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Obsolètes - Les secrets d'écriture d'Alexis Marzocco
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Obsolètes - Les secrets d'écriture d'Alexis Marzocco

A l'occasion de la sortie cette année d'Obsolètes, aux éditions L'Alchimiste, Alexis Marzocco revient sur l’écriture de ce premier roman d'anticipation.

Actusf : Comment est née l’idée de ce roman ?

Alexis Marzocco : Pour être honnête, ce roman est né de façon assez chaotique ! Je savais que je voulais écrire une histoire de science-fiction liée à l’intelligence artificielle et au climat, mais n’avais aucun scénario précis en tête. Mon idée première était de créer un récit court, humoristique, dont le lecteur pourrait influencer le déroulement à la manière d’un livre interactif. Comme vous avez pu le constater, le rendu final est très différent !

Il s’agissait de mon premier roman donc je n’avais pas encore de méthode de travail. Ce n’est qu’en écrivant le premier chapitre que j’ai pu comprendre mon besoin d’élaborer une trame, d’effectuer des recherches et de bien planifier le récit avant de me plonger dans la création proprement dite. J’ai abandonné mon idée d’interactivité et me suis mis à lire des centaines d’articles sur les thématiques que je souhaitais aborder, ce qui m’a peu à peu donné de nombreuses pistes. Ensuite, il y a eu le déclic avec le concept de la double temporalité. C’est à partir de là que j’ai pu construire l’univers, les personnages et le scénario, en peaufinant les choses au fil de l’écriture.


Actusf : On se retrouve à Paris en 2050. Est-ce que ça a été facile d’imaginer le futur de la ville et du monde avec le réchauffement climatique ?

Alexis Marzocco : Je ne dirais pas que ça a été facile, mais placer le réchauffement climatique au cœur des enjeux s’est imposé comme une évidence. L’avenir de notre planète est l’un des questionnements majeurs du 21e siècle, qui touche à notre survie même. C’est donc naturellement autour de cet axe que j’ai imaginé le monde de 2050, mettant en avant des cataclysmes qui, scientifiquement parlant, pourraient tout à fait se produire. J’ai volontairement opté pour l’un des scénarios les plus extrêmes (la perspective d’une extinction massive) afin de justifier le recours à des technologies tout aussi extrêmes. Et j’ai choisi l’année 2050, car elle est souvent présentée comme une date charnière pour le climat, parfois même décrite comme un point de non-retour dans les pires projections. Il me fallait aussi une époque suffisamment proche de la nôtre pour que le lecteur s’identifie aux personnages, mais assez éloignée pour imaginer des technologies avancées.

L’autre facette de cette société concerne justement son évolution sur le plan technologique. Il me paraissait très intéressant de créer un contraste entre une planète mourante et une civilisation à la pointe du progrès. Cela permet de faire apparaître une humanité qui maîtrise de mieux en mieux son environnement, mais qui, paradoxalement, devient dépendante de la machine. Je voulais également mettre en scène des humains conscients de leurs défauts et de leurs faiblesses, raison pour laquelle ils décident de confier leur avenir à une IA censée être plus objective et moins sentimentale. Cette décision est un aveu d’échec pour l’humanité, qui traduit sans doute mes propres craintes sur notre incapacité à gérer les défis du réchauffement climatique...

Actusf : Même question pour Genève en 2123, même si les choses sont un peu différentes... apaisées en apparence...

Alexis Marzocco : La construction de la deuxième époque était très différente, car je me suis projeté beaucoup plus loin dans le temps. Il fallait que je parvienne à bien me démarquer de l’époque 2050 pour éviter toute confusion entre les deux récits. Et ici, la difficulté venait du fait que j’avais peu de documentation. Je me suis donc tourné vers la fiction pour trouver des sources d’inspiration, et notamment dans ma passion pour le cinéma et les jeux vidéo.

Étant fan d’œuvres dystopiques telles que Blade Runner ou Deus Ex, j’ai voulu rendre hommage à ce pan cyberpunk de l’anticipation en imaginant une société respectant les codes de ce type d’univers (mégacorporations, augmentations cybernétiques, robots, etc.). Je me suis demandé ce qui se passerait si des implants permettaient aux humains de devenir plus intelligents et performants, et ai supposé que cela viendrait creuser les inégalités entre les classes sociales, d’où un fort clivage au sein même de « Genava ». J’ai aussi tenté de diviser les grandes évolutions technologiques entre trois principales corporations : la justice prédictive pour Cronos, le transhumanisme et la réalité augmentée pour NewLife, et l’intelligence artificielle chez Heaven Robotiks. Cette répartition m’a aidé à poser les bases de cette société et à imaginer un récit mêlant ces différents acteurs.

Mais surtout, j’ai souhaité intégrer une certaine mélancolie ambiante, une forme de solitude et de détresse existentielle liée à la déshumanisation engendrée par la technologie. De mon point de vue, la paix mondiale et la survie de la planète devaient avoir un prix, car les humains avaient choisi de confier leur vie à des machines, et ce dans tous les domaines. Un tel sacrifice ne pouvait rester sans conséquence.

Actusf : Qui sont Henry Zundel et Kiara D’Isanto ? Quels sont vos liens avec eux en tant qu’auteur ?

Alexis Marzocco : Ces deux personnages représentent chacun une petite partie de moi-même.

Henry est un homme plutôt intellectuel, pas du tout manuel, qui a su gravir les échelons et s’adapter aux règles d’une société très exigeante pour gagner sa place. Il est loin d’être un héros et n’est certainement pas un homme d’action, mais possède tout de même un regard critique sur ce qui l’entoure. Son métier rattaché à la justice prédictive est très lié à mon propre parcours puisque j’ai fait des études en Droit pénal et travaille dans le milieu judiciaire. Je dirais qu’il me ressemble aussi pour son côté solitaire, prudent et réfléchi.

À première vue, Kiara est assez différente. C’est un personnage révolté par son époque, qui se donne une apparence de femme forte pour cacher ses démons. Parmi eux, ses douleurs fantômes sont directement inspirées de mes propres douleurs puisque je souffre de céphalées de tension parfois très handicapantes. Elle incarne aussi en partie ma vision des choses dans la mesure où elle tente de rester humaine dans son rapport à la technologie. Et puis, il y a son nom, « D’Isanto », qui vient rappeler mes origines italiennes.

J’ajouterais que l’un comme l’autre sont célibataires, ce qui est également mon cas. À bon entendeur...

Actusf : La technologie est assez présente dans votre roman, que ce soit en 2050 ou en 2123 avec les intelligences artificielles et les robots. Quel est votre rapport à la technologie ?

Alexis Marzocco : Je suis très partagé vis-à-vis de la technologie. Comme beaucoup, je pense que j’en suis accro puisque je passe beaucoup de temps devant mon ordinateur, principalement pour écrire, regarder des films ou jouer à des jeux vidéo. Inversement, je me désole de voir des gens plongés dans leurs téléphones portables alors qu’ils pourraient lire un livre ou discuter, notamment dans les transports en commun.

De façon plus générale, je suis à la fois fasciné par les évolutions scientifiques et inquiet de ce qu’elles pourraient engendrer. Je pense que la technologie est utile à l’humanité, mais qu’il faut apprendre à se servir d’elle sans en devenir l’esclave. J’ai moi-même de nombreux fantasmes liés, par exemple, à l’immortalité, au voyage spatial qui m’a toujours fait rêver ou aux intelligences artificielles, mais je crois aussi que la technologie n’est pas forcément la réponse à tous nos problèmes. Si des robots devaient un jour faire disparaître certains emplois, par exemple, il faudrait idéalement que ce soit pour permettre à l’homme de s’épanouir et non pour générer plus de bénéfices.

En somme, je pense que la technologie n’est ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de l’usage qui en est fait et des raisons qui nous poussent à l’utiliser.

Actusf : Passé, présent et futur s’entremêlent. Comment avez-vous composé votre roman ?

Alexis Marzocco : Cela n’a pas été une mince affaire. Il devait y avoir une vraie cohérence entre les deux époques, les âges et les dates de naissance des personnages, mais aussi un lien permettant de fusionner les récits. À première vue, miser sur deux histoires totalement indépendantes l’une de l’autre était risqué. Je ne voulais surtout pas perdre le lecteur. D’un autre côté, instaurer une alternance entre 2050 et 2123 m’a permis de créer un rythme plus soutenu et du suspense. C’était même plus agréable à écrire, car je n’avais moi-même jamais le temps de m’ennuyer !

Sur le plan narratif, j’ai pris beaucoup de plaisir à imaginer comment connecter les deux époques. J’ai su très vite comment conclure mon histoire, mais j’ignorais comment amener mes personnages jusque là. J’étais face à un gigantesque puzzle, une équation contenant des dizaines d’inconnues que je devais absolument résoudre. Il a fallu que je tourne plusieurs fois le scénario dans tous les sens, que j’envisage toutes les possibilités afin que les événements s’imbriquent correctement. J’ai beaucoup discuté avec mes proches pour avoir un regard extérieur, ce qui m’a aidé à débloquer pas mal de situations et à remettre en question la crédibilité de certains passages.

Pour conclure, je dirais que la satisfaction ressentie en résolvant ce casse-tête était à la hauteur du défi. Je n’ai pas crié « Eurêka » comme Archimède en son temps, mais c’était tout comme !

Actusf : Quelles étaient vos envies ? Vous vouliez que les lecteurs et lectrices se posent des questions sur des sujets comme le réchauffement ?

Alexis Marzocco : Ma principale envie était d’exprimer ma passion pour les récits de science-fiction à travers une histoire divertissante, recherchée sur le plan scientifique et faisant réfléchir le lecteur. Bien sûr, la question du réchauffement climatique me tient à cœur, car j’aime profondément notre planète et sa diversité, et m’insurge de voir le comportement destructeur de l’Homme à cet égard. J’aimerais parfois que nous soyons capables de raisonner en tant qu’espèce plutôt qu’en tant qu’individus, ce qui n’est pas vraiment dans notre nature. Mais je voulais aussi poser des questions plus profondes sur la recherche du bonheur et le sens de la réalité. Une intelligence artificielle est-elle réelle dès lors qu’elle est convaincue d’exister ? La vie d’un être fait de chair et de sang a-t-elle plus de sens que celle d’un être virtuel dès lors que la technologie vient brouiller toutes les frontières ?

Au-delà de ces questionnements, l’un de mes objectifs était de proposer une narration haletante et à suspense, avec beaucoup de dialogues et pas trop de descriptions pour essayer de créer un rythme dynamique. Je voulais que cette histoire soit écrite comme un thriller, avec son lot d’énigmes et de rebondissements. Et il me paraissait aussi important de ne pas trop prendre le lecteur par la main. Sans tomber dans de la hard SF, j’ai tenté de développer certains points scientifiques en m’appuyant sur des recherches parfois poussées, afin de rendre mon univers crédible malgré quelques passages plus « hollywoodiens ».

Actusf : Quels sont maintenant vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?

Alexis Marzocco : Après l’écriture d’Obsolètes, j’ai travaillé pendant près d’un an comme enquêteur de personnalité à Paris, un métier insolite consistant à établir la biographie de personnes mises en examen et suspectées d’avoir commis les pires infractions possibles. Il y avait tant à dire sur ce métier que j’ai décidé d’écrire une autofiction de type feel good afin de partager ce que j’ai vécu de façon humoristique. Ce roman n’est pas encore publié, mais le premier jet est terminé depuis quelque temps et les retours de mes bêta-lecteurs sont déjà très encourageants !

Je travaille également sur mon prochain roman d’anticipation, qui abordera le thème des OVNIS et s’inscrira dans une certaine continuité par rapport à Obsolètes. Ce récit pourra se lire indépendamment du précédent, mais se déroulera dans le même univers, aux alentours de l’année 2035. Je ne veux pas trop en dire, mais l’histoire tournera autour d’un journaliste d’investigation et de sa sœur jumelle qui, de retour dans leur région natale, enquêteront sur l’inexplicable disparition de leur grand-père, survenue des années plus tôt. On pourrait dire qu’après m’être penché sur les dangers menaçant notre belle planète, j’ai cette fois eu envie de lever les yeux vers les étoiles...

Propos recueillis par Jérôme Vincent

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