" Le merveilleux, c'est un double effet de stupeur et d'enthousiasme ". Voilà l'introduction de Goimard à son essai. On peut étendre cette définition à la Critique du merveilleux et de la fantasy.
Un angle universitaire surréaliste
Universitaire, Goimard l'a été. Ses analyses relèvent souvent du mémoire et la structure de son essai y répond. Goimard a cette façon très particulière de survoler les points qui se groupent en suspension sur des hypothèses ébauchées par les critiques et professeurs qui se sont penchés sur le merveilleux depuis les années 50. Parcourir son livre tient de l'émerveillement : quel autre genre que la fantasy ou le merveilleux pouvait soutenir des thèses à la fois si fouillées et si personnelles ? Aucun. Le parallèle avec les surréalistes et l'insertion du merveilleux dans leurs œuvres est fait à bon escient : nous sommes là face à une thèse qui n'exclut pas l'appréhension d'un lecteur érudit et fasciné et d'un talentueux acteur du monde la S-F.
Les quatre parties du roman méritent d'être citées, avant d'aller plus loin dans l'analyse : l'héritage ; au commencement, l'image ; la fantasy et ses variantes et au bout de la route, l'image. Savant entrelacement d'exemples cinématographiques et littéraires, l'essai de Goimard a quelque chose d'Everestique dans la montagne russe. Le lecteur passe sans cesse du doute (les origines sont à mon sens un peu survolées mais il est vrai que les théories sur la littérature médiévales sont aussi rares que conséquentes !) à cette fascination pour les choses évidentes une fois mises en lumière, pour l'acuité à l'état pur.
Il fallait peut-être être un pionnier pour se permettre de s'attaquer à une telle analyse. L'auteur est essayiste (la preuve), anthologiste et directeur littéraire chez Pocket. Il a été l'un des principaux révélateurs de la S-F en France. Il a également publié quelques nouvelles (six), dont deux rééditées dans le présent livre. Il s'en excuse platement. Il a tort.
L'ensemble relevant plus d'une compilation d'articles sur le sujet, liés par une réflexion qu'on suppose fil conducteur dans la vie de Goimard (et parfaitement exposé dans son chapitre sur Siudmak, son illustrateur), ces deux nouvelles ont parfaitement leur place dans un essai qui apporte un angle tout à fait personnel au sujet.
Un essai complet, déroutant, intéressant, énervant…
Tout d'abord, les différents index (thèmes, œuvres…) sont extrêmement bien construits. Il faudrait vraiment être mauvais élève pour ne pas trouver ce qu'on y cherche en quelques minutes. Il manque sans conteste une bibliographie à ce livre ; mais on se doute vite, à sa lecture, que la bibliographie aurait pu constituer à elle seule un tome entier et que Goimard n'a pas la prétention, sinon l'ambition, de rivaliser avec les thèses publiées. Il serait également difficile de citer toutes les références, même les plus importantes, de cet essai : la richesse des thèmes abordés correspond à celle dont Goimard, agrégé d'histoire, a fait preuve en tant qu'anthologiste.
On y découvre des auteurs, des critiques et des théories qu'on ne connaissait pas. On revisite des classiques, avec le regard acéré et plein d'humour de l'auteur. Ainsi, le loft et Tolkien pourraient être comparés. Un phénomène social pourrait être mis en parallèle avec la structure d'un livre…Oui. Il ne s'agit pas là d'une théorie fumeuse pourtant crainte dans l'introduction de certains chapitres, mais bien d'une analyse riche, fine, colorée et sans aucune audace. Goimard n'est pas là pour en mettre plein la vue. Qu'on soit d'accord ou pas, tout ce qu'il avance repose sur une mémoire sans faille, un sens critique sans appel et une profonde connaissance de la société et la littérature francophone comme anglophone.
Pilier de bibliothèque
Il va sans dire que cet essai fait partie des essentiels. Le merveilleux a quelques études universitaire pour se crédibiliser. La fantasy manquait de structure et de théories, cantonnée à la catégorisation plus ou moins exacte de ses œuvres. Si Goimard répertorie et rappelle toutes ses définitions, il sait également les étayer d'une étude logique. Ces analyses ne sont pas toujours accessibles pour le non-littéraire ; un lecteur monomaniaque de S-F peut se trouver perdu dans ses références.
Cependant, il s'agit là d'un véritable essai de vulgarisation, dans le sens positif du terme : le talent d'un essayiste réside parfois dans la façon dont il sait expliquer les choses les plus complexes, les idées qui tiennent le plus de la littérarité et non de la littérature propre, de la façon la plus simple du monde. Il suffit de piocher ce qui peut intéresser et de se laisser parfois porter par le reste.