Le Sommeil du Monstre
Né en 1951 à Belgrade et arrivé en France neuf ans plus tard, Enki Bilal a très vite fait ses premières armes en bande dessinée avec le magazine Pilote. Après avoir remporté un concours à l'âge de 20 ans, il entame une collaboration avec ce journal, lançant ainsi une carrière bien riche. En 1998, lors de la sortie du Sommeil du Monstre, Enki Bilal venait de tourner Thyko Moon pour le cinéma. Mais surtout l'éclatement de la guerre en Yougoslavie l'avait énormément touché, au point d'en faire le terreau d'une nouvelle trilogie dont cet album est le premier tome.
"I remember…"
Dans un futur proche en années mais bien éloigné de notre quotidien au niveau technologique, Nike a un don particulier. Il possède une mémoire phénoménale qui lui permet de se souvenir peu à peu des premiers jours de son existence. Au début du récit, il arrive à se rappeler du 18ème jour après sa naissance, lorsqu'il n'était qu'un bébé dans un hôpital de Sarajevo en pleine guerre en 1993. A ses côtés, deux autres enfants orphelins comme lui : Leyla et Amir. Trois êtres que la vie a séparés depuis mais que les événements une trentaine d'années plus tard vont rapprocher.
Un album mémoire
Revenant à un dessin similaire à celui de La Foire aux Immortels, Enki Bilal signe là une œuvre engagée et personnelle. Comme il le dit dans un entretien publié par les éditions des Humanoïdes Associés dans leur plaquette de presse : "La responsabilité des artistes, aujourd'hui, c'est de s'engager. Pas de s'engager contre la guerre ou dans tel ou tel mouvement, mais de s'engager dans leur art". Des propos en 2003 qui s'appliquent très bien à cet album, paru il y a cinq ans. On y sent de la révolte face à cette guerre et à ses morts. On y sent également de la réflexion. Et on y sent de l'humanité avec ces trois personnages. Côté graphique, l'abord n'est pas facile, même si le travail sur Thyko Moon a eu pour conséquence d'aérer son dessin. L'aspect cinématographique a aussi des répercussions sur la narration et sur les parties " off " de Nike qui se souvient jour après jour. Au final, il faut relire au moins deux fois Le Sommeil du Monstre pour bien tout appréhender : sa richesse et sa sensibilité. Une œuvre majeure.