charlotte
- le 27/09/2018
Nigel
Les Editions du Lombard fêtent cette année leur soixante ans et afin de prouver qu’elles n’ont rien perdu de leur jeunesse elles inaugurent une nouvelle collection baptisée Portail qui propose aux lecteurs de pousser les portes de l’imaginaire et d’entrer dans des mondes où la magie et le merveilleux côtoient la réalité, où les dieux s’invitent parmi les hommes, où les rêves peuvent parfois devenir réalité.
De Vita et Latour ont la lourde charge de donner le coup d’envoi à la collection. Le dessinateur italien Giulio De Vita a d’abord travaillé dans les fumetti et les comics avant de s’attaquer à la bande dessinée franco-belge avec une première histoire publiée par Soleil Lazarus Led suivie du deuxième tome du Décalogue (Glénat) scénarisé par Frank Giroud, Fatwa. Il entre au Lombard avec la série James Healer écrit par Yves Swlofs. Il se lance aujourd’hui aux côtés d’un jeune auteur, Latour, dans la série Wisher. Sébastien Latour est professeur d’anglais au collège le jour et scénariste de bande dessinée la nuit. Coup double pour cet amateur de fantastique et lecteur assidu de Neil Gaiman, deux de ses scénarios sont acceptés par le directeur de collection de Portail, Wisher dont nous parlons aujourd’hui et Ellis, dessiné par Griffo, à paraître en novembre.
« Vous savez moi aussi je serais claustrophobe si j’avais passé mille ans dans une lampe. »
Nigel peut vous dégotter dans Londres tout ce que vous souhaitez. Débrouillard, sympathique, beau gosse et claustrophobe, il réalise tous vos désirs si bien sûr vous avez de quoi le payer à la hauteur de ses services. Alors qu’il discute du dernier tableau que doit lui livrer le faussaire John Karfeld, ce dernier semble pris de panique et lui offre une breloque porte-bonheur avant de se jeter sous le métro. Abasourdi par ce qu’il prend pour un suicide, Nigel n’en oublie pas moins le fameux tableau destiné à un ponte de la mafia qu’il doit récupérer chez son ami. Là, il découvre avec effarement que Karfeld était obsédé par sa personne, et il ne semble pas être le seul. Sans le savoir, Nigel vient de rentrer dans un conflit qui oppose de mystérieux hommes en redingote et chapeau melon à des créatures féeriques qui se cachent depuis des générations parmi les hommes. Lui-même pourrait bien être l’élément déterminant qui fera pencher la balance, encore faudrait-il que sa véritable nature se révèle.
« Votre pouvoir est énorme, Nigel, c’est le pouvoir du djinn. »
Loin de l’Heroic Fantasy classique, Le Lombard se lance dans la bande dessinée de genre avec originalité et talent avec cette première série, Wisher, qui inaugure la nouvelle collection Portail. Si l’Urban Fantasy est connue des amateurs de littérature, les lecteurs de bandes dessinées n’ont pas souvent eu l’occasion de côtoyer ce type de récits. L’imaginaire du scénariste Latour s’est nourri de ces histoires qui mêlent le contemporain au merveilleux notamment à travers l’œuvre de Neil Gaiman. S’il reprend dans son scénario la structure traditionnelle de ce genre qu’est la Fantasy (une guerre millénaire, des êtres féeriques, un élu, une quête…), il y injecte la forme nerveuse du thriller. La série se démarque surtout par son héros Nigel, un djinn aussi appelé « wisher », dernier représentant de son espèce mais qui ignore tout de sa véritable nature et des immenses pouvoirs qu’il possède. A travers ce tome d’exposition le lecteur découvre en même temps que Nigel l’existence d’un autre monde et l’incrédulité du personnage participe paradoxalement à la crédibilité de cet univers souterrain.
De Vita abandonne le style réaliste parfois rigide dont il usait pour une atmosphère urbaine empreinte de féerie. Sa narration énergique ne ménage aucun temps mort, le ton est ainsi donné : le rythme sera haletant bien que les créatures féeriques soient âgées de plusieurs centaines d’années. C’est qu’en ces heures sombres le temps, denrée rare, vient à manquer. Un mystérieux groupe, le MI10, qui dépend du Ministère de l’Intérieur a lancé une vaste chasse aux sorcières et seule une poignée de créatures est parvenue à leur échapper. Leur dernier espoir est notre héros dépassé par les événements. En quelques planches le lecteur est happé par l’histoire notamment grâce à quelques trouvailles comme cette section spéciale, le MI10, habillée de redingotes et chapeaux melon et dont l’arme principale est une canne ornée d’un pommeau où une fée est enfermée. Ces êtres sont les seuls à pouvoir révéler la vraie nature d’un « féerique » que se soit un elfe, une banshee ou un gobelin. Un mot encore sur les couleurs. De Vita joue avec sa palette pour restituer au mieux les ambiances des différentes scènes. L’aquarelle et la colorisation numérique se fondent pour un rendu qui sert l’atmosphère fantastique de l’album. Au final, Wisher laisse espérer une série originale menée tambour battant.