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Régis Goddyn nous parle de L'Ensorceleur des Choses Menues
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Régis Goddyn nous parle de L'Ensorceleur des Choses Menues

A l'occasion de la parution le 21 février de L'Ensorceleur des Choses Menues de Régis Goddyn aux éditions L'Atalante, l'auteur revient sur l'écriture de ce nouveau roman.

Actusf : L'Ensorceleur des Choses Menues doit paraître prochainement aux éditions L’Atalante. Quelle a été l’idée à l’origine de ce roman ?

Régis Goddyn : Il y a deux sources identifiables. La première est liée au contexte. Je sortais de l’écriture du Sang des 7 Rois, avec cinq années de travail autour de cette histoire-là. Vous pouvez imaginer que j’en étais un peu imprégné... Si bien que je craignais, en écrivant à nouveau de la fantasy ou de la SF, de réécrire à mon insu le même livre. Je me suis ainsi fixé des contraintes qui rendaient cela impossible.
Le fil narratif unique, l’absence d’un certain nombre d’éléments clés des récits de fantasy, l’âge du personnage principal, pas de héros, pas d’anti-héros, juste un non-héros... Je suis entré en cuisine avec des ingrédients qui rendaient le remake impossible. Tout ça s’est avéré stimulant.

"On s’appuie sur trois pieds pour être stable, mais l’humanité repose sur trois fissures : celles du corps, du temps et de l’espace. C’est sur ce paradoxe que s’est élaborée l’Ensorceleur des Choses Menues."

L’autre source d’inspiration vient d’une discussion avec deux traductrices lors des Imaginales, il y a quelques années. Elles me disaient la difficulté de vivre en tant que jeunes femmes dans un monde masculin oppressant ; les sifflets, les propositions malvenues, les regards appuyés, les coups de klaxon, le jugement... Cela m’a peiné de me rendre compte que si les femmes foulent le même sol que les hommes, elles ne traversent pas le même monde. L’idée de cette faille entre nous en a appelé d’autres : le fossé de l’âge, la lutte des classes. On s’appuie sur trois pieds pour être stable, mais l’humanité repose sur trois fissures : celles du corps, du temps et de l’espace. C’est sur ce paradoxe que s’est élaborée l’Ensorceleur des Choses Menues.

Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur son intrigue ?

Régis Goddyn : Un mage ensorceleur des choses menues à la retraite va s’engager dans un voyage un peu malgré lui, et va tenter de régler ses comptes avec sa propre vie. Il s’agit d’une quête et d’un voyage qui mènera Barnabéüs à découvrir les dessous d’un monde qu’il pensait connaître.

Actusf : Cette fois-ci, votre héros, Barnabéüs, n’est pas de prime jeunesse. Pouvez-vous nous parler de lui ?

Régis Goddyn : Barnabéüs est à la fois le produit de la société à laquelle il appartient et d’un malentendu initial qui l’a privé du statut auquel il pensait pouvoir prétendre. Légaliste au plus profonde lui-même, il ne peut pourtant se défaire de son éducation ni des règles de sa caste d’accueil. Barnabéüs n’est pas un homme qui rate, c’est juste un homme qui accepte alors qu’il devrait se révolter. Au crépuscule de sa vie, il s’engage dans une direction inattendue, mais cela ne change pas fondamentalement l’homme qu’il est. En cela, je le trouve à la fois pathétique et touchant.

Actusf : Dans ce roman la magie est omniprésente, mais même si nous sommes dans un univers de fantasy, les épées et les chevaux en sont absents. C’était quelque chose que vous aviez envie de faire depuis longtemps ? Dans quel but ?

"La surface du livre, en tant qu’objet palpable, est une mise en abîme des barrières de classe que je mets en scène dans le texte."

Régis Goddyn : C’est un monde de magie, bien entendu, mais une magie très différente de celle du Sang des 7 rois. Elle est faite de formules, mais contrairement à d’autres récits de fantasy, nous ne les entendons pas. Elles se chuchotent de bouche à oreille, sous nos yeux. Le lecteur est donc exclu de cette magie, en conformité avec le système social de cet univers cloisonné. Le lecteur constitue donc la quatrième caste de ce livre, celle des spectateurs qui n’ont aucune prise sur l’histoire. La surface du livre, en tant qu’objet palpable, est une mise en abîme des barrières de classe que je mets en scène dans le texte.

Plus avant, la magie renvoie à ce que chacun peut, sait et doit faire. La caste des mages soigne et dit le droit, la caste intermédiaire correspond un peu aux guildes du moyen-âge, ce sont des artisans. Quant au peuple, il n’est que le décor d’une partition qui se joue sur lui et sans lui. C’est un système de magie qui se superpose à l’argent et aux catégories socio-professionnelle.

L’élision de deux éléments clé du roman de fantasy épique, l’épée et le cheval, n’a pas été seulement le moyen de m’éloigner du Sang des 7 Rois. Une fois le décor mis en place, il faut lui donner du sens, et comprendre pourquoi, dans ce monde, il n’y a ni équidés ni épées. Cela implique, par exemple, un relief qui ne favorise pas l’émergence des équidés ni le développement d’un système de domination basé sur la guerre. J’ai imaginé ce monde lors d’un voyage en famille autour des grands lacs italiens. Le relief, l’eau, l’isolement, les difficultés pour passer d’une vallée à l’autre… Il est passionnant de voir comment l’observation d’un lieu peut inspirer des contraintes, et comment les changement induits peuvent construire un univers.

Actusf : Ce nouveau roman vous a-t-il permis d’aborder des sujets qui vous tiennent à cœur et que vous n’aviez pas encore eu l’occasion de traiter ?

"Dans L’Ensorceleur des Choses Menues, je souhaitais entrer en profondeur dans l’intériorité d’un personnage, en comprendre le mode de fonctionnement."

Régis Goddyn : Oui, tout à fait. La question du vieillissement, en l’occurrence, est assez nouvelle. Je l’avais un peu esquissé avec Léo dans le Sang des 7 Rois, mais sans aborder la barrière de l’âge et de la séduction. Le Sang des 7 Rois est un assez gros livre, mais il met en scène de multiples personnages que l’on croise au fil des pages. Dans L’Ensorceleur des Choses Menues, je souhaitais entrer en profondeur dans l’intériorité d’un personnage, en comprendre le mode de fonctionnement. J’ai également travaillé la question de l’égoïsme, un travers humain qui m’intrigue toujours.

Actusf : Peut-on voir L'Ensorceleur des Choses Menues comme une critique de notre société actuelle ?

"En fait, mes romans sont des transpositions de ma vision du monde contemporain. C’est réussi lorsque personne ne le voit."

Régis Goddyn : Naturellement. Le Sang des 7 Rois également. Ce sont des livres d’aventures très différents l’un de l’autre, mais dont la lecture est à plusieurs niveaux. Le Sang des 7 Rois aborde la question de la place des femmes dans la société, de leur relation complexe à la réussite. Mais aussi de la cruauté, de l’indifférence, du droit et de la raison, de la liberté, de la folie, de la religion, du libéralisme économique, des communautés et des règles qui les font tenir, de la différence. Je ne vous donne qu’un seul exemple : entre l’île du Goulet, à l’est, au fonctionnement collectiviste, et le monde ultralibéral des pirates à l’est, nous étions dans une métaphore romancée de la guerre froide que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire. Lorsque le marquis de Valade s’enfuit et se réfugie dans l’archipel, il ne fait que rejoindre un paradis fiscal dans lequel il garde ses richesses à l’abri et depuis lequel il va poursuivre impunément ses activités. Il s’agit d’une transposition de l’évasion fiscale dans un univers de fantasy. Je fais juste un pas de côté, et j’invite les lecteurs à le faire avec moi. En fait, mes romans sont des transpositions de ma vision du monde contemporain. C’est réussi lorsque personne ne le voit.

Actusf : Après, la saga du Sang des 7 Rois, était-ce plus simple d’écrire un one-shot ? Les difficultés d’écriture sont-elles différentes ? Pourquoi ?

Régis Goddyn : Non, ce n’était pas simple du tout. J’ai d’ailleurs travaillé ce texte deux années, alors que chaque tome du Sang des 7 Rois ne me demandait que six à huit mois. Le volume moins important vient essentiellement du fait qu’il n’y a qu’un seul fil narratif. Lorsque vous en avez dix, chacun d’eux possède sa propre richesse, et leurs croisements génèrent des tensions qui donnent matière à littérature.

L’Ensorceleur des Choses Menues se concentre sur l’existence d’un seul individu, et ce choix engendre souvent un texte plus court. Mais je ne me suis à aucun moment posé la question de savoir si ce livre serait un one shot ou pas. À vrai dire, ce n’est pas vraiment un problème d’auteur. Lorsque l’histoire est achevée, le livre l’est aussi, c’est tout. C’est essentiellement le récit lui-même qui décide de l’espace qu’il occupera, peu importe le nombre de page. Cela devient ensuite un problème d’éditeur.

Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Régis Goddyn : J’ai plusieurs fers au feu. Tout d’abord, je travaille sur un projet de bande dessinée avec Régis Hautière et Mohamed Aouamri. Le premier tome sortira fin avril chez Casterman sous le titre « Zibeline ». Je travaille en ce moment sur le tome 2. J’écris également une suite de cinq nouvelles courtes pour l’AR2L Nord de France. Pour les romans, j’ai commencé un autre livre, deux en fait, dont il est prématuré de parler. J’ai d’autres idées qui me tiennent à cœur, dont une BD d’anticipation, mais je manque vraiment de temps. C’est un peu notre lot à tous.

Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?

Régis Goddyn : Je serai en signature à la librairie Martelle à Amiens le 09 mars, puis aux Imaginales du 23 au 26 mai. Je n’ai pas encore de visibilité sur les signatures liées à la bande dessinée, cela viendra en son temps.

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