- le  
Metalya entre les mondes - Les secrets d'écriture de Patrick Moran
Commenter

Metalya entre les mondes - Les secrets d'écriture de Patrick Moran

Avec Metalya entre les mondes, aux éditions Mnémos, Patrick Moran vous propose une enquête pleine de suspense et d'action entre Jessica Jones et Miami Vice.
A l'occasion de sa sortie, l'auteur revient sur l'écriture de ce nouveau roman.

Actusf : Metalya entre les mondes, votre nouveau roman sort prochainement aux éditions Mnémos. Comment celui-ci est-il né ?

Patrick Moran : Metalya entre les mondes est né de mon amour des polars californiens des années 20 à 40. Adolescent, ma connaissance du genre policier se limitait à Arthur Conan Doyle et Agatha Christie, dont les intrigues sont conçues comme des problèmes logiques – très propres et rationnelles. Quand j’ai découvert le style hard-boiled d’auteurs américains comme Dashiell Hammett, Raymond Chandler ou Dorothy B. Hughes, j’ai été séduit par l’allure désordonnée de leurs romans, la façon dont leurs histoires plongent dans un monde chaotique et sale où l’enquêteur essaye d’abord de survivre, éventuellement de payer ses factures, et loin derrière, de découvrir la vérité (en espérant ne pas y laisser sa peau).

En même temps, ce qui m’intéressait avec ce roman, c’était d’imaginer à quoi ressemblerait un univers de fantasy s’il évoluait jusqu’à l’époque moderne. La cité de Tal Emmerak, qui sert de cadre à Metalya entre les mondes, a déjà été introduite Les Six Cauchemars, mon roman précédent ; mais c’est désormais une métropole ultra-moderne, hérissée de gratte-ciels, parcourue d’autoroutes, et dont le rivage attire les vacanciers plutôt que les galions. Dans un monde comme celui-là, est-ce que la magie, la science moderne et la science-fiction ne vont pas finir par se ressembler ? Je voulais qu’on ne sache jamais très bien, en lisant Metalya entre les mondes, dans quel genre de l’imaginaire on se situe.

Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur son intrigue ?

Patrick Moran : Metalya Kloprok, l’héroïne, est une sorte de détective privée dans une grande ville où la police publique n’existe pas ; elle enchaîne les contrats pour gagner sa vie et passe le reste de son temps à se la couler douce. Hélas, sa tranquillité est brisée lorsqu’un client éploré vient lui demander d’enquêter sur la mort de sa femme, qui semble avoir été assassinée. En acceptant ce contrat, Metalya ne se rend pas compte qu’elle met le doigt dans un engrenage qui va la confronter aux pires aspects du marigot urbain qu’est Tal Emmerak : parrains de la pègre, sectes new age aux intentions douteuses, instituts scientifiques sans scrupules, politiciens véreux, et j’en passe. Sans compter un poulpe qui parle.

Actusf : Comment avez-vous créé votre héroïne, la pacificatrice Metalya ? On pense plus à une tueuse à gage qu’à une enquêtrice avec cet intitulé de poste !

Patrick Moran : Les pacificateurs, ce sont les « policiers » d’une ville qui ne croit pas au service public. À Tal Emmerak, il n’y a pas de force de police, pas de pompiers, pas d’université non plus – seulement des individus privés ou des entreprises qui offrent leurs services au plus offrant et ne se soucient guère du bien commun. Metalya travaille à son compte et ressemble donc à ce qu’on appellerait un détective privé dans notre monde, mais elle est en concurrence permanente avec de grosses agences sans scrupules qui disposent de moyens exorbitants.

Le système des pacificateurs m’a permis d’avoir les coudées franches avec les aventures de Metalya. Dans le monde réel, on n’irait pas voir un détective privé pour une affaire de meurtre, c’est la police qui prendrait le contrôle de l’enquête. Mais je n’avais pas envie que Metalya soit une policière – je voulais qu’elle soit une petite souris dans une grosse machine, qu’elle garde sa liberté d’action et sa liberté morale. Une ville sans police, où les tâches d’investigation et de maintien de l’ordre sont déterminées par les lois du marché, cela me permettait à la fois de donner de la souplesse à mon héroïne et de dépeindre un monde corrompu par un capitalisme sans frein.

Actusf : Après La Crécerelle, Metalya a l’air plus fréquentable. Mais si l’univers a l’air plus proche du nôtre, la magie est également présente. Comment l’avez-vous imaginée ?

Patrick Moran : Oui, Metalya est une héroïne plus traditionnellement « gentille » que la Crécerelle, même si elle conserve des zones d’ombre et des aspérités imprévues. Quitte à changer de cadre, de type d’histoire et de protagoniste, autant vraiment changer ! Dans un sens, Metalya, c’est la personne que je voudrais être – elle combine une capacité à la paresse avec un sens du devoir moral que je trouve tous les deux admirables.

Le mot de magie dans Metalya entre les mondes décrit un état d’esprit archaïque : dans le lointain passé – à l’époque des romans de la Crécerelle, si l’on veut – on croyait à la magie, mais aujourd’hui, on lui trouve de nouveaux noms, comme celui d’énergie noogénique, qui est en vogue à Tal Emmerak. Et ce nouveau nom induit d’autres comportements : c’est une énergie qu’on étudie de manière scientifique, en laboratoire, loin des superstitions et du folklore d’antan. La manifestation la plus directe de la magie pour quelqu’un comme Metalya, ce sont les éclats, de petits objets à usage unique qui permettent de produire un effet « magique » spectaculaire, comme léviter, se téléporter, rendre invisible, et ainsi de suite. Metalya utilise les éclats lors de ses contrats pour se faciliter la tâche ; mais à la différence de la Crécerelle, qui était une spécialiste de la magie et une redoutable érudite, Metalya ne s’intéresse absolument pas au savoir magique – ce qui l’intéresse, c’est ce qui va lui rendre son travail plus facile.

Actusf : Après la dark fantasy de La Crécerelle, vous touchez à un autre genre en vous rapprochant du polar. Est-ce difficile de changer de registre ?

Patrick Moran : Le fonctionnement d’un polar, c’est la progression d’un personnage vers une vérité ; chaque épisode fait avancer cette progression ou la contrarie. Ce qui est amusant, ensuite, c’est de rendre les épisodes les plus touffus et les plus mouvementés possibles pour qu’on ne distingue plus très bien ce qui va faire avancer les choses ou pas ; dans Metalya entre les mondes, Metalya trébuche, se fourvoie, déboule de scène en scène sans trop savoir ce qui se passe. Je me suis beaucoup amusé. Dans La Crécerelle et Les Six Cauchemars, en revanche, l’héroïne savait exactement quel résultait elle voulait : se débarrasser de l’entité de l’outremonde dans le premier, éliminer ses anciens collègues dans le second. Le processus d’écriture est forcément un peu différent dans ce cas-là.

Au-delà de ça, le changement le plus notable, c’est le ton : Metalya entre les mondes n’est pas un roman comique, mais c’est un roman rigolo. Au départ, je pensais que ce serait plus facile à écrire que les aventures de la Crécerelle, parce que conserver une ambiance sombre et torturée sur 250-300 pages, c’est difficile. Mais j’ai rapidement découvert que maintenir un ton chaotique-ironique sur la même longueur sans tomber dans la loufoquerie d’un côté ou le cynisme de l’autre, ce n’est simple non plus. Il faut bien se trouver des défis.

Actusf : Quelles ont été vos sources d’inspiration pour Metalya entre les mondes?
Aviez-vous envie d’aborder des sujets en particulier ? De faire des clins d’oeil à certaines choses/oeuvres ?

Patrick Moran : L’inspiration la plus évidente de Metalya entre les mondes, ce sont des romans comme Le Faucon Maltais de Dashiell Hammett ou Le Grand Sommeil de Raymond Chandler, les grands classiques du polar californien de l’entre-deux-guerres. Mais j’ai aussi été très influencé par les réinterprétations absurdistes du genre qui ont fleuri dans les dernières décennies, comme The Big Lebowski des frères Coen ou Vice caché de Thomas Pynchon (sans compter l’adaptation cinéma de ce dernier par Paul Thomas Anderson). Et puis, bizarrement ou pas, on est parfois presque plus influencé par des œuvres un peu ratées, des échecs relatifs : dans ce genre, la saison 2 de True Detective m’a pas mal démangé le cerveau.

Côté musique, j’ai écrit ce roman en écoutant une bande-son précise – c’est la première fois que je travaille à partir de musiques aussi spécifiques. Je me suis plongé dans des ambiances chillwave/vaporwave/synthwave, avec des artistes comme Washed Out, Macintosh Plus, Ace Marino ou Jasper Byrne, pour susciter une atmosphère de palmiers et de plages urbaines sur fond de soleil couchant rose fluo. Par coïncidence cosmique, j’ai découvert le groupe Magdalena Bay seulement après avoir terminé le roman, mais leur album Mercurial World constitue presque la bande-son idéale pour Metalya entre les mondes

Actusf : Sur quoi travaillez-vous désormais ?

Patrick Moran : J’ai passé les derniers mois sur une intégrale pour Mnémos, qui devrait être annoncée prochainement, et qui incluait à la fois du travail éditorial et de la traduction – un travail extrêmement intéressant, qui m’a beaucoup appris sur ma propre écriture.

Sinon, mon projet actuel est un roman en anglais, situé à Vancouver, où je vis depuis quatre ans. J’espère en venir à bout d’ici la fin de l’année ! Et j’ai une idée assez détaillée de la prochaine aventure de la Crécerelle, ainsi que de la prochaine enquête de Metalya. Le moment venu, je trouverai une méthode sophistiquée pour décider laquelle écrire en premier – un jet de pile ou face, peut-être ?

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?