Profondément marqué par la guerre du Viêt Nam dont il est revenu blessé, Joe Haldeman a su digérer ces évènements tragiques pour en faire la matière de romans et nouvelles remarquables, dont La guerre éternelle reste le plus connu. Les conflits ne sont cependant pas sa seule source d’inspiration, et sa formation scientifique en astronomie, mathématiques et informatique lui a naturellement inspiré bien des histoires. Son souci du détail et la plausibilité des hypothèses qui forment la trame de ses textes en ont fait l’un des plus remarquables représentants du domaine de la hard SF. Véritable explorateur des mondes imaginaires, il n’a pas seulement enseigné l’écriture et la science-fiction (au MIT, excusez du peu…) mais pratique aussi la peinture, la poésie, la musique. Personnage incontournable de l’histoire de la science-fiction américaine, Joe Haldeman est un artiste complet et son parcours littéraire en est d’autant plus passionnant. Il est temps de nous pencher sur ces Rêves infinis, un recueil qui bénéficie des commentaires passionnants de leur auteur sur les circonstances qui l’ont amené à les rédiger…
La troisième guerre mondiale n’aura pas lieu…
Aussi importante soit la place de la guerre dans l’œuvre de Joe Haldeman, il en oublie rarement son intérêt pour les mathématiques et l’informatique, comme en témoignent les dédales virtuels de Habeas men et Le juré, et l’utilisation déraisonnable de technologies qui nous transportent aux confins de la folie. Contrepoint, la nouvelle qui inaugure le recueil, aurait quant à elle pu être écrite par un Robert Sheckley au meilleur de sa forme avec la biographie édifiante de deux frères aux trajectoires bien dissemblables… Deux nouvelles, plutôt exotiques pour un lecteur européen, pourraient s’insérer dans un courant de science-fiction économique si un tel genre venait à être défini. Faut-il les prendre au premier degré, comme un symbole de la fascination états-unienne pour les critères financiers de la réussite ou, au contraire, comme une critique implicite du système ? Le doute est permis… La révolution Mazel-Tovienne et L’espace d’une vie pourraient citer en exergue la réplique mémorable de Louis de Funès dans La folie des grandeurs : « Les riches, c’est fait pour être très riche et les pauvres, c’est fait pour être très pauvre ! »
S’il ne reste plus personne pour compter…
Aussi tragiques que soient certaines des histoires de Rêves infinis, peu d’entre elles sont exemptes d’humour (parfois noir…), elles montrent parfois l’auteur faisant preuve d’un sens de la provocation permettant de les aborder sans céder à ce premier degré qui rend trop souvent vains et ridicules les récits de genre militaristes. Les opinions antimilitaristes de l’auteur y sont apparentes et sans équivoque. Dans l’art de la fiction littéraire, le conflit est un des outils nécessaire pour capter l’intérêt, mais une fois le cerveau du lecteur rendu disponible (pour la réflexion intelligente, bien sûr !), encore faut-il parvenir à susciter une pensée de fond sur des préoccupations malheureusement toujours actuelles. Joe Haldeman y parvient souvent, et parfois même avec brio, comme le démontre l’une des meilleures nouvelles du recueil, Armaja Das. Épatante histoire de malédiction gitane à l’ère de l’IA, elle nous amène à nous demander s’il existe vraiment une différence entre la croyance aux superstitions et la soumission à la technologie... Ce récit d’ordinateur écrit en 1976 et qui réussit l’exploit de rester d’actualité en 2024 illustrera les raisons pour lesquelles la science-fiction est indispensable…