Sachem América
Johan Heliot et Xavier Mauméjean sont de « jeunes » auteurs français qui ont émergé au début des années 2000. Le premier est connu notamment pour La Lune seule le sait, roman steampunk ayant obtenu le prix Rosny Aîné en 2000, ou bien pour Faërie Hacker sorti en 2003 et suivi de Faërie Thriller en 2005. Il a déjà fait des incursions dans la littérature jeunesse avec par exemple Alter Jérémy. Le second a publié notamment en 2004 La Vénus anatomique, également prix Rosny Aîné, et Car je suis légion en 2005.
Sachem América est le second opus d’un cycle jeunesse, Le Bouclier du Temps, commencé avec Le messager de l’Olympe.
Quand le Grand Manitou remplace la Statue de la Liberté
David Grendel est appelé en urgence par son majordome, James. Une nouvelle mission l’attend. Car David a un don, comme son défunt père : celui de traverser le temps et les mondes. Aidé du super-ordinateur du Manoir de Fer, il est envoyé cette fois-ci dans une Amérique parallèle où les Indiens n’ont pas été décimés par les Européens. Depuis peu de temps, un mystérieux dictateur, L’Ancien des Loups, fait régner une discipline de fer sur les citoyens, ce qui risque de perturber indirectement le monde de David. Il doit donc trouver un moyen de le neutraliser, et sera aidé par Wacontas et Lily qui résistent à la dictature.
Une recette facile et des clichés à la pelle
Sachem América commençait bien : une scène d’exposition courte et efficace, des personnages dont on cerne d’emblée la personnalité, un style direct et concret qui n’empêche pas d’aborder des concepts scientifiques assez évolués… On s’attend à un roman jeunesse sympathique. Mais on constate très vite l’utilisation d’une recette éculée de la littérature jeunesse : le principe du jeune héros lancé dans une aventure périlleuse, risquant sa vie à chaque instant, principe qui appelle une identification forte du lecteur. Cela aurait pu marcher si l’intrigue avait été originale et captivante. Il n’en est rien : l’histoire est banale, manichéenne, bourrée de clichés, utilise des raccourcis faciles ; l’action est aseptisée (quand les héros usent de violence, c’est toujours justifié, à bon escient et sans conséquence grave – bravo pour la pédagogie…) et fait appel à des éléments qui ne semblent pas avoir leur place (par exemple, des robots ultra sophistiqués qui ne servent qu’à augmenter la menace, mais dont les héros se défont avec une facilité déconcertante).
Heliot et Mauméjean ne nous épargnent rien : le méchant surpuissant et sans pitié qui déploie des moyens démesurés pour capturer « ses pires ennemis », qui ne sont guère que des enfants et qu’il n’a même encore jamais rencontrés ; des héros animés par leur seule volonté et leur bonté sans borne ; l’éternelle opposition entre le monde des enfants et celui des adultes (James M. Barrie l’a fait il y a un siècle avec beaucoup plus de réussite…) ; David et Lily qui deviennent amis après avoir échangé deux phrases ; sans oublier LA morale : il ne faut jamais abandonner… sauf qu’ici l’exemple choisi – les mauvaises notes à l’école – est d’un ridicule qui ferait sourire un enfant de 6 ans…
Mais le plus agaçant, c’est le héros lui-même, David, que l’on présente comme le sauveur de l’humanité mais qui finalement ne fait rien que suivre les autres, sans autonomie, sans initiative. Certes, un personnage avec des failles est souvent plus intéressant qu’un héros invincible. Mais David n’a aucune personnalité, aucun charisme, et l’abus de modestie dont font preuve les auteurs à son égard décrédibilisent complètement son rôle, comme s’ils n’assumaient pas le type d’histoire qu’ils ont écrite. Cela devient évident lorsque David suit un rite d’initiation indien qui lui donnera la force de vaincre, preuve qu’il ne peut pas s’en sortir avec ses propres qualités.
Un monde intéressant et une critique en filigrane
Tout ceci est bien dommage, car le monde décrit par les auteurs est plutôt original. Cette Amérique indienne est assez cohérente et son exotisme est plaisant. La culture indienne est utilisée avec justesse même si parfois c’est un peu trop voyant (les voitures avec leur carénage en bois, par exemple).
Par ailleurs, les auteurs en profitent pour glisser quelques piques et critiques sur notre propre monde. Comme souvent, l’utilisation d’un monde parallèle est l’occasion de dénoncer les travers de notre société. Ici, c’est la dictature policière et la censure qui sont prises pour cible, rappelant les erreurs du passé avec un petit côté pédagogique bienvenu, erreurs qui peuvent se reproduire à tout moment – comme l’indique le titre du troisième chapitre, c’est « toujours la même histoire ». Mais Heliot et Mauméjean ne sont pas très subtils et appuient un peu trop leur démonstration, mettant en scène un peuple sans autonomie qui ne peut être sauvé que grâce à une aide extérieure, ce qui est plutôt condescendant…
Décevant
Au final, Sachem América est un roman décevant. Car on attendait plus de Heliot et Mauméjean que cette aventure ultra formatée, avec des personnages insignifiants et une intrigue d’une banalité affligeante – sans oublier la fin totalement prévisible. Pas sûr que les jeunes de plus de 11 ans, à qui le livre est destiné, accrochent. On les a habitués à mieux.