Une autrice devenue « culte »
Ursula Le Guin (1929-2018) s’est faite connaître avec La main gauche de la nuit et Les Dépossédés, romans issus du cycle de l’Ekumen, où elle revisitait la science-fiction avec un regard d’anthropologue, passionnée par l’altérité. On lui doit aussi des recueils de nouvelles, comme Changements de plans, publié cette année par Le Bélial, qui obtint aux Etats-Unis en 2004 le prix Locus du meilleur recueil. Et on va voir que Le Guin a ici décidé de faire différent.
Voyage entre les plans
Ursula Le Guin annonce la couleur avec La méthode de Sita Dulip, nouvelle qui montre comment le voyage entre différents plans (ou dimensions) est découvert par hasard par un personnage anxieux qui attendait dans un aéroport. C’est simple et facile, juste un glissement. Avec cette sorte de conte, notre autrice nous livre ce qui ressemble à un guide de voyages, un peu à la manière de Christopher Priest dans Les insulaires. On commence avec La bouillie d’Islac où la narratrice se rend par hasard, découvrant un monde réduit à grand bazar génétique. Soit. Plus poétique (Le Guin est très marquée par la poésie) est Le silence des Asonus, description d’un plan où les habitants, une fois devenus adultes, vivent dans le silence et le chant. On est très loin du matérialisme de l’American Way Of Life !
D’autres façons de vivre
Dans L’Hospitalité Hennebète, la narratrice rencontre des personnes d’un autre plan qui se rappellent leurs autres vies. Vivent-ils une sorte de réincarnation ? C’est plus complexe… Dans Le courroux des Veksi : Visite d’un plan où les individus sont violents entre eux et pourtant tout se tient. Leur société est viable, une espèce de solidarité existe. Avec La saison des Ansarac, on voit les migrations d’un peuple sur un plan où trois ans de vie équivalent à quatre-vingt ans. Dans Le rêve social des Frines, on voit des créatures vivre et partager leurs rêves. Notons que Le Guin décrit, jauge, évalue mais ne juge jamais.
Des conflits et des dérives
Cela n’empêche de voir combien la condition humaine ou humanoïde a des impondérables. Ainsi avec La famille royale de Hegn qui décrit une famille royale et ses problèmes… Insolubles. Contes tragiques de Mahigul décrit dimension très violente, avec des histoires d’empereur fou, de guerres ethniques, ou entre cités : humain, trop humain que tout ça ! L’Ile de l’éveil peint des gens qui ne dorment jamais sur le plan des Orichi, suite à un programme génétique monté pour donner naissance à des « super têtes ». Mais l’expérience est un échec, les insomniaques développent des comportements asociaux et violents et ne sont pas très intelligents. On finit par les parquer sur une île. Le Bâtiment décrit un plan où une espèce a connu un développement technologique prodigieux, lui permettant d’occuper sa planète presque entièrement au détriment d’un autre peuple, mais ensuite il y a eu effondrement écologique. Depuis, cette espèce bâtit un grand bâtiment (une sorte de tour de Babel ?). Dans Les Voltigeurs de Gy, voilà une dimension où les humanoïdes volent et où un humain qui doit apprendre à vivre sans ses ailes… il devient avocat : voilà une chute ironique !
Finissons avec L’île des immortels, où on peut acquérir l’immortalité par… une piqure de mouches sur l’île d’Aya. Mais un destin pire que la mort attend ces immortels qui finissent plantés dans le sol. Au final, voici un recueil original qui sort de sentiers battus : parfois inégal, jamais inintéressant.
Sylvain Bonnet