Par delà le mur du sommeil

Par delà le mur du sommeil

Mais qui est donc Howard Philips Lovecraft ? Né à Providence - Massachusetts - en 1890, il montre très tôt un intérêt et un talent pour la littérature. De santé fragile, dans un environnement familial trop protecteur, il devient solitaire et fuit la compagnie des enfants de son âge, trop bruyants et immatures à son goût. En se nourrissant de poésies du 18e siècle et de traités scientifiques, il se construit un univers de beauté classique, éclairé par la raison et la vertu. Mais les nouvelles d'Edgar A. Poe et ses cauchemars d'enfant lui font entrevoir d'autres choses, terrifiantes celles-là : les dieux peuvent être mauvais et dénués d'intelligence, les hommes être le jouet de puissances qui les dépassent, les étoiles abriter des créatures voraces et aveugles...

Solitaire

Cet enfant seul qui écrit à 9 ans des poèmes d'une impressionnante maturité deviendra un adulte tourmenté, frustré par un physique ingrat et un esprit que ses contemporains mépriseront autant qu'il méprise le leur.
Il vit des rentes de sa famille, et des quelques cents que lui rapportent parfois ses articles de vulgarisation scientifique et ses nouvelles, parues dans des "pulps". Ses relations humaines se font à travers sa correspondance, volumineuse et éclairée par un esprit pétillant d'intelligence et d'humour.

Au tournant des années trente, le régime hitlérien attire sa sympathie à travers les valeurs martiales de discipline et d'ordre moral que décrivent les journaux américains. Sa méfiance viscérale, maladive, envers toutes les races qui ne sont pas blanches, voire tous les étrangers, trouve avec les idées nazies un écho qui lui parait salvateur. Une de ses amies correspondantes, elle aussi captivée par le nazisme, fait un voyage de quelques mois en Allemagne, dont elle revient choquée par la brutalité et le manque d'humanité de cette idéologie. Son témoignage trouble Lovecraft, qui revient alors sur ses idéaux hitlériens, sans se départir pour autant de sa xénophobie.

Il meurt d'un cancer quelques années plus tard, en 1937, laissant derrière lui une œuvre capitale dans l'histoire du Fantastique, qui inspirera de très nombreux auteurs, illustrateurs et réalisateurs, alors qu'il ne verra aucune de ses nouvelles publiée en volume relié de son vivant.

5 nouvelles dont L'affaire Charles Dexter Ward

Ce recueil regroupe cinq nouvelles, dont les quatre premières nous montrent la manière dont Lovecraft pouvait envisager les relations humaines, avec cette peur de perte d'identité qui peut les caractériser. L'Autre, mon ami, mon conjoint, mon voisin, le monstre caché dans les ténèbres, cherche t'il à me dévorer, à profiter de ma substance ? Cet Autre est-il en moi ? Et cette chose innommable, dans le clocher abandonné, se repaîtra t'elle de mon esprit si je découvre qui elle est ?
Beaucoup de questions, dont les réponses se logent dans la folie des personnages lovecraftiens - eux-mêmes clones idéalisés de leur auteur qui cherche ces réponses...

Il est d'ailleurs amusant de constater, dès les premières lignes de la première nouvelle, le mépris de Lovecraft pour Freud et la psychiatrie, alors que ses nouvelles regorgent de fantasmes et de cauchemars. L'affaire Charles Dexter Ward, qui clôt le volume, est considérée comme étant "le seul roman de Lovecraft", au vu de sa longueur et de sa structure. Elle raconte les dangers qu'il y a à trop fouiller dans sa généalogie lorsque l'on a un ancêtre sorcier. Maintes fois copiée ou "adaptée", cette nouvelle reste un monument du genre, qui vaut à elle seule l'achat du livre.