Anathem
Neal Stephenson a fait dans la satire politico-organisationnelle (Panique à l'Université, Zodiac), le cyberpunk (L'Age de Diamant et Snow Crash), la geekerie historico-cryptographique (Le Cryptonomicon), la trilogie de romans d'histoire des sciences (La Trilogie Baroque), et le thriller (CobWeb et Interface avec J. Frederick George). Anathem, son dernier roman (dont la sortie en français est prévue prochainement chez Bragelonne), revient dans la science-fiction, plus de dix ans après L'Age de Diamant et Snow Crash et dans un tout autre genre.
Une vie monacale...
Fraa Erasmas a grandi dans un Concent, une communauté de théoriciens isolée du monde « profane » par une muraille. Le contact avec l'extérieur se fait à intervalles réguliers et très espacés, dépendant du type de vœux, et permet entre autres de maintenir la concentration des fraa sur leurs travaux et études. Justement, l'une des périodes décennales d'échanges approche, et les habitants du Concent vont pouvoir découvrir comment l'extérieur a évolué depuis leur dernier contact avec lui... Non que cela ait une grande importance, car bientôt le monde va changer irrémédiablement, et les signes du changement commencent même à être visibles de l'intérieur du Concent...
Platonisme, théorie quantique...
Neal Stephenson l'a refait. À force, cela devrait cesser de nous surprendre, mais le fait est que chaque fois que le lecteur s'attaque à l'un de ses romans récents, l'immersion est totale et le défi intellectuel permanent. Il y a clairement plusieurs niveaux de lecture, pour satisfaire les lecteurs depuis le « touriste » qui vient savourer le monde et l'aventure, jusqu'au geek irrécupérable qui s'amusera à retrouver les parallèles théoriques avec notre monde et le pourquoi des parties qui semblent au premier abord détonner avec le reste du roman. Stephenson, comme Umberto Eco, parvient à combiner parfaitement une érudition effrayante et une efficacité exceptionnelle dans la manière de faire vivre un monde et ses habitants. Arbre et ses habitants s'animent au fil des pages et de la découverte du monde par le lecteur, et l'ensemble, malgré son exotisme, a un goût de réalité prononcé. Le vocabulaire inventé spécialement ne déroutera guère la plupart des habitués de la science-fiction, même s'il est ici en quantité relativement importante : les définitions introduisant les chapitres se révèlent extrêmement utiles.
Les avant-derniers chapitres du roman, où les scènes d'action et les justifications ne sont pas les plus convaincantes, restent de bonne facture et nettement au dessus de la moyenne. Ce n'est pas un livre pour tous les lecteurs : la quantité de discussions théoriques (même si elles sont très bien introduites et accessibles par des profanes via les dialogues d'exposition), la fascination pour la culture et les mathématiques qui se retrouve, dense, à chacune des pages risquent d'en rebuter un certain nombre, même s'il me semble que l'auteur contrôle mieux le volume de ses exposés de philosophie des sciences que dans le troisième volume de La Trilogie Baroque. Mais les fans de Stephenson et, d'une manière plus générale, les théoriciens et scientifiques (amateurs comme impénitents) trouveront en Anathem un roman de science-fiction intelligent et stimulant.