Angel Fire
Angel Fire est la première création commune de Chris Blythe et Steve Parkhouse. Chris Blythe, qui signe ici le scénario, a auparavant participé en tant que coloriste à plusieurs travaux dans la revue Star Wars : Boba Fett : Agent of Doom, Jedi Versus Sith et Sacrifice. On retrouve Steve Parkhouse aux commandes avec Peter Hogan de la série The Lost Boy publiée dans The Dreaming.
Quand la course au succès se transforme en une consumante descente aux enfers
Londres, époque contemporaine. John, jeune cadre prometteur aux dents longues évoluant dans un monde où toute morale semble avoir été remisée, fête avec Zee, son collaborateur, et avec leur patron, leur dernier succès: la liquidation d’une entreprise familiale qui s’est soldée par le suicide de son directeur, père de deux enfants. L’orgie atteint son point culminant lorsque le patron offre aux jeunes cadres une nouvelle drogue, promesse d’un éblouissement absolu des sens : l’Angel Fire. L’extase lui en fait oublier son anniversaire de mariage : lorsqu’il rentre chez lui, sa femme Tess a fait ses valises. La spirale continue pour John, période d’errance entre drogue et désespoir, jusqu’à la découverte de la mystérieuse mort de sa femme…
« C’est la lumière qui crée les ombres, exactement comme Dieu a créé le Diable. »
Angel Fire est riche à plusieurs niveaux : tout d’abord l’histoire que déroulent Blythe et Parkhouse est imprégnée des univers des films noir et fantastique, références consolidées par une structure narrative proche de celles du 7ème art. Mais surtout la BD offre divers niveaux de lecture : l’histoire peut se lire chronologiquement mais le retournement final invite à de nouveaux parcours et à la découverte de nouvelles clefs. Tout, ici, fait sens : les objets parlent comme autant de fils conducteurs de l’œuvre, telle cette obsédante allumette qui ouvre et conclut la narration, et que l’on retrouve à bien d’autres moments de l’histoire. Derrière une trame apparemment traditionnelle, l’histoire de la chute de John s’articule sur un éclatement des lieux et du temps, éclatement symbolique qui reprend évidement celui de son univers quotidien. Blythe s’amuse à perdre son lecteur comme il perd son héros, enclenchant une réflexion sur le lien ténu entre apparence et réalité et son corollaire : le glissement imperceptible vers les abîmes de la folie. Aussi, la clef de voûte de l’œuvre est le passage, et cette thématique fait écho une nouvelle fois à la construction narrative qui s’articule sur le basculement : les frontières, de toute sorte, sont-elles encore valides dans le monde de John et dans le nôtre ?
Si le dessin reste assez classique, les auteurs n’en aiment pas moins jouer avec les formes : le découpage, qui structure l’histoire en chapitres, joue avec les frontières entre les genres de la BD et du roman. La mise en planche, elle, penche souvent vers le story board, comme on peut le voir dès la première planche qui propose un travelling avant, partant d’un plan américain sur un personnage pour se terminer en gros plan sur son oeil, figurant avec efficacité la nécessaire plongée du lecteur vers la psyché des personnages qu’il va découvrir.
On notera de plus l’importance du travail de mise en lien entre le scénario et le travail des couleurs, on passe successivement de planches plongées dans l’ombre lorsqu’il s’agit du quotidien de John à un éblouissement lors de ses trips extatiques. De plus, le choix d’une même couleur permet de mettre en valeur et en réseau certains éléments du décor, et de dévoiler leur portée symbolique dans le parcours du héros. Ainsi les pilules d’Angel Fire et les pétales de roses que Tess a parsemées dans l’appartement, toutes deux d’un rouge éclatant qui tranche avec les couleurs plus fades du décor, apparaissent comme autant de pastilles éclairantes pour le lecteur, et comme autant d’indices à observer avec attention.
En résumé, Blythe et Parkhouse nous offrent un jubilatoire et consistant jeu de piste entre ombre et lumière qui ravira les fans de réalisateurs comme David Lynch, spécialiste des scenarii labyrinthiques dont la haute cohérence doit être rétablie par le lecteur / spectateur.