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Les Princes-Marchands

Jackie Paternoster (Illustrateur de couverture), Charles Stross ( Auteur), Patrick Dusoulier (Traducteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/06  -  Livre
ISBN : 9782221106570
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Eric   - le 27/09/2018

Un secret de famille

Avec une certaine hardiesse dans le choix du titre, Une secret de famille fait suite à Une Affaire de famille, le premier tome de cette trilogie des Princes-Marchands, publié en juin chez Ailleurs & Demain. On regrettera sans doute que le troisième tome n'exploite plus qu'imparfaitement cette aventureuse symétrie, puisqu'il s'intitulera Famille & Cie, et ne sortira qu'en octobre prochain. Ce qui est tout de même un peu long pour une série en cours, et dont le dernier volume est sorti en mai dernier Outre-Manche. D'ici là l'hyperactif anglais donnera peut-être à ses fans de quoi calmer l'angoisse de l'attente, mais rien n'est encore annoncé pour 2007. Et certainement pas la traduction de son très acclamé Accelerando qui a ajouté à sa longue liste de nominations, le douteux privilège de se retrouver en short-list pour le Prometheus Award, qui récompense le meilleur roman libertarien de l'année.

Ah, ah, familles nombreuses

Deuxième incursion donc dans cette histoire d'univers parallèles qui évoque tout à la fois Zelazny et ses Princes d'Ambre et Le Talisman des Territoires de King et Straub. Nous y avions laissé Miriam Beckstein – alias la Comtesses Helge Thorold-Hjorth –, tout juste maîtresse de son pouvoir tout neuf de passer entre les mondes, et venant d'échapper de justesse à deux tentatives d'assassinats dans la même nuit. Pressée de mettre un peu de distance entre elle et ce Clan prêt à la tuer, elle s'était réfugiée à Boston, chez son amie Paulie.

Dans ses poches, un talisman pris à l'un des ses agresseurs, et ressemblant à celui qui lui permet de glisser de notre époque au Gruinmarkt, la version alternative et moyenâgeuse de  l'Amérique, où sa "famille" se livre à un lucratif marché d'import-export reposant essentiellement sur le trafic de drogue. Constatant que le médaillon ne fonctionne pas depuis notre réalité, Miriam tente la traversée depuis le Gruinmarkt et émerge dans un troisième univers.

Baptisé Nouvelle-Bretagne, c'est une sorte d'uchronie victorienne dont le niveau technologique équivaut à celui de nos années trente. Immédiatement, l'idée de faire du commerce de brevets entre les trois mondes s'impose à Miriam comme le meilleur moyen de faire taire les voix qui se sont opposées à sa réapparition dans la lignée du Clan. Une chance aussi de pouvoir reprendre la maîtrise relative de sa vie.

Ce n'est évidemment pas ainsi que l'entendent Matthias Van Hjorth, le très ambitieux secrétaire du tout puissant Duc Angbard Lofstrom, et ses mystérieux alliés en Nouvelle-Bretagne.

"Un grand homme n'a pas de famille, il n'a que des héritiers."

Après un premier tome mi-figue, mi-raisin, on ne demandait qu'à se laisser convaincre par l'inventivité tant de fois vantée de celui qui – pour l'heure – n'est jamais l'homme que d'une novella exceptionnelle. Comme toutefois il se pourrait que nous attendions trop de lui, oublions un instant que Charlie Stross est le petit génie le hype de la SF anglaise pour tenter d'analyser Un Secret de famille sur ses qualités intrinsèques.

Tout d'abord, on constate que le fait de rajouter une couche de réalité à sa trame, ne la rend pas plus impressionnante pour autant. Elle reste assez convenue et manque singulièrement de relief et d'originalité. Ce qui, finalement, pourrait ne pas être si grave, si par ailleurs Charles Stross parvenait à nous donner un peu le vertige. Mais il n'en est rien.

Alors bien entendu, à première vue, le scénario ne manque pas d'une certaine densité. Mais elle n'est qu'apparente. En refusant de jouer sur les points de vues alternés – louable intention au demeurant –, on s'aperçoit vite que l'intrigue principale est basique. Certes elle se complexifie à mesure qu'on nous en dévoile les dessous, mais tout cela manque de démesure. Les lignes secondaires de récit sont assez bien exploitées, mais seulement avec une application studieuse. A chacune des péripéties de Miriam Beckstein, on devine presque le bel organigramme de Post-It qui ne manque certainement pas de décorer le mur qui fait face à la table de travail de Stross. Encore que geek jusqu'au bout, il se peut que ça soit en fait un tableau Excel.

Certes, il choisit de confier son histoire à une héroïne – ce qui n'est pas si rare que ça en Fantasy –, mais il en fait une amazone libérale, parée d'une armure de marketing et toute armée du glaive de l'économie de marché. Dans les fontes de son palefroi les œuvres complètes Keynes, Smith et... Marx, puisque Stross se définit volontiers comme un auteur de gauche. En dehors de cela, pour méritoires qu'ils soient, les efforts qu'il déploie pour rendre Miriam convaincante n'aboutissent qu'à la reprise d'un stéréotype de série TV, à mi-chemin entre Ally McBeal et Murphy Brown.

Cela pourrait bien sûr n'être qu'une impression, facilement dissipée par une vivacité de plume qui replacerait le tout dans une perspective plus juste. Mais en fait... non. Ecrit dans une langue qui se refuse à enlever l'intrigue sur un rythme un peu plus flamboyant, tout cela reste très scolaire. Une verve pataude et raide qui nous prive de la distance qu'on soupçonne Stross d'avoir voulu y mettre, et qui rend les dialogues tout spécialement mauvais. Lorsqu'ils ne sont pas asservis à une exposition laborieuse, ils sont imprégnés d'un didactisme pénible qui culmine dans quelques agaçantes tirades sur les mérites de l'économie de marché.

Et plus encore que dans le premier volume, c'est là un point tout spécialement gênant. Le manque de distance avec lequel il s'acharne à mettre en œuvre tous les rouages du capitalisme dans des mondes qui ne les maîtrisent qu'imparfaitement est décevant. En tout cas de la part d'un auteur de science fiction qu'on dit politisé et dont on pourrait logiquement s'attendre à le voir tenter d'explorer d'autres voies. Et ce avec d'autant plus d'aisance qu'il s'est donné les conditions idéales pour conduire son expérience de prospective socio-économique. Le Gruinmarkt et la Nouvelle-Bretagne sont deux boîtes de Pétri où le commerce s'est développé inégalement pour parvenir à des stades très différents. Or plutôt que d'en contrôler l'évolution après adjonction de morceaux choisis d'économie de marché, son héroïne n'aspire qu'à une remise à niveau avec un système qui, dans son monde d'origine, l'avait mise sur la touche (cf. chronique d'Une Affaire de famille). Ce qui aurait pu s'annoncer comme une pertinente remise en question des modèles économiques actuels, s'avère donc tourner à une justification de leurs pires travers.

En dépit de la facilité avec lequel on lit Un Secret de famille, et même du plaisir qu'on peut y prendre (car c'est une histoire qui avance toute seule), on peut légitimement se demander si Charles Stross n'est pas passé à côté de son sujet. Au point même qu'on puisse trouver cet effort un peu gratuit, ce qui n'est pas la moindre des contradictions si l'on considère l'idée de départ de la série.

Take off ou banqueroute ? La réponse à cette question, dans le tome 3, va mettre un an à nous parvenir. On l'attendra sans réelle impatience, avec seulement la crainte que l'inconsistance des deux premiers tomes et douze mois de lecture qui s'annoncent bien remplis ne l'ait pas reléguée, d'ici là, dans les limbes d'un semi-oubli.

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