La voix de Wormwood
Ian Watson est un auteur anglais né en 1943. Après des études en littérature anglaise et française, il publie son premier roman en 1973, L’Enchâssement, qui remporte les prix John W. Campbell et Apollo. Il devient écrivain à plein temps en 1976 et publie un grand nombre de romans et nouvelles. Il participe également en 1990 et 1991 au développement du script de A.I. avec Stanley Kubrick.
La voix de Wormwood contient deux textes de Watson inédits en France, La voix de Wormwood, novella écrite en 2002, et Le passeur, nouvelle écrite en 1996. Cet ouvrage fait partie de la collection 100tinelles de Dreampress.com, qui comporte des livres tirés à 100 exemplaires dont 25 signés par l’auteur. A noter que La voix de Wormwood est préfacé par Robert Sheckley et postfacé par l’auteur lui-même pour cette présente édition.
La voix de Wormwood
Lustig Firefox, aventurier de l’espace qui flaire toujours les bons coups propres à lui faire gagner de l’argent, atterrit sur Wormwood, planète dont la quasi-totalité de la surface est recouverte d’un océan… de bois. Les feuilles produites par ce monde végétal pourraient être utilisées pour faire renaître l’absinthe, et Lustig est chargé d’en ramener des spécimens à un cartel pour clonage puis exploitation. Cartel qui lui impose de partager son cerveau avec une IA, officiellement pour l’aider dans ses relations avec la population locale. Mais tout ne se passe pas comme prévu, car en plus d’être infestée de vers géants, la planète possède une conscience primitive.
Le passeur
Sondra fait partie d’un équipage de « passeurs », spationautes chargés de collecter puis entreposer des cercueils contenant des extraterrestres morts, qui arrivent lentement dans le système solaire depuis quelques années. Personne ne sait d’où ils viennent ni pourquoi ils se dirigent vers le soleil, ce qui fait planer une certaine inquiétude chez les humains. Suite à la « réception » d’un cercueil particulier, Sondra ébauche une théorie.
Un univers d’une grande cohérence
La principale particularité de ces deux textes est leur grande cohérence, aussi bien du point de vue de l’environnement que du point de vue scientifique. En lisant le résumé de La voix de Wormwood, on est séduit par le concept de cet océan de bois sur lequel naviguent des bateaux, mais on est sceptique quant au réalisme et à la viabilité d’une telle idée : va-t-elle résister à un examen approfondi ? Peut-elle donner lieu à une histoire au-delà du simple concept ? Très vite les doutes s’effacent : malgré cette originalité audacieuse et un peu risquée, le monde de Wormwood s’impose au lecteur comme parfaitement crédible grâce au soin que prend Watson à en détailler rapidement les aspects géologiques, écologiques ou sociaux. Il ne laisse rien au hasard, au risque d’être parfois un peu rébarbatif et didactique. Et le même soin est apporté aux détails scientifiques dans Le Passeur.
Certes, cela manque un peu de passion et l’on a parfois le sentiment d’être assis devant un documentaire télévisé, mais la précision du cadre permet à l’histoire d’évoluer de façon plus naturelle. On peut quand même reprocher à Watson la divulgation désordonnée des informations, parfois sans suite logique. De ce point de vue, son style est un peu heurté, certaines phrases sont écrites au lance-pierres et les deux textes auraient gagné en qualité si Watson avait pris plus de temps pour en développer les intrigues.
Des idées originales et des intrigues au dénouement inattendu
Côté histoire, les idées de base des nouvelles sont originales et captivent tout de suite l’attention. Dans La voix de Wormwood, le fait que la motivation de Firefox soit de relancer la production d’absinthe est tout de même assez jubilatoire mais n’est pas totalement fortuit : alors que le nom Wormwood évoque à la fois le bois (wood) et les vers (worm) qui sont les deux caractéristiques principales de la planète, ce mot signifie également… absinthe ! Et Watson d’en profiter pour rappeler l’influence de cette substance sur l’inspiration de quelques artistes des siècles passés en une brève réflexion sur les sources et la valeur de l’art.
Dans un autre registre, Le Passeur part d’une idée tout aussi bonne - le système solaire « envahi » par des cercueils d’extraterrestres. Ce texte est d’ailleurs plus efficace que celui qui donne son titre au recueil : plus dynamique, plus restreint aussi en terme d’idées, il va droit au but et se concentre sur son thème initial, ce qui convient parfaitement au format de la nouvelle. Alors que La voix de Wormwood est plus déséquilibré en raison d’un changement de perspective au milieu de l’histoire, avec une fin qui n’a plus grand chose à voir avec le cadre initial de la novella : Watson n’exploite pas complètement le potentiel de sa planète en bois, qui se trouve n’être au final que le simple vecteur d’une intrigue divergeant de son point de départ. Mais il faut voir le bon côté des choses : La voix de Wormwood a le mérite de surprendre par ses rebondissements, même s’ils sont parfois un peu trop rapides. Ce qui est également le cas de Le passeur, dont le dénouement est assez inattendu, bien que la solution soit amenée de façon artificielle.
Ca vaut le détour
Au final, La voix de Wormwood propose aux lecteurs deux textes de space opera originaux et divertissants qui amènent un peu de fraîcheur au genre sans le révolutionner. On regrettera juste un style un peu haché qui laisse peu de place à l’émotion. On notera également la courte mais intéressante postface de Watson lui-même, écrite spécialement pour cette édition, où l’auteur explique la genèse de ces textes et nous explique un peu comment il conçoit l’écriture de science-fiction (on passera en revanche sur la préface de Sheckley, qui se contente de résumer le début de la novella).
Un ouvrage qui vaut le détour, donc, à la fois pour son contenu et pour le concept même des éditions Dreampress.com, qui proposent des œuvres inédites avec des tirages « premium » signés par les auteurs, initiative rare et plutôt louable. Même si son prix (15 euros) le destine, peut-être, plutôt à un public de collectionneurs.