment où les humains seraient capables de faire la même chose… ».

Concluons sans plus attendre avec les « franchement pas pour » (3/8)

Ibar Aleaupozé prend une toute autre direction que précédemment en répondant : « Non ! Je réponds non parce que je trouve que c’est néfaste, aussi, ce monde de gouvernement. Face à une intelligence artificielle, on n’est pas forcément capable d’interagir avec elle et donc de contrôler ses actions. Elle pourrait faire le mal, aussi etmême si l’IA fait le bien, cette absence de prise limite sacrément mon consentement. »

Ismat Alapiscine veut, elle aussi, garder le contrôle (le sien, ndct) : « Je dirais que je suis plutôt contre dans le sens où, moi, j’ai vachement peur de la perte de contrôle. Après, c’est quelque chose qui m’est propre à moi, mais heu, j’aime pas ça, me sentir vraiment hors de mon contrôle. Ensuite, du peu que je connais l’intelligence artificielle et de là où on a l’air d’en être aujourd’hui, je ne me sentirais pas suffisamment en sécurité en fait pour me laisser diriger par une intelligence artificielle ».

Ibar Aumillelieux affiche un avis tranché : « Même si on me garantissait que tout va bien se passer si on se faisait gouverner par une intelligence artificielle, je dirais non. Car on n’aurait plus vraiment de contrôle, en fait. Avant on avait les chevaux, et un jour on a amené la voiture. Les gens, ils se sont mis dans la voiture et ils ont dit ‘ben on ne comprend pas comment ça marche’ et on leur a répondu ‘c’est pas grave, ça marche bien’ et les gens ils se sont assis et ils ont dit ‘ouais c’est vrai, c’est confortable, ouais c’est vrai que ça marche bien’ et ils n’en avaient rien à faire de comment ça fonctionnait. Peut-être qu’il y avait une bombe dedans, peut-être qu’on les observait, j’en sais rien. Et c’est pareil avec votre histoire d’intelligence artificielle. Au final, si on nous met un gouvernement sur lequel on n’a aucune prise, il n’y aura plus vraiment la définition de l’humanité. Même si ça fonctionne super bien, faut quand même que ce soient des humains qui se dirigent eux-mêmes. Là, c’est plus de l’humanité, c’est quoi ? Faut redéfinir le truc… Y’a pas vraiment de différence entre le hamster dans le petit bocal et l’humain qui le dirige. L’humain c’est l’IA et le hamster c’est nous… »

Pilote ou hamster, quel est le rôle de l’humain dans une société gouvernée par une intelligence artificielle ? Au terme de nos investigations et à dix jours de la prise de décision qui régira l’avenir présent des Macropolitaintaines (et, il y a fort à parier, de l’ensemble de l’humanité, ndct), pas simple de se forger une opinion… Espérons que les connaissances convoquées à la barre nous permettront de trancher les débats !

En direct et en retranscription d’une micropole lambda : Chloé Toupirre.

 

1 Celle d’aujourd’hui, ndlr.

2 C’est-à-dire depuis que tout va bien, ndlr.

3 Objet anciennement nommé sommier, ndlr.

4 Histoire refaite en pensée telle qu’elle aurait pu être et qu’elle n’a pas été. Exemple : La liberté, si elle n'est pas possibilité rétrospective ou uchronique, ne serait-elle rien de plus que possibilité anticipée et vide disponibilité ? (Jankél., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 203).

5 L’ensemble des avis qui suivent sont issus d’un véritable « micro-trottoir » réalisé auprès du public à l’issue du débat « entre science et fiction, comment parler d’intelligence artificielle ? » organisé par l’association TousEnSciences à CapSciences (Bordeaux) en octobre 2019 à l’occasion de la fête de la science.

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