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Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/10/05  -  Livre
ISBN : 2841723208
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Lavadou   - le 20/09/2018

Utopiae 2005

Pour la sixième année consécutive, Bruno della Chiesa, fondateur du festival de science-fiction Utopiales de Nantes, réunit dans une anthologie des auteurs de tous horizons. Allemagne, Bulgarie, Grèce, Ghana, Mexique, Finlande, Etats-Unis, Israël, France, et même un auteur carthaginois de plus de 2000 ans… Comme les années précédentes, l’anthologiste nous propose une ouverture sur le monde de la SF, mais aussi sur différentes cultures et sociétés qu’éclairent leurs représentants respectifs.

L’Utopie en prend un coup…


« Le XXIe siècle sera dystopique ou ne sera pas ». C’est ainsi que Bruno della Chiesa conclut sa quatrième de couverture. Et d’enfoncer le clou avec une couverture austère sans illustration où le « ae » de Utopiae se détache du reste comme s’il en avait été arraché, symbole d’un rêve brisé en décrépitude. Le ton est donné : le temps des utopies est derrière nous. L’actualité ne cesse de nous le rappeler et le constat est identique aux quatre coins du globe : guerre, arrogance, soif de pouvoir, égoïsme, désincarnation de l’humanité… Autant de causes et d’effets déprimants qui n’appellent pas à l’optimisme.

Mais que l’on se rassure : les auteurs de ces textes désabusés ne se complaisent pas dans le pathos et leur lecture est loin d’être ennuyeuse. Avec application, ils s’attachent à démontrer les travers de notre civilisation en les extrapolant dans un futur plus ou moins proche, pour nous mettre en garde contre des dérives plus que probables. Autre point commun : la mort, traitée différemment selon les auteurs mais représentant toujours la conséquence inéluctable d’une aliénation insidieuse.

Le futur d’une société en décomposition

La première nouvelle du recueil, Baby Doll, de la finlandaise Johanna Sinisalo, dénonce la tendance sexualisante qui sévit dans les sociétés occidentales, notamment au travers de la publicité : les gamines s’habillent comme des prostituées et des top models de 12 ans posent pour des marques de lingerie. Sinisalo illustre de façon édifiante la perte de l’innocence des enfants qui sont de plus en plus tôt confrontés à la dure réalité du monde adulte, ainsi que l’hypocrisie vis-à-vis du sexe qui consiste à prêcher la bienséance et la pudeur tout en laissant se développer un érotisme (voire une pornographie) mercantile qui imprègne notre quotidien.

Dans Prime time, de Norman Spinrad, des hommes et des femmes s’abonnent à un bouquet de télévision pas comme les autres : enfermés dans un cocon qui les protège du temps, ils ont choisi de se retirer du monde pour vivre 24 heures sur 24 dans un univers composé de programmes de télé sur mesure, entre soap à base de souvenirs personnels, aventures historiques ou érotiques, voyages fantastiques... Intuition pertinente de ce que pourrait devenir notre télé-réalité d’aujourd’hui (la nouvelle date de 1980), Prime time évoque notre fuite devant nos responsabilités, l’enfermement volontaire dans le virtuel et la vacuité d’une existence vécue à travers les histoires des autres.

De son côté, Karl Michael Armer, avec Les cendres du paradis, sert une nouvelle anti-guerre fortement influencée par les conflits en Irak et dénonce les combats stupides que se livrent les hommes au nom de leurs croyances et des fanatismes de tout bord. Dans son texte, la montée de la tension entre catholiques et musulmans a provoqué un retour des Croisades et de l’Inquisition, aboutissant à l’effacement des valeurs individuelles et collectives prônées par les religions devant la soif de vengeance et de pouvoir. Avec un final ambigu et amoral (et non pas immoral) qui rappelle le film palestinien Paradise now, Les cendres du paradis, qui conclut l’anthologie, est la parfaite illustration du rôle de la SF comme reflet et critique de notre présent et comme révélateur de malaises collectifs.

Confinement et cloisonnement

Autre thème de cette anthologie : l’emprisonnement des hommes. Emprisonnement physique dans Aujourd’hui est le premier jour du restant de ta vie, de l’israélienne Vered Tochterman, variation sur le thème du lavage de cerveau et de la dictature, avec un développement un peu convenu mais raconté de telle manière que les deux interprétations antinomiques qu’on peut en tirer (l’une premier degré, l’autre plus ironique) sont aussi subversives l’une que l’autre.

Isolement mental également : dans ses cauchemars avec Prime time ou Brûle !, de Hedwig-Marìa Karakoùda (nouvelle un peu plus anecdotique), dans ses convictions avec Les cendres du paradis ou dans sa haine avec C’est ton tour de Zdravka Evtimova, seule nouvelle au ton humoristique (mais qui tient plus du cynisme que de la franche rigolade…).

Un sentiment de claustrophobie plane ainsi sur tout le recueil, comme si les rêves d’évasion qu’apportaient autrefois la SF étaient définitivement oubliés. Même Pachanga, d’Eduardo Antonio Parra, seul texte apportant une touche (légère) d’optimisme, se passe dans un lieu fermé, un bar mexicain dans lequel l’auteur installe une ambiance très particulière, à la fois étouffante et euphorisante. A ce titre, Pachanga est l’un des récits les plus réussis du point de vue de l’écriture.

Références

Même si elles viennent parfois purement de la subjectivité du lecteur, on peut déceler dans certains nouvelles d’Utopiae 2005 des références à d’autres auteurs. Tout d’abord Lettre au fils, d’Hamilcar Barca (oui oui, celui des guerres puniques de l’antiquité !), est explicitement un clin d’œil au Monde du Fleuve de Philip José Farmer. Nouvelle amusante mais qui manque d’originalité en raison même de cette filiation avouée.

Il n’est pas non plus déraisonnable de voir dans Cendres, de Joëlle Wintrebert, l’influence d’Ursula K. Le Guin. Ce récit, où une militaire en mission sur une planète étrangère rentre en contact avec une civilisation féminine, décrit une société en harmonie et à taille humaine. Ce n’est pas pour autant qu’elle s’éloigne du ton pessimiste du reste de l’anthologie. Par exemple, Wintrebert en profite pour lancer quelques piques contre la fierté et l’arrogance de la gent masculine, à laquelle elle impute un expansionnisme guerrier.

Enfin, Poste à pourvoir : Jésus-Christ, du ghanéen Kojo Laing, est peut-être la nouvelle la plus difficile en raison d’une écriture plutôt cryptique qui n’est pas sans rappeler L’escargot sur la pente des Strougatski. Mélangé à un ton qui tient à la fois du conte et du mysticisme, ce style donne une impression de schizophrénie et empêche de comprendre pleinement l’histoire qui promettait pourtant une certaine originalité.

Une anthologie actuelle

Au final, Utopiae 2005 est un recueil ancré dans l’actualité. Presque toutes les nouvelles présentent un intérêt certain et nous renvoient en pleine figure les défauts d’une humanité en train de perdre son âme. La bonne qualité des textes est assez homogène (à quelques exceptions près), ce qui renforce l’impact de ces récits aux allures de mises en garde. Pour que peut-être, un jour, les futures anthologies Utopiae retrouvent le sens premier que véhicule leur titre.

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