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Le Ciboire oublié

Philippe Saimbert (Scénariste), Roberto Ricci (Dessinateur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/01/03  -  BD
ISBN : 2840558963
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charlotte   - le 31/10/2017

Le Ciboire oublié

Saimbert est un passionné de Bande dessinée, un vrai. De Bob Morane aux comics américains, tout l'inspire et alimente son imaginaire. Les grands scénaristes tels que Bruce Jones, qui a relancé le personnage de comics Hulk, ou Patrick Cothias, à qui l'on doit notamment Les 7 vies de l'Epervier, sont là pour lui donner l'exemple à suivre. Saimbert s'attèle donc à la construction de ses scénarios. Il imagine des univers noirs et violents dans lesquels évoluent des personnages torturés. Sa première série, qu'il réalise avec Séra, intitulée Les Processionnaires (Albin Michel), présentait déjà une sorte de purgatoire hanté par des créatures et des âmes que l'on suppose damnées et dont le salut est lié au soleil. Dans Les Ames d'Hélios, un gigantesque vaisseau spatial s'est substitué à la forêt sombre des Processionnaires, et c'est un nouveau monde passionnant qui naît sous nos yeux. On comprend la puissance d'évocation du dessin et la maîtrise de la composition lorsque l'on sait que Ricci s'est formé graphiquement grâce à Heavy Metal, Gimenez (La Caste des Méta-barons) et Moebius (il lit Arzach à 11 ans seulement). Pour cet album, Ricci s'est beaucoup documenté sur l'architecture gothique et de son propre aveu il s'est inspiré de 1984 d'Orwell, de Dune de Herbert et du film Alien.

Un monde sans concession et cruel dans lequel éclôt une fleur de rouille

Hélios, gigantesque forteresse de métal rongée par la rouille, est un vase clos dans lequel évolue toute une société dirigée d'une main de fer par des religieux fanatiques, les Cardibans. Ylang est un écusson noir, une fille de prostituée, une paria. Sa mère veut la faire sortir de l'artère-bouge dans laquelle elles vivent, lui épargner les passes et les humiliations. Ylang doit devenir Dragon, caste supérieure au service des apôtres du Torkamak et qui font régner l'ordre dans la cité. Mais la formation est cruelle et dure, Ylang ne trouve refuge que dans les bras de Byrd, son amante, malgré l'interdiction de leurs amours par les religieux.

Un scénario poussé, des dessins aboutis et une mise en couleurs travaillée

Saimbert et Ricci nous prouvent que la Bande dessinée S-F a encore de beaux jours devant elle. C'est un projet ambitieux et maîtrisé que nous donnent à lire les deux auteurs. Hélios d'abord, en référence au dieu solaire grec et à deux sondes interplanétaires lancées à la découverte du soleil, cité à la fois métallique et organique qui meurt lentement de la rouille qui la ronge comme la lèpre. Cité viciée qui accueille en son sein des âmes tourmentées. La société décrite est violente, cruelle, sectaire, elle est régentée par des religieux fanatiques qui adorent un dieu qui les a abandonnés, qui n'est plus. On y suit des personnages résignés, lucides, imperméables à la souffrance des autres. Pourtant certains luttent encore avec la force du désespoir, Mira et sa fille Ylang sont de ceux-là. Fleur éclose au milieu de la saleté et de l'ordure, elle est un personnage complexe et profond. Les autres protagonistes concentrent sur elle tout leur espoir, et leurs illusions. Magnifique galerie de personnages, dialogues percutants et scénario dense, rehaussés par des dessins à leur mesure. Ricci a un style travaillé et riche. Il crée un décor oppressant et cloisonné dont les personnages ne peuvent s'extirper. Il les enferme dans cette prison de métal en bouchant l'horizon ou en ouvrant l'espace sur des trous béants et vertigineux. Il donne aux personnages une consistance et une identité par la variété d'émotions qui naissent sous son trait. Il est pour beaucoup dans l'empathie que ressent le lecteur envers ces personnages tragiques. Son travail sur la couleur est passionnant. Il utilise un nombre restreint de couleurs qu'il dilue ou accentue selon le cas, étirant ainsi sa palette de camaïeux mais qui traduit aussi l'enfermement et l'aliénation des personnages. Pour conclure, disons que l'on assiste à la naissance d'une grande série qui fera certainement date.

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