Les Ecorchés

Les Ecorchés

Tiburce Oger s'est fait connaître avec sa série fantastique Gorn où un fantôme revient des morts
pour venger son destin. Cette série, dont le trait inclassable et le scénario tragique ont marqué toute une génération, s'est vue déclinée dans une seconde série contant les aventures de Damoiselle Gorge (deux volumes avec Paty au dessin). Le succès aidant, Tiburce Oger a pu développer des projets différents et plus difficiles, presque toujours chez Vents d'Ouest. La Piste des ombres a vu la jour à cette époque.

Quand il a sorti Pierres brûlantes (le premier opus de La Piste des ombres qui avait d'abord été pensé comme un one shot), j'avoue pourtant avoir sourcillé: le royaume du western me paraissait alors bien éloigné de ses créations. Aujourd'hui cet aveu trahit mon étroitesse d'esprit de lecteur de BD enclin à la stéréotypie. Car je dois bien reconnaître qu'une fois de plus j'ai pris une claque. Loin de se conformer à une vision du western où la témérité se mesure à la longueur du fût de votre canon, Tiburce Oger s'est engouffré dans un western moderne (plus proche de Danse avec les loups que des scalps des beaux jours de la MGM) teinté de fantastique et de chamanisme.Les Ecorchés forment le troisième volet de ce qui pourrait bien devenir une autre BD culte.

Sur la piste des bisons

Les pierres brûlantes, ces pierres enchantées des indiens qui abritent "ceux qu'on ne nomme pas" ont déjà pas mal pourri l'existence de Natanaël : elles lui ont fait perdre sa femme, ses enfants et avec eux, son âme [tomes 1 et 2 de La Piste des ombres]. Désormais, il parcourt les plaines sans but, à la recherche d'un moyen de subsistance.

Le destin, retors comme il se doit, met sur son chemin une bande d'écorcheurs de bisons, menée par Califonia Joe, redoutable chasseur et grande gueule de son état. Pour échapper à ceux qui le traquent, Natanaël accepte de se joindre aux braconniers, même si l'absence totale de scrupules de California Joe ne lui inspire que du mépris. Une fois la saison de chasse finie, la troupe regagne la ville pour vendre ses peaux et dépenser ses dollars auprès de filles de mauvaise vie. Timberline est l'une d'elle, et elle rappelle étrangement sa femme au jeune Natanaël qui tente pourtant d'oublier le passé. Peine perdue : tant qu'il gardera les pierres, le passé prendre un malin plaisir à se rappeler à lui dans une traque infernale.

"J'aime les petites scènes anodines"

Je vais finir par croire que Tiburce Oger est un homme qui ne sait pas décevoir. Pourtant, à chaque nouvelle BD, je me dis que je vais l'attendre au tournant, que ce n'est pas autorisé d'avoir autant de talent, de manier aussi bien le dessin et la noirceur de la plume. Sans succès : une fois n'est pas coutume, j'ai été pris au dépourvu par cette fresque décorée de loups et de bisons dans un pays qui se cherche et se crée par la poudre et la voie ferrée.

Dans Les Ecorchés pas vraiment de bons ou de méchants : plutôt des salauds et des innocents volontaires, associés de circonstance pour se construire une petite place au soleil. La Piste des ombres a la grandeur d'un western qui ne cède jamais à la facilité ou au poncif du genre : on se régale. On retrouve ici un auteur maître incontesté de la perspective, de la profondeur de champ et de la mise en scène, un artisan minutieux et scrupuleux du scénario, bref, un grand nom de la bande dessinée et de l'imaginaire français.
Enfin, l'ajout d'un cahier de croquis commenté par l'auteur himself clôture un volume de très haute volée.