A l'occasion de la parution de Soror, 1er tome de Noô aux éditions Glénat, Laurent Genefort revient sur la réalisation de ce projet.
Actusf : Comment est née cette BD ?
Laurent Genefort : Olivier Vatine et Olivier Sztejnfater (de Comix Buro) m’ont confié le scénario de Noô parce qu’ils savaient que je connaissais bien le roman, pour lequel j’avais maintes fois exprimé mon admiration. Mon mémoire de DEA et une partie de ma thèse lui étaient consacrés. Néanmoins, ils ont pris un risque car je suis un scénariste néophyte. J’espère ne pas avoir été trop décevant.
Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur son intrigue ?
Laurent Genefort : L’histoire est celle de Brice, un jeune garçon perdu dans la jungle amazonienne dans les années 1930, sauvé par un homme qui s’avère être un politicien en exil. Il le ramène avec lui dans son système stellaire d’origine, Hélios, abritant deux planètes habitables. Brice grandit au sein de cette nouvelle société multiraciale et bigarrée, dans une atmosphère révolutionnaire. La répression se durcissant, ils sont forcés de fuir.
Actusf : Noô est une adaptation du roman de Stefan Wul. Il vous semble être un auteur incontournable, pourquoi ?
Laurent Genefort : Incontournable parce qu’unique en son genre en France, surtout au cœur des années 50. Il a développé son propre imaginaire dans un genre très corseté à l’époque, sans copier ce qui se faisait outre-Atlantique. En soi, c’est déjà remarquable. Son invention était servie par un style impeccable. Dans la période “Anticipation” chez Fleuve Noir, où il a produit l’essentiel de son œuvre, il n’a jamais sacrifié la poésie à l’économie du style en vigueur à l’époque et qu’il maîtrisait à la perfection.
Pour Noô, c’est différent : là, Stefan Wul a laissé libre court à la profusion baroque qui était, je crois, au cœur de sa sensibilité. C’est peut-être dans Noô qu’il est le plus Wul (cet avis n’engage que moi !).
Actusf : Projet à 4 mains avec Alexis Sentenac, comment cela se passe-t-il ? Comment travaillez-vous ?
Laurent Genefort : Nous sommes tous les deux très autonomes, et Comix Buro nous a laissé la bride sur le cou sur de nombreux aspects. J’ai été intransigeant avec Alexis pour ce qui concernait les dialogues, et ai fourni une note d’intention assez fournie, mais qui n’avait rien d’une charte car dans mon esprit, un scénariste doit laisser autant de liberté que possible au dessinateur.
Actusf : Est-ce la 1ere fois que vous vous lancer dans la BD ? Pourquoi choisir ce support ?
Laurent Genefort : La première fois de façon véritablement professionnelle, oui. Auparavant, j’ai commis une adaptation de ma nouvelle T’ien-Keou chez Soleil, sous le dessin de Jean-Michel Ponzio. La BD et moi, c’est une histoire d’amour qui sera restée longtemps platonique. Je l’ai découverte en tant qu’art dès mon entrée en 6ème, d’une part avec Métal Hurlant et des séries comme l’Incal ou Jeremiah (un de mes anciens Fleuve Noir Anticipation est d’ailleurs dédié à Hermann) ; d’autre part avec Gébé et Topor, lus avec stupeur dans une pile de vieux Hara-Kiri qui se décomposaient dans une grange à la campagne. Puis le manga est arrivé…
Bref. Je suis un auteur pour lequel l’image (et par conséquent l’imagerie) compte beaucoup. Le choix d’un support comme la BD est naturelle chez moi… Naturelle ne signifiant pas facile !
Actusf : Cela permet-il d’aborder les choses différemment ? De parler de choses/idées plus facilement ? faire passer des messages ?
Laurent Genefort : Aborder les choses de façon différente, assurément, puisque le texte se voit très limité. On doit faire passer un maximum de choses par l’image – et en cacher tout autant. Il y a un champ et un hors-champ dans l’écriture, et un champ et un hors-champ (un hors-bulle ?) dans la BD, mais qui ne se recoupent pas. C’est une contrainte, mais cela aussi le travail très stimulant.
Concernant le fait de faire passer des messages, on retrouve cette problématique dans chaque domaine artistique et la BD n’y échappe pas.
Actusf : Quelles sont les difficultés et les bonheurs d’un tel projet ?
Laurent Genefort : Le plus grand bonheur, c’est avoir la chance d’adapter un Wul, et pas n’importe lequel, celui qui a le plus compté pour moi. Les difficultés viennent loin derrière. Le trac d’abord, puis les interrogations : ne l’ai-je pas trop trahi, compte tenu des contraintes du médium ? La difficulté principale tient à la richesse même du texte – il faudrait vingt tomes pour lui rendre justice et retranscrire son ampleur. Et du fait que Noô est un roman éminemment littéraire. À commencer par le récit en « je ». Or, comme le cinéma, la BD fait passer le personnage en « il » puisque la focalisation n’est pas interne. L’autre difficulté est que le récit est très modulaire. L’une de mes tâches d’adaptateur a été de rendre l’aventure plus « causale », chaque événement procédant des précédents. Cela modifie un peu la perspective car l’aspect erratique du récit fait partie intégrante de Noô comme roman d’apprentissage. J’ai fait un choix différent. J’ai dû en faire d’autres…
Actusf : Combien y-aura-t-il de tomes ?
Laurent Genefort : Trois. Nous n’avons pas pris le lecteur en traître, c’est indiqué sur la tranche !
Actusf : Quels sont vos futurs projets ?
Laurent Genefort : Au niveau littéraire, une uchronie, en cours d’écriture. Au niveau BD, finir Noô !
Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?
Laurent Genefort : Aux Utopiales nantaises, et aux Rencontres de l’imaginaire de Sèvres.