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La Nuit du papillon

Guy Raives (Coloriste), Jean-Luc Cornette (Scénariste, Dessinateur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 30/09/06  -  BD
ISBN : 2723439585
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Virginie   - le 20/09/2018

La Nuit du papillon

Jean-Luc Cornette est né en Belgique en 1966. Après de multiples collaborations (Spirou, Brazil…) il reçoit deux prix, le prix du Lion et celui de la Ligue de l’Enseignement pour son album « Maxime Maximum » dans la série Les Enfants Terribles (Casterman Jeunesse, 1995). Il publie aujourd’hui La Nuit du papillon, un one shot chez Glénat dans la collection Carrément bd, dont l’action se déroule à New York. Central Park y occupe une place essentielle. Cet élément est à mettre en relation avec un album publié en avril 2005 chez Dupuis, en collaboration avec Christian Durieux, dans lequel le poumon vert de la grosse pomme est au cœur de l’action : Central Park.

Parcours new yorkais

Certes Elias habite New York, mais le regard qu’il nous offre sur sa ville en fait un New York inédit. Le quotidien d’Elias, c’est un appartement miteux, peuplé de ses amis cafards qui s’agitent et s’engluent dans des restes de Beans-tomatos. Ce pourrait être glauque et désespérant, mais Elias ne mange pas de ce pain là. Car Elias, comme il le dit lui-même, est « connement poète » : ce don lui permet de transformer des riens du quotidien en des satisfactions parfois enchanteresses. Elias ne manque pas d’humour non plus : s’il vend des lunettes, ce sont des lunettes papillons, dont personne ne veut, mais lui ne s’imagine pas avoir un boulot sérieux.

Cela veut-il dire que tout va bien pour Elias, qui s’accommode avec enthousiasme de ce que la vie lui offre ? Non, tout ne va pas bien, car Elias se sent seul, et Elias est amoureux. Amoureux d’une charmante serveuse incapable de retenir son prénom, amoureux à en bégayer, amoureux à en sombrer dans des vapeurs alcoolisées…Une nuit d’ivresse, justement. Cette nuit là, il va être donné à Elias de découvrir un monde inattendu, là, juste de l’autre côté du miroir, un monde où les serveuses indifférentes se muent enfin en de bien adorables papillons, et où le cœur d’Elias va peut-être apprendre à fleurir…

Un récit initiatique

Tous les ingrédients du récit initiatique sont présents dans l’œuvre de Cornette : il y a initiation car il y a découverte et transformation(s). Elias possède déjà certaines dispositions à la mutation car il a le don de transcender la réalité citadine par son regard de poète : lorsqu’il arpente les rues new yorkaises, les taxis deviennent par exemple pour lui « des jaunes d’œufs qui glissent sur une chaussée de téflon ».

Le héros entreprend son voyage une nuit d’ivresse, alors que ses perceptions sont altérées -forcément- par l’alcool, et qu’il a déjà commencé à opérer une mutation : l’alcool l’a désinhibé et poussé à se travestir en revêtant les plateform-boots de Lolita, qu’il a rencontrée dans la rue et avec laquelle il a sympathisé dans le bar. Lolita, grâce à ses allures d’androgyne et de travesti, annonce l’imminent basculement d’Elias dans un univers parallèle, car elle est une incarnation du principe de transgression des frontières. Ainsi Elias, en possession d’un attribut de Lolita et une paire de lunettes papillon sur le nez, se cogne la tête et traverse le miroir.

Débarqué dans un monde inconnu, le héros, conformément aux codes de l’initiation, va devoir désapprendre et perdre ses repères pour s’en créer de nouveaux. C’est le temps de l’errance et du tâtonnement : les perceptions d’Elias sont mises à mal, il doit apprendre à marcher sans tomber avec ses bottes de sept lieux ; à la suite de sa symbolique nouvelle naissance, Elias fait son éducation. Dans ce monde où le temps est accéléré, le héros devient vite papa, papa d’un joli papillon. Il va vivre au rythme du papillon, celui d’une vie en quelques heures, passer du statut de père à celui de prétendant, et faire l’expérience de la fuite du temps, de l’angoisse de l’inéluctable –et trop rapide- disparition. Le voyage a plongé Elias l’inhibé au cœur même du sensible.

Une ode au microcosme

L’univers dans lequel Jean-Luc Cornette fait basculer et renaître son héros n’est pas créé ex nihilo. Il s’agit d’ailleurs moins d’une traversée que d’une plongée verticale dans le microcosme de Central Park : tout s’articule sur le changement d’échelle, et on quitte les vertigineux buildings new yorkais pour les non moins vertigineuses plantes peuplant le monde naturel, devenues gigantesques pour le héros rétréci. Minuscule, Elias ne peut qu’être fasciné par ce décor qu’il découvre enfin, et à travers le regard du jeune homme le lecteur part à la rencontre de dame nature et de ses habitants.
Cornette nous mène au plus près de la matière végétale, on s’approche des tiges, feuilles et fibres comme à la loupe, la nature règne en maître alors qu’Elias, l’humain, n’occupe plus qu’une petite partie des vignettes, juste assez pour nous offrir ses grands yeux étonnés et apeurés (voir en particulier la 24 ème planche). Nous sommes loin de la nature domestiquée, peinant à exister et respirer au milieu du béton ou même dans les squares, arbres parqués sur les avenues (planche 7) ou sculptés en d’improbables Godzilla (planche 10). Les insectes, eux, sont personnifiés et entrent en communication avec Elias, révélant leur beauté éphémère et tissant des liens de cœur.
L’auteur, à travers, entre autres, la belle métaphore de l’adoption du papillon par le héros, souligne la nécessaire communion de l’homme et de la nature, l’importance de la redécouverte du microcosme par le citadin. La couverture porte en germe cette réflexion : le divin papillon veille à la fenêtre de l’appartement d’Elias, comme en attente de son regard…

Une réflexion sur l’expérience amoureuse

Une grande partie de l’expérience qui est donnée à vivre au héros lors de son voyage nocturne est celle de la relation amoureuse. Le papillon adopté puis aimé par Elias est un écho à la serveuse qui le fait vibrer dans l’univers urbain : mêmes cheveux bouclés, même silhouette, la barmaid semble avoir subi une métamorphose. Devenue papillon, elle s’offre à Elias, mais leur relation est bien sûr vouée à l’éphémère, délivrant du même coup une leçon belle mais amère teintée de carpe diem. Pour Jean-luc Cornette les hommes sont des « chasseurs de papillons », des chasseurs de flammes fragiles ; mais laissons la parole au poète Brassens, cité en épigraphe de l’album : « Ils ne savaient pas que, sous les ombrages,/ Se cachait l’amour et son aiguillon,/ Et qu’il transperçait les cœurs de leur âge,/ Les cœurs des chasseurs de papillons. » (Georges Brassens, La Chasse aux papillons).

Plongez, vous aussi, au plus vite dans le monde poétique et si riche d’enseignements de Jean-Luc Cornette. A découvrir absolument !!!

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